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mais suffisants pour vivre; d'autres encore possédaient quelques chameaux, des moutons, dont ils échangeaient les produits; mais quand une année de famine arrivait, que les troupeaux ne rencontraient pas un brin d'herbe, alors tous les habitants étaient obligés d'émigrer vers un pays où la vie était plus facile. Après la cessation de la sécheresse, les propriétaires de jardins revenaient dans le village, mais ceux qui trouvaient qu'à Amoura il fallait trop s'industrier pour vivre, restaient dans ce pays qu'ils avaient d'abord choisi comme lieu de refuge. Le village perdit ainsi beaucoup de sa population.

Après la mort d'Aïssa ben Soltan, chef de la fraction des O. Soltan, homme probe et plein de générosité, les 0. Sidi Bou Zid, envieux du bien-être et de la considération que ses vertus avaient jetés sur ses frères, voulurent les exiler de force. La rixe ne fut pas trop sanglante il n'y eut que quatre morts des deux côtés. La réconciliation entre les deux partis ne tarda pas; la paix et la tranquillité, depuis lors, n'ont pas été troublées.

280 habitants est le chiffre de sa population.

(A suivre)

ARNAUD,

Interprète de l'Armée.

MŒURS ET COUTUMES KABILES.

I.

Les populations de la Kabilie Orientale, comme celles du Jurjura, si longtemps rebelles à toute domination, ont conservé des coutumes et des usages traditionnels qu'il est très-intéressant pour nous d'étudier et de bien connaître. Déjà la Revue Africaine a publié, sous le titre Une charte Kabile, un travail très-curieux de M. le lieutenant colonnel Hanoteau, sur les habitants du Jurjura; la découverte dans la Kabilie Orientale d'un document écrit ayant quelque analogie avec la charte de M. Hanoteau, m'a amené à rechercher de nouveaux détails, à demander des explications, à la suite desquelles j'ai recueilli les faits que je vais signaler. Ce sont des éléments épars dont la nouveauté entre, je crois, dans le cadre de la Revue, en ce qu'ils consistent en coûtumes pleines d'originalité, souvent même grossières et barbares, mais qui ont cependant un côté sous lequel se révèle le caractère et l'esprit de ce peuple primitif.

Avant la conquête du pays, les tribus de la Kabilie Orientale inattaquables dans leurs montagnes, vivaient dans une anarchie complète indépendantes les unes des autres, elles n'obéissaient qu'à leurs djemaâ, composées des anciens ou de ceux qui, par leur valeur, leur fortune ou leur force physique en imposaient à la multitude. Les Beys de Constantine, ayant sur elles une action plutôt nominale que réelle, étaient incapables d'y introduire leur domination, à plus forte raison de proscrire et de réformer certaines coutumes traditionnelles réprouvées par les préceptes du Koran. La désastreuse tentative d'Osman dans la vallée de l'Oued el-Kebir (bas Reumel), démontre combien, chez ces montagnards, l'autorité des Beys était méconnue (1).

Les Kabiles, musulmans par la forme, ont accepté du Koran tout ce qui pouvait flatter leurs intérêts ou frapper leur imagi

(1) La seule répression dont disposaient les Beys était de faire arrêter les Kabiles travaillant à Constantine ou dans les tribus Arabes, de les garder en otages et, quelquefois, de les faire décapiter, pour punir les fautes commises par leurs frères.

nation superstitieuse, mais ils n'ont pu se résoudre à renoncer aux coutumes transmises par leurs ancêtres. Si parfois un kadi ou un taleb quelconque, voulant faire application de la législation musulmane, protestait contre cet état de choses, sa voix était méconnue, la volonté de la djemaå et l'ada, la coutume, prévalait toujours, d'où est venu le proverbe :

Chez le Kabile, le Kadi juge,

Mais la Djemaâ aunule le jugement.

Un Kabile, qui avait une affaire d'intérêt à régler avec son voisin, s'en fut trouver un taleb nouvellement établi dans la tribu et le pria de lui écrire une liste de témoins le déclarant seul et légitime propriétaire de la chose contestée. Le taleb refusa, dit-on. Quelques jours après, le kabile revenait à la charge, mais cette fois avec les mains pleines.

« Voilà, dit-il; dans l'une sont cinq bacetta (12 fr 50 c.) pour payer ton papier;

» Dans l'autre, il y a cinq balles dont je vais charger mon fusil et ceux de mes fils, si tu ne fais point ce que je demande (1). »

Le taleb persista sans doute dans son refus, car on m'a assuré que, le lendemain de cette visite, il déguerpit pour aller habiter chez des gens moins sauvages.

Cependant, la tradition rapporte qu'à une époque déjà reculée, un marabout très éclairé, sidi Hassen des beni Ourtilan, tribu à l'Ouest de Sétif, entreprit de régénérer la sociéte kabile et de détruire par la force ce que la persuasion n'avait pu obtenir. Il parvint à adoucir les mœurs de quelques tribus, mais comme la tâche était difficile et longue, la mort l'arrêta dans son œuvre civilisatrice. Aucune tentative de ce genre ne fut renouvelée depuis lors.

(1) Les Kabiles, très crédules et très superstitieux, ont grande confiance aux écrits de leurs taleb. Ceux-ci leur confectionnent des amulettes possédant le pouvoir de les rendre invulnérables, d'écarter tout maléfice, de rendre leurs femmes fécondes, de faire tomber la malédiction céleste sur l'objet de leur haine.

Ils font aussi, en faveur du plus offrant, des listes de témoins vrais ou supposés, certifiant un fait quelconque. Il arrive souvent que les deux parties en procès produisent de ces listes émanant du même taleb, qui leur donne également des droits incontestables mais contradictoires.

Revue Afric. 6 année, no 34.

18

Chez les habitants de la Kabilie orientale, on ne rencontre pas, domme. chez ceux de la confédération des Zouaoua, de l'OuedSahel, du Bou Sellam on du Babor, de ces grands et populeux villages, aux maisons solidement construites, blanches et recouvertes en tuiles, qui dénotent un certain bien-être résultat du travail et de l'industrie. Depuis le versant oriental du Babor et jusqu'à l'Edoug près de Bône, on ne voit généralement que de pauvres cahutes en clayonnages ou en torchis, recouvertes en dis ou en liège, dans lesquelles gens et animaux logent pêle-mêle (1). Les demeures de quelques richards font seules exception à cette situation générale.

A partir de cette même limite, le langage change également : on ne parle plus et on ne comprend même pas la langue Kabile proprement dite. La langue usuelle est un arabe corrompu par la prononciation vicieuse de certaines lettres et l'emploi fréquent de locutions avec lesquelles, moyennant un peu d'attention, on se familiarise aisément au bout de quelques jours.

La lettre kaf, se prononce tche et les mots melk, balek, andek, deviennent meltch, baletch, andetch.

L'emploi de notre préposition de qui s'exprime par le mot di semble également anormale lorsqu'on entend ces Kabiles pour la première fois, par exemple :

La fontaine de Bou-Mouche, l'ain di Bou-Mouche; la montagne des oulad Asker, djebel di oulad Astcher (2).

La lettre a se rend souvent par le son é, à peu près comme le prononcent les juifs algériens.

De même que leurs frères des Zouaoua, les kabiles orientaux sont forcés, pour pouvoir vivre, de se rendre de temps en temps dans le pays arabe, où ils travaillent comme moissonneurs, jardiniers ou manœuvres. Au moment de quitter les bois qui couvrent leurs montagnes pour descendre vers les régions arides et dénudées, ils font un vœu au principal marabout de leur

(1) Il est bien probable que c'est ce pays sauvage, et non l'Edoug, qui correspond au mont Pappua où le dernier roi Vandale, Gelimer, se refugia momentanément après les victoires de Bélisaire. Redaction.

Note de la

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patrie pour qu'il leur soit propice et favorise leur voyage. Ceux du Zouar'a, oulad Asker, par exemple, s'adressent à leur marabout, sidi Ouchenak, dont la mezara est sur la montagne entre Fedj el-Arbâ et Fedj-Fdoulès. Voici textuellement leur prière, écrite par un taleb de l'endroit :

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O sidi Ouchenak', je me rends dans le Sud,
Sous ta protection; si je reviens bien portant
Et en paix, je te donnerai une offrande :

Un petit pain d'orge (bou mâraf),

Une petite chandelle et deux sous d'encens.

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Le 15 juin 1860, la colonne expéditionnaire de la Kabilie orientale pénétrait au cœur du pays des beni Khettab, principaux instigateurs de la révolte qui avait éclaté et établissait son camp sur le djebel Tafortas, le chauve, dont la cime (1251 mètres) marque en effet le commencement de la zône où la végétation ne peut atteindre.

sacs

Le 19 juin, une colonne légère de quelques bataillons sans poussait une reconnaissance vers le pic de Sidi-Mârouf où, assurait-on, les rehelles s'étaient retirés avec leurs familles et leurs troupeaux.

Le Sidi Marouf est un immense rocher aride, plein d'anfractuosités, surmonté de plusieurs dentelures aux formes bizarres que nos troupiers, dans leur langue pittoresque, ont baptisé du nom de Cornes du diable, Il se détache de tous côtés par des

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