Images de page
PDF
ePub

une sorte de pioche (chettabia) au tranchant large et bien affilé, qui servait en même temps de décoration au café des chaouches, où elle restait toujours suspendue, comme un épouvantail pour les passants. Voici comment on procédait :

Le patient était agenouillé à terre dans la posture de la prostration, le fer s'abattait sur son col tout comme la pioche du fossoyeur dans la motte de terre; en sorte que l'on pouvait dire de cet instrument qu'il piochait les têtes, comme on a dit du glaive qu'il les moissonne. C'est à l'invention de cet ignoble couperet que le bey El-Mili dut le surnom de Bou Chettabia (l'homme à la pioche) par lequel on l'a désigné depuis.

Le kaïd Ed-derbia et Si Tahar ez-Zemouri, secrétaire du Kaïddar, furent les premiers qui expérimentèrent cet odieux instrument de mort, sous lequel tombèrent également les têtes du bache-seïar, de Sliman ben Dali, à la fois agha ed-deïra et kaïd ez-zemala, et d'un grand nombre d'arabes du dehors.

Au printemps de l'année suivante, il se rendit lui-même à Alger pour acquitter le tribut. En outre, il fit aux membres du divan des présents considérables pour s'attirer leur appui; et, après huit jours passés dans cette ville, suivant l'usage reçu, il reprit le chemin de sa province. Mais, à la première étape, les chaouches du pacha l'arrêtèrent et le conduisirent prisonnier à Miliana, où il resta interné jusqu'à l'arrivée des Français (1). Son gouvernement avait duré un an.

IBRAHIM BEY EL-GHARBI.

1819.

Ibrahim el-Gharbi était bey de Médéa et se trouvait à Alger en même temps que Bou Chettabia. C'est à cette circonstance qu'il dut

(1) Revenu à Constantine sous le règne d'el-Hadj-Ahmed, il ne quitta cette ville que lors de la chute du Bey, en 1837, et devint dans la suite oukil d'Abd el-Kader.

Note de la Rédaction Il s'agit ici de la Koubba de Sidi Abd el-Kader el-Djilani, marabout bien connu et fort visité à Alger. Nous avons vu la fameuse pioche, ou pour mieux dire, hachette, entre les mains de l'ex-bey, qui la mentrait volontiers et avec un certain orgueil. Elle était enrichie d'arabesques et d'inscriptions incrustées en argent. El-Mili en indiquait le maniement avec une complaisance parfaite.

d'être nommé bey de Constantine. Son séjour dans la capitale avait été tenu fort secret, et ce ne fut qu'après l'arrestation de Bou Chettabia, qu'il rejoignit ouvertement le détachement qui se rendait à Constantine pour y tenir garnison pendant la saison d'été. Il amenait en outre avec lui un corps de troupes fort de soixante tentes. Tout le long de la route, à partir de Righa, il préleva sur les tribus campées sur son passage, l'impôt de l'été, ce qui retarda considérablement sa marche. Aussi, n'arriva-t-il à Constantine que deux mois environ après son départ d'Alger, et la population impatiente de voir son nouveau maître, se porta en foule à sa rencontre. Les changements qu'il introduisit dans la composition du makhzen furent peu importants. Ali Barbar, son parent, fut nommé kaïd el Aouassi, et Sliman Bidj el-Mamlouk, bache-kateb. Quant aux autres employés, ils furent maintenus dans leur position.

Le nouveau bey était d'un caractère indolent, peu versé dans les affaires administratives, mais doué d'un esprit droit, ennemi de l'injustice et sachant retenir dans les limites du devoir les hommes chargés d'administrer sous ses ordres.

On le vit rarement siéger au tribunal de la justice. Le plus souvent, il se tenait dans son cabinet et c'est là qu'il recevait ses visiteurs. Peu d'expéditions furent entreprises.

C'est sous son gouvernement que le khalifa Hadj Ahmed, qui fut plus tard boy, s'enfuit de Constantine pendant la nuit, en se laissant glisser le long des pentes escarpées qui se trouvent derrière le quartier du Tabia, et se réfugia à Alger. Mahmoud ben Tchaker bey fut nommé khalifa à sa place.

Dans ce nouveau poste, d'où ses antécédents auraient dû l'éloigner à tout jamais, il se montra ce qu'il avait été déjà, injuste cruel, fourbe, débauché et arrogant. Abusant de la faiblesse de son maître et de l'influence de sa position, il infligeait de sa propre autorité des amendes, percevait les impôts, rançonnait les contribuables, pillait le trésor, et se faisait ainsi des revenus plus considérables que ceux du bey lui-même. La gestion des finances était toute entière entre ses mains, et rien ne se faisait que par sa volonté. Son audace alla même bientôt jusqu'à destituer les membres du conseil qui lui portaient ombrage et à les remplacer par ses créatures. C'est ainsi qu'il fit arrêter le nouveau kaïd-dar qui avait succédé à Soliman Bidj, et il ne lui rendit la liberté que moyennant une rancon de trois mille réaux, lui donnant pour successeur son favori Ali el-Mamlouk.

Ibrahim bey, plongé dans cette nonchalance habituelle qui lui faisait plutôt rechercher les plaisirs énervants du harem, restait étranger à tous les actes de son khalifa et sentait sa volonté impuissante pour réprimer de pareils abus. Mais les plaintes des sujets étaient arrivées jusqu'à la cour d'Alger, et si la conduite du fils de Tchaker y parut odieuse, on ne désapprouva pas moins le bey qui tolérait de tels actes.

A ces causes de mécontentement, vint s'en joindre une autre bien plus grave. Grâce aux dilapidations journalières que Mahmoud et ses partisans faisaient subir au trésor, il arriva que lorsqu'il fallut aller payer le denouche du printemps, les caisses se trouvèrent à peu près vides. On fit bien rentrer à la hâte quelques impôts, on pressura bien tant soit peu les contribuables; un déficit énorme n'en exista pas moins. Et pourtant, on ne pouvait différer d'acquitter ce devoir, pour lequel le gouvernement se montra toujours sans entrailles.

En sa qualité de khalifa, Mahmoud partit, emportant avec lui tout ce qu'il avait pu rassembler en numéraire et en présents. Arrivé à Alger, sur les représentations qu'on lui fit que la somme qu'il portait était insuffisante, il répondit que c'était là tout ce que lui avait remis le bey. Le pacha, outré, écrivit à ce dernier qu'il eût à compléter immédiatement la somme, et lui fit sentir en des termes fort durs combien il était mécontent de sa gestion. Le bey ne répondit rien. Le divan impatienté d'attendre et reconnaissant d'ailleurs que son représentant était totalement incapable de gouverner, le révoqua et mit à sa place Ahmed bey el-Mamlouk qui, comme nous l'avons vu déjà, avait occupé ce poste deux ans aupaFavant, et était depuis resté exilé à Mazouna.

(La suite au prochain numéro)

E. VAYSSETTES.

MISSUA CIVITAS

(Sidi Daoud en Nebi)

TUNISIE.

La fondation de la Société historique Algérienne et la création du journal de ses travaux, la Revue Africaine; les efforts de sa sœur ainée, la Société archéologique de Constantine et la publication de ses intéressants Annuaires, ont déterminé un mouvement scientifique qui ne s'est pas renfermé dans les limites de notre colonie. La Tunisie y a pris aussi une part très-active; et les noms de M. Léon Roches, consul général de France, du général Rechid, de MM. Alphonse Rousseau, Tissot, Espina, André Gaspary, si souvent répétés dans cette Revue, témoignent que les deux pays, unis depuis longtemps par des liens de bon voisinage politique, entretiennent, en outre, des relations intellectuelles qui acquièrent chaque jour plus d'importance.

On a vu parmi les noms cités plus haut celui d'un haut dignitaire musulman. Qui aurait cru, il y a quelques années, que des états, dont le nom même impliquait l'idée de barbarie, entreraient si promptement dans le mouvement scientifique qui entraîne les nations Européennes !

Mais, le correspondant de Tunis dont nous allons donner une communication est un de nos compatriotes, c'est M. André Gaspary, ingénieur civil à La Goulette; on le connaît déjà comme un des zélés travailleurs de la Revue Africaine et un 'des bienfaiteurs du Musée d'Alger.

M. Gaspary vient d'envoyer à la Société historique Algérienne, et nous reproduisons ci-après, le dessin d'une pierre de dédicace, en forme d'autel, qui assure une nouvelle synonymie dans la géographie comparée de l'Afrique du nord; c'est celle de Missua, identifiée aux ruines romaines de Sidi Daoud en Nebi (monseigneur David le prophète), auprès du cap Bon, à soixante-quatre kilomètres est de Tunis. Cette pierre mesure, en hauteur, 1 32 sur une largeur de 0,55, au dé, et 0,74 aux saillies de la base et de la corniche.

L'ingénieur chargé de monter un atelier de machines dans l'ar

senal de La Goulette s'est servi de notre monument comme d'une assise pour une machine à percer, mais il l'a placé de manière à conserver l'inscription en évidence.

Voici la copie de M. Gaspary; la première ligne est à part sur la corniche, le reste est gravé sur le dé:

FL ARPACII UC

FL ARP AC IOFL PP KUISCE
CIUITATIS EXACINEEIN
REBUSUC EXADIUT INL
UIRIMACOEEICIORU
SPICTAB TRIB ETNOT
OBINSIGNIA EIUSERCA
REMP MERITAETPRACIPUE
OBPAT BENEESTATUAMAD

AETERNITATEMMERI

TORUMEIUS MISS CIUES
CONLOCAUERUN.

Les lettres de cette épigraphe appartiennent à l'alphabet curviligne, c'est-à-dire que plusieurs des lignes droites de l'alphabet normal y sont devenues des courbes. Ceci s'applique surtout aux appendices.

On y observe une particularité graphique assez remarquable: contrairement à ce qui a lieu le plus souvent dans l'épigraphic romaine, la lettre U est exclusivement employée, même pour figurer le V. Ajoutons que la barre de l'A devient, au lieu d'une simple horizontale, une ligne brisée en forme de V, et que cette lettre A est couronnée d'un petit trait sinueux en forme de S.

Il ne s'y rencontre aucune lettre liée.

Les signes séparatifs ressemblent à de petits V dont les deux montants sont recourbés en dehors à leur partie supérieure.

L'abréviation MISS (pour Missua), à l'avant dernière ligne, est mise en évidence par les deux fleurons entre lesquels elle se trouve.

Le mot final, CONLOCAUERUN, est encadré entre deux palmes.

Il serait peut-être prudent d'attendre un estampage pour pouvoir corriger à coup sûr les quelques inexactitudes de la copie qu'on vient de lire. Cependant, nous nous hasardons à en offrir dès à

« PrécédentContinuer »