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mes apprenaient d'eux les moyens de semer la désunion entre l'homme et la femme, mais les anges n'attaquaient personne sans la permission de Dieu. Cependant les hommes apprenaient ce qui leur était nuisible et non pas ce qui pouvait leur être avantageux; et ils savaient que celui qui avait acheté cet art était déshérité de toute part dans la vie future, vil prix que celui pour lequel ils ont livré leurs âmes, s'ils l'eussent su! »

Enfin notre savant ami, M. Bresnier nous signala, dans l'exégèse coranique d'El-Khazin, une tradition fort curieuse sur les deux anges Harout et Marout. Grâce à la traduction orale qu'il fit, séance tenante, de ce texte difficile et que nous n'avons eu qu'à rédiger, nous pouvons livrer au lecteur une légende très-attachante et dont il semble que Voltaire se soit inspiré dans un de ses plus jolis contes en prose.

La voici aussi exactement qu'il nous a été possible de la reproduire.

Vers le temps d'Edris (le même, dit-on, que notre patriarche Enoch), les anges entendant monter jusqu'au ciel le bruit honteux des mauvaises actions des hommes, en furent indignés et dirent au Seigneur.

Ce sont donc là les êtres que tu as placés sur la terre et tes créatures d'élection; vois comme ils te désobéissent ?

Pour faire comprendre cette observation peu bienveillante à notre endroit des membres de la milice céleste, il faut l'accompagner d'une observation empruntée à la tradition musulmane Selon celle-ci, lorsque Dieu eut la pensée de peupler la terre par les hommes, les anges y firent quelques objections auxquelles un sentiment de jalousie n'était pas étranger; car ils redoutaient de voir les affections du Très-Hant s'étendre à d'autres êtres qu'aux habitants du ciel. Le Tout-Puissant ne s'arrêta pas à leurs paroles et la terre s'anima bientôt par l'avénement de notre espèce. Voulant même donner une leçon aux opposants, il leur demanda un jour le nom de quelques-uns des minéraux et des plantes de notre globe et ils furent obligés de répondre qu'ils les ignoraient. Dieu s'adressa alors à Adam qui désigna chaque chose par son nom, à l'aide du don des langues qu'il avait reçu de son Créateur. Ceci bien entendu, continuons notre légende.

L'Eternel, aussi bon que Tout-Puissant, répondit avec douceur à l'observation malveillante des anges: Si l'on vous avait envoyés vous-mêmes sur la planète des hommes avec l'organi

sation qui leur est propre, vous n'auriez pas évité leurs erreurs et leurs fautes.

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Grand Dieu! s'écrièrent-ils, il n'est pas dans notre nature de pouvoir jamais vous désobéir.

Eh bien, dit le Seigneur choisissez deux des meilleurs d'entre vous et je les ferai descendre sur la terre pour les mettre à l'épreuve.

Ils acceptèrent, et leur choix tomba sur Aza et Azama, les plus parfaits des légions angéliques et les plus enflammés de l'amour du divin Maître.

Le Très-Haut leur donna donc les aptitudes et les facultés bumaines, changea leurs noms en ceux de Harout et Marout et les fit descendre sur la terre, leur ordonnant d'exercer sur les hommes une autorité équitable, leur défendant le polythéïsme, le vin, l'incontinence et le meurtre, hors le cas de légitime défense.

Pendant le jour, ces deux anges s'appliquaient à juger les différends des mortels; et, lorsque le soir était venu, ils prononçaient le nom secret de Dieu pour remonter au ciel; car leurs ailes avaient perdu leur ancienne puissance et il leur fallait l'efficacité de ce mot redoutable pour s'élever dans les airs.

On prétend qu'un mois s'était à peine écoulé que leur vertu était déjà ébranlée; quelques auteurs assurent même qu'elle chancela dès le premier jour. Voici à quelle occasion.

Une femme appelée Zahra se présente à leur tribunal pour plaider contre son mari ; c'était la plus belle des personnes de son sexe qui faisaient l'ornement de la Perse, et de plus elle était reine. à ce qu'on assure. Les anges Harout et Marout ne purent la voir sans se sentir émus jusqu'au fond du cœur. Le plus expansif dit à son camarade: Est-ce que vous éprouvez aussi le trouble que je ressens? Oui, répondit l'autre. Avec des juges ainsi disposés, il va sans dire que la femme devait gagner son procès, quoique son mari, dit-on, eût la raison de son côté.

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La passion prenant le dessus chez nos anges prévaricateurs, ils en viennent à solliciter Zahra de répondre à leur amour. Celle

ci refuse de les écouter et se retire.

Mais la passion croissant toujours, le lendemain ils renouvellent leurs instances et éprouvent un nouveau refus. Comme ils revenaient à la charge le troisième jour, Zahra leur dit :

Si vous consentez à boire du vin, à tuer quelqu'un et à adorer lidole qui est l'objet de mon culte, je promets de vous écouter.

Vous demandez là l'impossible, s'écrièrent-ils d'un commun accord, car Dieu nous a défendu ces choses !

Cependant l'amour, dominait de plus en plus dans leurs cœurs, si bien que lorsque Zahra se représenta devant eux, cette fois avec une coupe de vin dans sa main blanche et potelée, ils renouvelèrent encore leurs instances. La femme y répondit en renouvelant ses propositions.

L'amour régnait désormais en maitre dans ces cœurs subjugués qui n'avaient déjà plus rien d'angélique. Il ne s'agissait donc que de trouver un biais pour capituler avec la conscience. Ce ne fut pas long.

Le plus subtil des deux tint ce discours à son compagnon: Certes, c'est un bien grand crime que d'adresser des prières à d'autres qu'à Dieu; c'en est un encore de tuer un homme. Mais tremper les lèvres dans cette coupe, c'est, assurément, le moindre des péchés que le Tout-Puissant nous a défendus. D'ailleurs, notre divin maître est si miséricordieux! Et, là-dessus, ils vidèrent la coupe.

Quand ils eurent bu ils oublièrent la chasteté encore plus facilement qu'ils n'avaient oublié l'abstinence de la liqueur pros crite.

Or, par hasard, un homme les vit pendant cette deuxième infraction. C'était le mari de Zahra disent quelques commentateurs. Quoi qu'il en soit, ils ne voulurent pas que leur honte fût rendue publique et ils tuèrent ce témoin dangereux.

Enfin, ils franchirent le degré qui les séparait encore de la plus énorme des transgressions et ils adorèrent l'idole !

Mais, selon quelques auteurs, Zahra, avant de céder à leurs sollicitations, avait obtenu d'eux, outre le gain de son procès, la connaissance du nom caché de l'Eternel, à l'aide duquel les deux anges retournaient au ciel chaque soir. Une fois en possession de ce précieux secret, elle s'était élevée dans les airs jusqu'à la région céleste. Dieu, dit-on, la jugeant moins dangereuse àu ciel que sur la terre en fit la planète Vénus, que les Arabes appellent Zahra, à cause d'elle.

Mais quand Harout et Marout voulurent, comme d'habitude, remonter le soir au firmament, ils se trouvèrent frappés d'impuissance et leurs pieds ne purent se détacher de la terre. Profondément navrés de cette déchéance, ils allèrent raconter au prophète Edris ce qui leur était arrivé, en le priant d'intercéder pour eux

auprès de l'Eternel. Nous savons, lui dirent-ils, que le culte que vous adressez personnellement à Dieu, équivaut en puissance à celui que lui rendent tous les habitants de la terre ensemble.

Edris consentit à être leur intercesseur, et Dieu, à la considération d'Edris, leur laissa le choix d'un châtiment dans ce monde ou dans l'autre. Sachant que le ciel est éternel et que la terre doit finir, ils optèrent naturellement pour celle-ci.

Ils subissent leur punition à Babel (Babylone), et leur orgueil est humilié dans le lieu même ou celui des hommes le fut jadis, aux temps qui suivirent le déluge.

Les opinions varient sur la nature de leur peine, qui doit durer jusqu'au jour du jugement dernier. Ils sont suspendus par les cheveux, disent certains docteurs; ils sont frappés et déchirés par des barres de fer, assurent d'autres théologues; un homme, qui était allé à eux pour apprendre la magie, les a vus suspendus par les pieds; leurs yeux bleus, si beaux jadis, sortaient hideusement des orbites; leur peau, autrefois si blanche, était devenue noire comme celle du démon. Il n'y avait entre la pointe de leurs cheveux et l'eau coulant au-dessous d'eux qu'une distance de quatre doigts, et cependant ils sont toujours torturés par une soit ardente.

Le témoin oculaire dont nous rapportons le témoignage, s'écria en voyant ces choses: Il n'y a de Dieu que Dieu !

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Qui êtes-vous? dirent les anges Harout et Marout, en enten

dant ces paroles.

-

-

Un être appartenant à l'espèce humaine.

De quelle nation?

De celle de Mahomet.

Hé quoi, est-ce que Mahomet a accompli sa mission?

Oui, fit l'homme.

- Dieu soit loué ! exclamèrent les deux anges, et il témoignèrent une grande joie.

D'où vient votre allégresse? demanda le visiteur.

De ce que Mahomet est le prophète des derniers temps et que la fin de notre supplice approche.

Telle est la légende racontée par les commentateurs du Coran et que nous avons empruntée à El-Khazin en particulier.

Le récit qu'on vient de lire est vrai en ce sens qu'il reproduit. la légende éternellement applicable aux gens orgueilleux de leur

vertu, aux rigoristes impitoyables qui, sans aucune charité pour leurs frères, leur reprochent durement des fautes qu'eux-mêmes auraient commises, sinon de pires encore, s'ils eussent élé à la place de ceux à qui ils lancent si légèrement l'anathème.

Quant à l'application des noms de Harout et de Marout et de leurs aventures, au personnage dans le tombeau duquel on a trouvé l'amulette, il y aurait témérité à la risquer, ne sachant pas même quel a été ce personnage.

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et

Il est fort probable qu'on l'a employé comme un heurz quelconque et sans s'inquiéter de savoir si elle convenait aux circonstances de la vie du défunt. Car autant qu'on peut juger du passé par le présent, il est certain que ceux qui emploient ces formules souvent aussi ceux qui les font ne les comprennent presque jamais. Les faiseurs d'amulettes se bornent en général à copier et recopier de vieux modèles, ne prenant guère souci de les accorder avec les personnes auxquelles ils les vendent.

Nous nous garderons donc bien de préciser ici ce qui est destiné à rester dans le vague. Nous ne rechercherons même pas si le fragment de verset « Lorsque vous tuâtes un homme... » fait allusion au meurtre commis par Harout et Marout ou à un assassinat dont aurait été victime le défunt dans la tombe duquel l'amulette a été trouvée. La première attribution est pourtant assez séduisante, puisque ce fragment appartient au même chapitre que celui où il est question des deux anges prévaricateurs et que quelques versets seulement les séparent, l'un portant le n° 67 et l'autre le n° 96. Mais il est plus prudent de terminer par la phrase favorite de Montaigne :

Que sais-je?

A. BERBRUGGER.

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