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j'apporte la peste avec moi ! » Les tribus, épouvantées de ce désastre, se retirèrent.

M. Canrobert continua sa marche vers Zaatcha, sur la brèche duquel il devait s'illustrer, lorsque, le 12 novembre, le Colonel Daumas, arriva devant Bou-Sada avec des troupes de cavalerie : lui aussi avait eu sa colonne rudement éprouvée par le fléau.

A son apparition devant la ville, les bruits les plus sinistres circulaient parmi les populations Arabes. De Tunis au Maroc, on parlait de nos prétendus échecs devant Zaatcha et des succès de Bouzian. La situation pouvait se compliquer d'un moment à l'autre.

Le Colonel Daumas dont les troupes étaient décimées, jugea qu'il en fallait finir d'un seul coup; le 14 novembre, il reçut la soumission solennelle des habitants de Bou-Sada, imposant la ville d'une amende de 8000 fr. (1) payable sous trois jours, outre des objets de valeur locale: burnous, haïks, tapis, etc.

ས.

Après de rudes épreuves, Zaatcha tomba devant le courage persévérant de nos soldats.

Bou-Sada était soumis; on s'occupa sérieusement de l'occupation. Une Kasba fut construite sur le Doulat El-Roud: elle domine le Ksar et le marché et renferme tous les établissements militaires. Les populations, d'abord alarmées de notre présence, ne tardèrent pas à revenir.

La paix profonde qui règne aujourd'hui dans le Sud y a développé un commerce considérable. Un seul fait prouvera, plus éloquemment que tout ce que nous pourrions dire, la considération attachée à la domination française à la suite de notre occupation, quelques tentes s'étaient retirées dans la régence de Tunis. Le bienêtre de leurs frères restés à Bou-Sada les a déterminées à revenir spontanément, et une tribu toute entière, les Haouamed, s'est ainsi reformée.

Le Baron HENRI AUCAPITAINE,
Sous-Lieutenant au 36TM de ligne.

(1) Somme considérable en pareil moment.

[E]NVOI D'ANTIQUITÉS DE LA KABILIE

AU MUSÉE CENTRAL.

A la fin de notre introduction au Livret explicatif des collections de la Bibliothèque et du Musée d'Alger, nous disions ceci naguères :

« Notre Musée a deux sortes d'ennemis les uns voudraient « que tout allât à Paris; les autres que tout restât dans les pro⚫vinces africaines, au lieu même ou chaque chose se découvre.

Outre que ce dernier point obligerait d'attacher un conservateur à chaque article, si l'on tenait à ne pas le voir enlever ou dé<< truire, il condamne logiquement ces magnifiques musées d'Eu<< rope qui ont rendue accessible à tous l'étude de l'antiquité. Car, si, parmi les hommes studieux, il en est qui aient assez de richesse pour aller étudier chaque objet à sa place primitive, au«< cun d'eux, certes, n'en trouverait jamais le temps.

« Sans exclure en aucune façon les collections secondaires, recon« naissons la nécessité d'une collection centrale, nécessité procla<< mée par le bon sens des nations et des siècles; reconnaissons-le « surtout en Algérie, où la science réclame à son tour ses lettres de << naturalisation. >>

Il serait inutile de reproduire ici des vérités aussi banales, si elles n'avaient pas été solennellement contestées à une époque très rapprochée de nous. Mais, comme l'éclipse de la raison n'est jamais de bien longue durée, on ne tarda guère à revenir aux principes inspirés par le bon sens et sanctionnés par l'expérience. Parmi les exemples assez nombreux que l'on pourrait donner de cet heureux retour, nous choisirons le plus récent.

Ce sera, d'ailleurs, l'occasion naturelle d'acquitter une de ces dettes de reconnaissance qui ne se prescrivent jamais.

Au milieu des plus graves préoccupations de la guerre ou du gou. vernement, au sein même des enivrements de la victoire, M. le Maréchal Pelissier a toujours eu une pensée bienveillante pour la Bibliothèque et le Musée d'Alger. Pendant ses expéditions de Kabilie, il recueillait plus de quatre-vingts manuscrits arabes à l'intention du premier de ces établissements. A Sébastopol, malgré les soucis d'un siége jusqu'alors sans exemple et dans les circonstances

où il eût été certes bien permis de ne point penser à la science, M. le Duc de Malakoff réunissait des livres russes pour nous les envoyer. Ils resteront à notre bibliothèque, non pas seulement comme moyen d'étude, mais comme un souvenir glorieux, ces livres sur l'un desquels on lit la précieuse note autographe que nous avons jadis publiée dans l'Akhbar.

Après avoir payé la dette du passé, arrivons au présent.

Lorsque M. le duc de Malakoff visitait la grande Kabilie, au mois de juillet dernier, il vit à Tizi-Ouzou quelques antiquités qu'on y avait apportées de divers points; et il donna aussitôt l'ordre de les diriger sur notre musée central, où elles sont parvenues dans le courant d'août. Arrivées à cet établissement sans aucune indication spéciale et pendant que le conservateur était en tournée d'inspection, la provenance exacte de chacune d'elles et le nom même de l'auteur de l'envoi demeurèrent inconnus pendant quelque temps. Maintenant que nous savons quel est le bienfaiteur et quelle est l'origine du bienfait, nous nous empressons de publier le nouveau service rendu à la science et au musée de notre ville par M. le maréchal Pelissier et de mettre en relief la valeur de ce service, au moyen d'une courte description des objets envoyés.

Le plus important est le bas relief berber d'Abizar; il est gravé plutôt que sculpté sur une dalle en grès à contours très irréguliers qui mesure 1 mètre 35 cent. de haut sur 1 mètre 10 cent. de large. Ce curieux monument a été découvert en 1858, par M. le baron Aucapitaine, sous-lieutenant au 36° régiment d'infanterie, à Abizar, bourgade des Beni-Djennad. La Revue africaine en a parlé alors, tome 3*, page 315, et tome 4, pages 153 et 237. En regard de la page 154 de ce dernier volume, elle en a même reproduit le dessin, d'après M. le lieutenant-colonel Wolf. Ajoutons que M. le capitaine Devaux en avait envoyé une épreuve photographique très bien réussie.

Les caractères libyques qui se remarquent en haut et à gauche ont été ainsi expliqués par M. le lieutenant-colonel Hanoteau, dont la compétence est connue en fait de philologie berbère :

A JOUKAR (ou IAKOUS)

Annouren rend hommage à son maître.

Quant au sujet, il représente un personnage en-chasse, si ce n'est le dieu berber de la chasse lui-même.

Les figures ne sont point modelées et n'ont un peu de relief que parce que le champ a été légèrement évidé; en quelques endroits, on s'est même borné à refoniller le long du trait. La scène, quoique

d'une remarquable barbarie d'exécution, est très compréhensible, ainsi qu'on en va juger.

Le personnage principal est à cheval et occupe avec son coursier presque toute la surface de la pierre; on ne remarque rien sur son corps, qui ressemble à un vêtement; si ce n'est peut-être une calotte plate qui lui couvre le sommet de la tête. Sa barbe, triangu laire et très pointue, lui descend sur la poitrine. De la main droite étendue, il porte un bouclier rond, timbré d'un grand cercle au milieu. Derrière ce bouclier, dépassent, à gauche et à droite, les fers et les hampes de trois javelots rassemblés dans la main de ce côté.

Le bras droit est tendu en arrière et l'avant-bras relevé à angle droit; sa main est ouverte, les doigts sont en l'air, droits et serrés l'un contre l'autre, sauf le pouce qui est très écarté. Entre ce dernier et l'index, on aperçoit un objet annulaire ou sphérique qui a été omis dans le dessin communiqué à la Revue africaine. D'après la position du bras, cet anneau ou boule semble un projectile qu'on va lancer.

Le cheval porte au cou quelque chose qui ressemble fort à un phallus, une espèce d'amulette peut-être. Cela rappelle un usage encore en vigueur parmi nos cavaliers indigènes; seulement, ceuxci, au lieu de l'attribut obscène du dieu de Lampsaque, emploient quelque texte du Coran ou d'un autre livre sacré ; c'est plus décent, sinon plus effieace.

Derrière le cavalier, touchant ses reins, sous son bras droit et sur la croupe du cheval, un individu cinq fois plus petit que le héros de la scène (signe conventionnel d'infériorité sociale dans l'iconographie berbère), tient de la main droite une sorte de massue, dans l'attitude de quelqu'un qui va frapper. En avant de la tête du cheval, court un petit quadrupède; un volatile de taille analogue est placé devant ses pieds. On appellerait ce dernier une autruche, s'il était possible, en présence de formes aussi incertaines, de pousser la précision jusqu'à la détermination de l'espèce.

Les figures de ce tableau ne sont point disposées par plans réguliers; on les a mises çà et là, selon que le personnage principal laissait de la place. Si quelques-unes paraissent plus petites qu'elles ne devraient l'être, ce n'est pas pour arriver à un effet de perspective; c'est, ainsi que nous l'avons déjà dit, pour marquer les inégalités sociales.

Après cette description rapide, le lecteur pensera peut-être avec nous que ceci est bien une scène de chasse : le cavalier en est le hé

ros; le petit bonhomme qui le suit vient sans doute de battre le buisson avec son matrag et de lancer les deux animaux qui figurent là comme échantillons du gibier à poil et à plume, en général. Cette méthode abréviative de composer un tableau est assez heureusement appliquée par les artistes berbers, qui ont su se créer ainsi un langage iconographique à la fois concis et expressif.

Maintenant, le cavalier est-il foukar ou lakous, le dieu de la chasse; ou, simplement, Annouren, son bumble adorateur ?

Le dessin suggère cette dernière explication, mais les convenances religieuses la font repousser.

M. Hanoteau, traducteur de l'inscription, ayant eu la modestie de déclarer que son interprétation n'était pas certaine, nous imiterons sa prudente réserve et nous nous contenterons d'avoir exposé les faits.

Un deuxième monument, du même grès que le précédent et d'une exécution tout aussi peu artistique, arrive après celui-ci, et provient peut-être du même endroit, ce que nous ne pouvons manquer d'apprendre prochainement, avec certitude.

C'est le fragment supérieur d'une tabula aussi grossièrement sculptée que la précédente; il mesure 0,57 c. de haut sur 0,90 de large. Dans un cadre en saillie, taillé très irrégulièrement, se détache en demi-bosse une moitié de personnage à peu près fruste, tenant une lance droite dans la main gauche. Sur la bordure supérieure, large de 15 c., on lit: TÁBLA. DEO. MASI...

Après le I final, on observe l'amorce inférieure de la lettre qui suivait et qui devait être une de celles qui ont pour premier élément une diagonale (1). Comme il n'y a pas de signe séparatif après MASI.., (2) il est probable que la dédicace n'est pas terminée. Il y a, du reste, encore place pour trois ou quatre lettres après ce fragment de mot.

Tabla est ici une altération du mot propre tabula qu'on employait pour désigner un tableau votif, un ex-voto.

(1) Dans cette épigraphe, les lettres N et M sont entièrement composées de diagonales.

(2) Ce paraît être le Dieu Mastiman dont parle M. Judas dans son savant article sur dix-neuf inscriptions numidico-puniques découvertes à Constantine. V. l'Annuaire (1860-1861) de la Société archéologique de Constantine, p. 57. Dans cette hypothèse, le nom aurait été Mastanam, sur notre inscription; car après l'amorce de ce qui serait un T, on aperçoit l'amorce d'un A.

Revue afr. 6, année, no 31.

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