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rière, et examiner d'abord les causes de haine qui s'étaient sourdement réunies dans le cœur de Si Zebouchi.

Osman-Bey, surnommé le Borgne, exerçait, depuis peu de temps, le pouvoir à Constantine, lorsqu'on lui apprit que Si Zebouchi, marabout fanatique et ambitieux de Mila, abusait de son influence religieuse pour effrayer les populations, en prédisant des désastres et des calamités que la présence des Turcs attirerait sur le pays. Au lieu de se débarrasser immédiatement de ce fou dangereux, ce que n'auraient pas manqué de faire les beys ses prédécesseurs, Osman se borna à lui retirer l'affranchissement d'impôt dont il avait joui jusqu'alors, ainsi que tous les priviléges que sa qualité de marabout lui avait valus. Il pensait, sans doute, que cette punition suffirait, et qu'elle refroidirait le zèle trop ardent de ce nouvel augure.

Zebouchi vint à Constantine revendiquer ce qu'il appelait un droit divin; mais on ne tint aucun compte de ses sottes prétentions qui, pour la plupart de ces hommes soit disant inspirés du ciel, consistent à faire servir la religion à des intérêts particuliers. - 11 partit ensuite en proférant des imprécations, et se retira dans les montagnes des Aras, tribu kabile sur la rive gauche de l'Oued elKebir. Mais sa rancune ne s'arrêta pas là : voyant que ses imprécations et ses anathèmes seraient sans effet s'il restait inactif, il se livra à toutes sortes d'intrigues, se posa en victime du pouvoir oppresseur. En un mot, il mit tout en œuvre pour venger l'affront qu'il avait reçu; mais, quelque impétueux que fût Zebouchi, il sentit la nécessité de n'agir que sourdement et par degrés, afin de se créer des partisans sans trop éveiller l'attention des Turcs.

A cette époque, le Chérif Bon Dali, nommé également Ben elHarche, venait de faire son apparition sur le littoral, dans les parages de Djidjelli (1). Zebouchi lui écrivit, lui fit part de la haine profonde qu'il nourrissait contre les Turcs et de l'entreprise hardie qu'il avait conçue de renverser leur gouvernement. Cette alliance donna bientôt aux deux fauteurs de troubles une activité et une influence dont chacun aurait manqué en particulier. Elle nous explique la facilité avec laquelle le chérif Bou Dali parvint à se créer des partisans dans un pays où il était inconnu.

(1) Bou Dali débuta par faire la course dans les eaux de Djidjelli. Rev. Afric. T. III. P. 211, Berbrugger, et p. 259, Vayssettes.

Les diverses péripéties de cette insurrection ont été trop bien rapportées dans la Revue africaine, pour qu'il soit nécessaire d'en reparler ici (1). Je me bornerai donc à constater que Si Zebouchi et Bou Dali surent attacher à leurs passions l'intérêt de la multitude en promettant le pillage, idée bien séduisante pour émouvoir les Kabiles et les déterminer à l'attaque de Constantine. Après l'échec éprouvé devant cette ville et sur l'oued-Koton, Zebouchi se retira dans les montagnes, sans renoncer cependant à ses projets de vengeance, car bien souvent on lui entendit dire:

Je jure par Dieu que lorsque je me serai emparé du bey Osman, je poserai mon pied sur son œil borgne. »

Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire dans une première lettre, Osman bey pénétra avec des troupes dans le pays Kabile et alla établir son camp à El-Milia, après avoir obtenu quelques succès sur les rebelles qui avaient essayé de le repousser. C'est alors, dans ce camp d'El-Milïa, qu'un autre marabout, Ben Barériche, compagnon ou sicaire de Zebouchi, vint faire connaître au bey la retraite du Chérif et s'offrir pour guider les troupes qui iraient l'enlever. Une partie des Turcs s'aventura en effet sans difficultés dans les montagnes, parce que pour les attirer on ne leur présenta aucune résistance, mais lorsqu'ils furent bien engagés, on les accabla de tous côtés. Ce guet-àpens était bien combiné; il réussit à merveille, car beaucoup de turcs furent massacrés, mais ben Barériche le fut aussi, juste châtiment de sa trahison.

J'ai parcouru à peu près dans tous les sens le Khenag-Alihem des Oulad 'Aouat, où périt Osman et les quelques turcs qui avaient survécu au premier massacre. Ce passage, ainsi que le nom indigène l'indique, est formé par un étranglement de la vallée de l'Oued el-Kebir, de plusieurs kilomètres de longueur, où les montagnes se rapprochent au point de ne laisser entr'elles que le lit de la rivière. A droite et à gauche, s'étagent une succession de collines abruptes, dont les flancs sont couverts de chênes très touffus, de taillis impénétrables ou de bouquets d'oliviers,

(1) Voir, pour tous ces détails, les notices de M. Berbrugger: Un chérif Kabile en 1804, et de M. Vayssettes, Histoire d'Osman Bey, Revue Africaine, T. II, page 209, etc.

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contraste d'une nature sauvage et d'une riche culture. Le sentier qui mène dans cette gorge, est coupé à chaque pas par les éboulements qu'occasionnent les eaux d'une infinité de ravins latéraux; taillé en corniche, tantôt sur one rive et tantôt sur Pautre, il côtoie les berges de la rivière qu'on est obligé de traverser à plusieurs reprises, sur des gués de sables mouvants et de vase qui se déplacent chaque hiver. Ce sentier s'élève parfois sur les contreforts ou au milieu des bois, en décrivant de nombreux zig-zags et redescend ensuite au niveau des eaux de l'oued el-Kebir.

C'est dans le Khenag, qui, déjà difficile par sa nature même, l'avait été rendu davantage par tous les obstacles préparés par les Kabiles, que la colonne turque eut le malheur de s'engager. La fusillade, tombant comme grêle sur cette masse confuse et éperdue, causa le plus affreux désastre. Au milieu de cette tuerie générale, lorsque Osman roula avec son cheval dans une fondrière qui se trouve au pied d'un contrefort nommé Drièb-elMal, Zebouchi, comme un vautour affamé, s'abattit l'un des premiers sur lui et le perça de coups. Ainsi qu'il se l'était promis, rapporte la légende, il lui posa le pied sur son œil borgne et lui fit ensuite couper la tête par un nommé Saïd ben Amer, des Djebala.

Quelques esprits crédules et superstitieux, parmi les indigènes, ont vu dans le désastre d'Osman bey la punition céleste d'une offense faite à un saint marabout; un auteur européen a, de son côté, cherché à rattacher ce soulèvement des Kabiles à la politique extérieure de la Régence. Quant à moi, s'il m'est permis de formuler une opinion, après l'espèce d'enquête à laquelle je me suis livré, je ne vois dans cet évènement que la malheureuse conséquence d'intrigues fomentées par quelques marabouts mécontents et ambitieux, se servant d'un prétendu chérif comme drapeau de l'insurrection.

Ainsi que vous l'avez avancé dans votre Notice (Un chérif kabile en 1804), quelques chrétiens se trouvaient en effet avec Bou Dali. Les circonstances qui les amenèrent dans l'armée des rebelles me sont inconnues; seulement, la tradition, qui a toujours quelque fait merveilleux à sa disposition, rapporte que le Chérif était allé enlever ces chrétiens dans leur pays en inarchant sur la mer.

Le corps d'Osman bey, après être resté pendant cinq jours

dans la fondrière, fut relevé par les gens d'El-Araba, fraction des Oulad 'Aouat. Le vieux Tobbal, qui assistait aux funérailles, m'a conduit à l'endroit où il a été inhumé. Au bout d'une montée assez rude qui serpente au milieu d'un bois d'oliviers, l'on trouve le tout petit hameau de Demina des Oulad Aouat. A quelques pas plus haut, sur un monticule bérissé de cactus, existe un terreplein d'environ quatre mètres de superficie, où s'élevait jadis la djama brûlée en 1853, lors de l'attaque par nos colonnes des O. Aouat insoumis.

En 1860, le tombeau d'Osman y a été relevé. Une petite Koubba en maçonnerie, blanchie à la chaux, dessine aujourd'hui sa silhouette, au milieu des cactus qui couronnent Demina et la fontaine de Bou Mouche; une petite colonne turbannée et une dalle en marbre blanc recouvrent la tombe on lit sur la dalle :

:

هذا ضريح المرحوم السيد

عثمان بن محمد باي فسنطينة الذي كان قتل بھاتہ الارض المسماة اخناف عليهم من بلاد اولاد عواط

في سنة ١٢١٩

« Ceci est la tombe de celui qui a obtenu la miséricorde divine, le Sid Osman ben Mohammed, bey de Constantine, tué à cet endroit qui est nommé Akhenag Alihem, dans le pays des Oulad 'Aouat, l'an 1219 (1801). »

Le marabout si Zebouchi, qui joaa un rôle si actif dans tout ce qui précède, vécut encore plusieurs années. Je ne raconterai pas toutes les absurdités qui se disent chez les Kabiles au sujet des merveilles qu'il accomplit. La facilité avec laquelle ils admettent tout sans nul examen n'a rien qui doive nous étonner, puisque chez eux, encore plus qu'en pays arabe, tout se transmet par la tradition et la conversation.

Au mois de mai 1808-9, du temps de Tobbal bey, une affreuse sécheresse désolait le pays. Des prières publiques et des pèlerinages étaient faits à tous les marabouts réputés jouir de certains pouvoirs surnaturels Si Zebouchi, visité à son tour, sacrifia une vache noire, en annonçant qu'elle serait ensevelie le

lendemain dans un linceul d'une blancheur éclatante.

Pen

dant la nuit le ciel se couvrit de nuages et une neige abondante couvrant la campagne, rendit à la terre toute sa fertilité. La prédiction du marabout s'était accomplie, puisque la neige servait en effet de linceul à la vache sacrifiée.

On rapporte encore de lui quelques prédictions annonçant l'arrivée des Français en Algérie et les guerres que les Musulmans auraient à soutenir contre les Chrétiens (1). Zebouchi mourut enfin en 1810, et fut enterré dans sa Zaouïa, à Redjas, non loin de Mila. I a laissé plusieurs enfants qui, au dire des Kabiles, sont également marabouts et marchent sur les traces de leur père. Mais le temps des miracles est passé; aussi se bornent-ils à prier Dieu et à vivre dans le plus profond silence. Abd-Allah bey, successeur de l'infortuné Osman, songea, à son tour, à se débarrasser du chérif Bou Dali, qui pouvait recommenLa tradition rapporte que le bey, sous le prétexte de demander la paix, envoya au Chérif un nommé elHaoussin des Beni Tlilen, avec deux coffres soi-disant remplis de riches cadeaux. El-Haoussin, succombant à une malheureuse tentation de cupidité, rassembla secrètement ses trois fils, et es

cer ses courses.

(1) Telles sont les prédictions de Si Zebouchi conservées par quelques tolba du pays.

ابهم يا من كنت نايم البرانصيص داخل الوطن

بسباينه جاء يمارس

بنا طبابن في التل

تحزمت رجالى للبتن

فال ايضا التل يخلى وتزول من الذخاير

وتصير النخلة برخلة ولا شك

تخلى الجزائر

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