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rent dans l'Oasis, altirés soit par les querelles des habitants, soit pour imposer le pays.

De même que dans les bourgades Kabiles, des dissensions continuelles divisaient, nous l'avons dit, les fractions des villes du Sud; et la réunion de quelques-unes de ces fractions opposées à l'alliance des autres quartiers correspond exactement aux Sof de Kabilie, un des phénomènes politiques les plus remarquables du système démocratique des peuples berbers. Pas plus que les autres, BouSada n'échappa à la loi commune. Les élémens divers qui peuplaient la ville, se livrèrent à plusieurs reprises des guerres acharnées. Ainsi, vers 1170 de l'hégire, les Mohamin, qui occupaient le même quartier de la ville que les Oulad Si Harkat, se battirent contre eux et furent expulsés. Quelques années plus tard, ils obtinrent de rentrer; mais, ne pouvant rester en paix, de nouvelles querelles les firent encore chasser, et ce ne fut que huit ans après qu'ils purent revenir s'installer dans le quartier où ils sont aujourd'hui. La fraction dite El-Ouêche, séparée de Bou-Sada par un ravin, fut fréquemment en hostilité avec le reste de la ville, et, malgré sa faiblesse, n'eut pas toujours le dessous.

Ces divisions étaient continuelles; et, si on ne brûlait pas constamment la poudre, il n'était pas prudent aux habitants des deux quartiers de s'aventurer les uns chez les autres.

:

Plusieurs fois les Oulad-Mah'di et les Oulad Nail, profitant de ces divisions intestines ou même appelés par de sourdes menées, rançonnèrent la ville une centaine de cavaliers de ces tribus entraient par la rivière et campaient dans l'Oasis, où ils imposaient les habitants, grâce à la profonde terreur qu'ils inspiraient. Cependant, il paraît qu'un beau jour les Bou-Sadi se décidèrent à la défense, car ils racontent, avec orgueil, qu'un homme des Oulad Mah'di, retenu captif dans une de ces incursions fut, sanglant outrage, vendu comme un vil nègre. Les plus redoutés de ces ennemis extérieurs, étaient les Oulad-Sah'noun, tribu lointaine, qui, tombant à l'improviste sur Bou Sada, n'offraient pas la facilité d'une revanche aux habitants comme les Oulad Mahdi, dont les silos étaient proches.

Les gens de Bou-Sada ont gardé le souvenir d'un Bey Ah'med (EIKolli) qui vint visiter le Hodna vers 1178. C'était, si l'on en croit les anciens, la première apparition des Turcs dans le pays. Cette visite ne tarda pas à être suivie de plusieurs autres, jusqu'en

1218, époque où le Béy Othman (1) arriva pour interposer son autorité entre les fractions des Ou!ad-Mahdi (2).

Vers 1225, Djallal, bey de Médéa, vint châtier les Oulad Mah'di qui, s'étant révoltés, avaient razié les Oulad Selama et les Adaoura. Le Bey fut battu. Heureusement, une colonne turque, sous le commandement de l'Agha Omar El-Dzaïri, accourut à son secours, devant faire jonction sous les murs de BouSada, avec une autre colonne venue de Constantine, aux ordres de Sahnoun-Bey (3).

Les habitants de Bou-Sada, alarmés à juste titre de cette réunion, prirent prudemment le parti de s'enfuir avec ce qu'ils avaient de plus précieux, abandonnant leur ville aux Turcs campés non loin de là. Ceux-ci la pillèrent et se dirigèrent vers M'sila, où l'Agha Omar fit assassiner le Bey de Constantine, coupable de ne s'être pas rendu assez vite aux ordres du Divan d'Alger, mais, en réalité, par jalousie de l'appareil de puissance et de richesse déployé par ce Bey.

De temps à autre les Beys de Constantine continuèrent à profiter des rivalités des tribus du Hodna pour descendre à Bou-Sada et y percevoir de fortes Lezma (impôt extra-légal).

Le dernier de tous fut Ah'med Bey, que nous avons expulsé de Constantine: il vint poursuivre un chef arabe rebelle, jusque chez les Oulad Naïl. Pendant cette excursion, il fut rejoint par Ah'med Oulid Bou Mezrag, fils du Bey de Titri qui venait d'être chassé de Médéa et réclamait l'appui du Bey de Constantine pour reconquérir l'héritage paternel. Bou Mezrag accompagna le Bey à Constantine et revint avec un goum

considérable de toutes les tribus du H'odna.

Il y avait déjà six années que les Français étaient dans la

(1) C'est ce même Bey qui, l'année suivante, étant allé porter l'impôt à Alger, fut obligé d'en revenir en toute hâte; un certain marabout, originaire de l'Est, Moh'ammed Bel Arche, connu dans les auteurs Européens sous le nom du Forban de Djidjelli, vint d'Oran, passa à Bou-Sada, se rendit chez les Zouaoua, où il leva une armée considérable. Grâce à de nombreuses intelligences parmi les confréries des Khouan de Constantine, il mit les Turcs à deux doigts de leur perte. Othman Bey parvint cependant à les chasser.

(2) Cette tribu jouissait avant 1830, des priviléges des tribus Makhzen. (3) Ce nom manque dans la chronologie des Beys de l'Est. N. de la R.

régence. quand Bou Mezrag accompagna le Bey à Constantine, et revint avec un goum considérable de toutes les tribus du H'odna.

A ce moment, les Hal Bou Sada étaient en lutte avec les Oulad Sidi Brahim, dont ils avaient lieu de redouter la puissance. La Djêma de Bou Sada, voyant passer l'armée du Bey de Titri, implora son appui, qu'il leur accorda, pour se ménager des ressources dans la guerre qu'il allait entreprendre. Les choses allaient très bien pour les gens de Bou Sada, si le vieux Khalifa de la Medjana, un Mokrani (1), n'avait reçu de fortes sommes des Oulad Sidi Brahim pour soudoyer les goums de Bou Mezrag, qui se fondirent comme les neiges du Jurjura un jour de soleil.

Le jeune chef, voyant lui manquer l'appui sur lequel il avait complé, regagna avec quelques cavaliers la route de Sour ElR'ozlan (2), ancien bordj turc ruiné, situé sur les pentes Nord du Dira, contre la route de Médéa.

IV.

Lors de l'hiver de 1837-1838, l'Emir El H'adj Abd el-Kader vint dans le Ouennour'a destituer le Khalifa de la Medjana et du H'odna qu'il soupçonnait de relations avec l'autorité française. Après avoir nommé à sa place Abd es-Selam Bon Diaf, l'Emir passa à Bou Sada, se dirigeant avec son armée sur Aïn Mah'di, la ville sainte du marabout Tedjini, où ses canons ne devaient laisser debout qu'un seul palmier. On sait le retentissement qu'eut ce siège mémorable parmi les populations Sah'ariennes, dont il aliéna les esprits à la cause de l'Emir.

Pendant ce temps, une colonne française aux ordres du général Négrier, commandant la division de Constantine, s'avançait dans le H'odna; tandis que le frère d'Abd el-Kader, Sid El

(1) La famille des Oulad Mokran (du mot kabile Amokran, chef, grand) a sa principale résidence dans la bourgade de Kalâ, chez les Aith'Abbès, c'est là que l'imagination des Arabes prétend qu'est enfoui le trésor de 70,000,000 des Mokrani, illustres dans le pays par leur ancienneté et leur immense influence. Si l'imagination des indigènes voit dans les Mokrani des millionnaires, celle, non moins pittoresque, des Français, en a fait longtemps et sans savoir pourquoi les descendants des Montmorency... (2) La cité romaine d'Auzia, ruinée et abandonnée lors de la grande révolte de 297, aujourd'hui la ville française d'Aumale.

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H'adj Moustafa ben Mahi Eddin, accompagné d'El-Hadj el-Kharoubi, Agha de l'infanterie, étaient venus mettre la paix entre les chefs nommés par l'Emir et surveiller leurs menées ambitieuses. A l'approche da général français, ils se réfugièrent dans la petite oasis d'Ed-Dts, où ils placèrent leur jusqu'à la rentrée des Chrétiens.

Ce ne fut qu'en 1843, que le général de brigade de Sillègue pénétra dans Bou-Sada, à la tête d'une expédition. Il reçut un excellent accueil des habitants.

En 1845, une autre colonne, composée de cavalerie et ayant pour chef le général d'Arbouville, visita Bou-Sada. Depuis ce moment, les expéditions qui battaient le Sud, à la poursuite de l'Emir ou de ses lieutenants, passaient par M'sila et BouSada.

En 1849, un marabout très influent, Moh'ammed ben Ali hen Chabira, réunissait souvent les Khonan de Bou-Sada (1) dans une mosquée qu'il avait fait construire, et y prêcha le Djeh'ad ou guerre sainte. La puissante tribu des Oulad-Nail y comptait de nombreux adeptes; et, lorsque Ben Chabtra se joignit au fameux Bouzian (2), il entraîna plusieurs fractions à la révolte. C'était en 1849 :

Nos troupes se rendaient à Zaatcha; le général Charon, alors Gouverneur Général, résolut d'occuper Bou-Sada, et de fonder un établissement sur ce point, intermédiaire important entre Bisk'ra et El-Ar'ouat.

Le colonel de Barral (3) y laissa une garnison de 150 hommes, affaiblis par les marches, et commandés par le Sous-Lieutenant Lapeire (4). A peine le gros de la colonne fut-il parti, que la petite troupe française se trouva obligée de se réfugier dans la grande mosquée, et la ville se divisa en deux partis,

(1) Les Khouan de Bou-Sada appartenaient aux ordres de Sid Abd ErRahman Tedjini (confrérie sah'arienne) et à celui, tout local, de Si Mouça ben'Amar, Ce que nous allons dire est un faible échantillon de l'influence de ces ordres chez les Musulmans. Nous recommandons au lecteur qui voudrait approfondir cette influence d'étudier les événements qui précédèrent le siège de Zaatcha.

(2) Un des principaux instigateurs de l'insurrection de Zaatcha.
(3) Tué comme Général, chez les Aith Immel, Kabilie Orientale.
(4) Tué par un des premiers boulets russes,à la bataille de l'Alma.

dont l'un voulait l'extermination des étrangers et l'autre acceptait notre domination. Le Djêma se réunit, et, à la suite d'une discussion fort animée, on prit les armes. Les Oulad Naïl accoururent sous les murs de la ville, et les Achache, les Oulad Si Harkat commencèrent le feu par la porte qui va de chez ces derniers au quartier des Mohamîn. La garnison se trouva obligée de se défendre, soutenue énergiquement par Mohammed ben Azoun, Cheikk actuel, qui eut son fils tué dans la bagarre. La nouvelle de cette insurrection ne tarda pas à arriver à Bordj Bou-Areridj, poste important de la Medjana. Le capitaine Pein (1) qui commandait le fort, réunit précipitamment une cinquantaine de fantassins disponibles et se dirigea sur M'sila, pour gagner en toute hâte Bou-Sada.

C'était une tâche difficile et périlleuse, car on disait les Oulad Mah'di en pleine révolte. Il fallut au capitaine Pein une rare énergie pour surmonter les difficultés et triompher de l'hostile mauvais vouloir des indigènes; il parvint cependant à rassembler quelques cavaliers; et, laissant l'infanterie derrière, il prit au galop la route de Bou-Sada. Sidi Moh'ammed ben Azoun accourut au devant du capitaine français. La petite troupe tourna la ville et, malgré une vive fusillade, pénétra par Bab ElDzaïr, chez nos alliés les Mohamin, dont il était grand temps de relever le moral chancelant.

La garnison française occupait toujours la mosquée et fut renforcée, pendant la nuit, par l'arrivée du petit détachement de Bordj Bou-Areridj. Deux jours après, le Khalifa de la Medjana, Sid El-Mokrani, arrivait avec un nombreux contingent, et le capitaine Pein put prendre l'offensive.

A quelques jours de là, survint la colonne commandée par le Colonel Canrobert; depuis et avant Aïn-Akherman, sa marche n'avait été qu'un lugubre convoi; le choléra sévissait parmi ses soldats, obligés de repousser l'ennemi pour ensevelir leurs camarades. C'est là, qu'à un moment, harcelé par des forces considérables et voyant tomber les siens, le Colonel Canrobert, dont le nom était déjà populaire dans l'armée d'Afrique, s'avança vers les Arabes et, leur montrant les cadavres, leur dit : « Fuyez...

(1) Ce même officier est aujourd'hui Colonel, commandant la subdivision de Batna.

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