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La Nouba se compose d'une introduction en récitatif suivie d'un premier motif à un mouvement modéré qui s'enchaîne dans un second d'une allure plus animée; puis vient un retour au premier motif quelquefois sur un rhythme différent, mais toujours plus vif que le précédent, et enfin une péroraison allegro vivace tombant sur une dernière note en point d'orgue, qui semble rappeler le récitatif de l'introduction.

D'ordinaire, l'introduction a un accent de tristesse plaintive, de douce mélancolie, parfaitement en rapport avec le genre d'interprétation que lui donnent les Arabes. Pour le chanteur, c'est un mélange de voix mixte et de voix de tête, et la répétition de chaque phrase en récitatif, sur les cordes graves du violon ou sur le Rebab, vient encore augmenter cet effet.

Le récitatif du chanteur est précédé d'un prélude exécuté par les instruments chantants et destiné à indiquer le mode dans lequel doit être chantée la chanson.

Cette manière d'indiquer le ton au moyen d'une mélodie connue de tous, réglée à l'avance, n'a-t-elle pas la même origine que ces Nomes de la musique grecque, auxquels il était défendu de rien changer, parce qu'ils caractérisaient chacun de ses modes spéciaux?

Chez les Arabes, ce prélude se nomme Becheraf.

Le Becheraf reproduit d'abord la gamme ascendante et descendante du ton, ou, si l'on aime mieux, du mode dans lequel on doit chanter; puis il indique les transitions par lesquelles on pourra passer accidentellement dans un autre mode (1), soit par les tétracordes semblables, appartenant à deux modes différents; soit par l'extension donnée en haut ou en bas de l'échelle du mode principal avec les notes caractéristiques de la Glose. En effet, la Glose n'est pas, comme on pourrait le croire, entièrement soumise aux caprices des exécutants. Elle est subordonnée à des règles dont il n'est permis à aucun musicien de s'écarter, s'il ne veut qu'on lui applique le proverbe usité autrefois pour Ics chanteurs comme pour les poëtes qui passaient sans transition d'un sujet à un autre, d'un mode principal à un autre qui n'avait avec lui aucune relation à Dario ad Phrygium.

(1) Le mode indiqué par le Becheraf correspond à nos tons diatoniques et n'exclut pas les changements accidentels.

La Glose est en quelque sorte indiquée dans le prélude par les développements donnés à la gamme, non plus en conservant l'ordre habituel des sons, mais bien en décrivant des cercles, comme disent les Arabes. Cette expression, décrire des cercles, indique qu'il faut monter ou descendre par degrés disjoints; mais encore faut-il que ces degrés disjoints appartiennent au même trétracorde. Ainsi au lieu de ré mi fa sol, par exemple, on fera rẻ fa mi sol fa ré, et ainsi de suite, soit en montant, soit en descendant (1).

Le Becheraf indique aussi les sons caractéristiques du mode, ceux sur lesquels on doit revenir plus souvent et ceux dont on ne doit se servir qu'avec modération.

Tel est, dans son ensemble, ce prélude obligé de tous les concerts arabes; ses divisions, bien qu'ayant un certain rapport avec celles de la mélopée des Grecs (Hypsis, Mixis et Petteya) n'ont pas cependant tous les développements qu'on a donnés au sujet représenté par chacun de ces trois mots. Nous nous contenterons de noter ces rapports, sans nous y appesantir davantage, pour continuer nos observations sur la mélodie entonnée par les musiciens immédiatement après le Becheraf.

III.

La chanson commence: la dernière note du récitatif, prolongée sur le violon, sert de signal aux instruments à percussion, et de point de départ pour l'intonation de la mélodie.

Quel que soit le mode auquel elle appartienne, le chanteur trafnera la voix, en montant ou en descendant, depuis la dernière note du récitatif jusqu'à la première de la chanson.

Le premier couplet offrira un chant simple et de peu d'é

(1) Cette expression, décrire des cercles, a fait penser à quelques personnes que les Arabes employaient ces figures pour écrire et expliquer leur musique. Feu M. Cotelle, drogman du Consulat français, à Tanger, savant orientaliste et musicien distingué, me fit voir, en 1856, la traduction d'un manuscrit arabe renfermant un ancien traité de musique, dans lequel on voyait des figures en forme de cercle. En effet, les Arabes se sont servis autrefois de cercles, divisés en un certain nombre de parties, servant à indiquer le rhythme poétique plutôt que musical, sur lequel on pouvait composer différentes chansons; on pourrait comparer l'emploi de ces cercles à celui des timbres indiqués dans nos vaudevilles pour chanter des couple's sur un air connu.

tendue; la mélodie paraltra facile à saisir, abstraction faite de l'accent guttural du chanteur et des combinaisons rhythmiques frappées sur les instruments à percussion

Mais déjà le violon fait sa ritournelle en ajoutant à la mélodie les enjolivements qui constituent la partie essentielle de son talent, tandis que la guitare continue invariablement le thême. Puis, le chanteur, reprenant le second couplet, commence à orner ses terminaisons, ses cadences, avec une série de petites notes empiétant en haut ou en bas sur l'étendue de l'échelle donnée. Il s'anime à mesure que le sujet se développe; bientôt, aux petites notes, viennent se joindre les fragments de gamme traînée, sans, régularité apparente et cependant sans altération de mesure, puisque le chant est joué et chanté souvent ainsi, mais tonjours à l'unisson par les autres musiciens, tandis que les instruments à percussion frappent uniformément le rhythme commencé sur le premier couplet de la chanson.

IV.

Ici deux faits se présentent tout d'abord :

4. L'absence de la note sensible;

2. La répétition constante d'un ou deux sons fondamentaux sur lesquels repose l'idée mélodique.

L'absence de la note sensible nous prouvera que le système des Arabes repose sur des principes tout différents du nôtre : notre oreille ne pouvant supposer une mélodie privée de la note caractéristique du ton.

Au contraire, les notes caractéristiques de la mélodie arabe se présenteront au troisième ou quatrième degré de l'échelle des sons parcourus, le dernier étant toujours considéré comme point de départ, comme tonique. Les chansons arabes étant composées d'un grand nombre de couplets séparés par une ritournelle des instruments, il devient facile de reconnaître le point de départ de l'échelle des sons parcourus.

Partant de ce principe, on trouvera alors une gamme dont le premier son sera pris indistinctement parmi les sept dont nous nous servons, mais en conservant intacte la position des demi-tons. Soit, par exemple, le ré pris pour point de départ, nous aurons la gamme suivante :

ré mi fa sol la si do ré

Et, selon les différents points de départ, le ton ou plutôt le mode Revue Afr. 6o année, no 32

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sera changé, mais la position des demi-tons restera toujours fixe et invariable du mi au fa et du si au do. Au contraire, avec système harmonique, les demi-tons se déplacent en raison 4 point de départ, pour se trouver toujours du troisième au quatrième degré et du septième au huitième.

Telle est la composition la plus ordinaire des gammes arabes, mitées de celles des modes grecs et des tons du plainchant. Dès à présent, nous pouvons formuler le caractère de la mélodie arabe de la manière suivante :

UNE MELODIE DONT LE POINT DE DÉPART, PRIS dans les sept degrés DE LA GAMME, N'ENTRAINE PAs, par suite dE L'ABSENCE DE LA SENSIBLE, LE DÉPLACEMENT DES DEMI-TONS.

Enfin, en nous appuyant sur ce principe, nous pourrons écrire les chansons arabes; puis, les soumettant à un examen plus approfondi, nous reconnaitrons que les notes fondamentales se trouvent généralement au troisième et au quatrième degrés, selon le point de départ qui détermine la tonalité, et que ces notes remplissent ainsi l'office des deux demi-tons de notre système musical.

V.

Me voilà bien loin de ceux qui ont prétendu trouver des tiers et des quarts de ton dans la musique des Arabes. Cette opinion, que je déclare pour mon compte entièrement erronnée, est dûe sans doute à l'emploi des gammes traînées dont je parlais plus haut. L'emploi de ces gammes est un des modes d'ornementation les plus usités, surtout par les chanteurs et les violonistes ; et j'avouerai sans peine que c'est là ce qui me séduit le moins dans la musique arabe.

Au contraire, les terminaisons toujours variées, soit par la note supérieure ou inférieure ajoutée à celles du chant, soit par plusieurs petites notes à intervalles différents, mais toujours choisies dans la tonalité de la chanson, pour arriver à la note tenue sur laquelle retombe l'idée mélodique, ces terminaisons pour lesquelles les Arabes ont un genre tout spécial, sont une des plus jolies choses qu'on puisse imaginer.

Rien de plus délicatement orné.

La suppression ou l'adjonction d'une note, quelquefois l'interposition seulement, suffit pour donner une autre formule mélodique, un accent différent, quoique bien en rapport avec l'em

semble du sujet, et qui prépare d'une façon toujours nouvelle, presque toujours gracieuse, le repos sur la note fondamentale. A mesure que le nombre des couplets augmente, les variantes augmentent aussi, détruisant par leur originalité, par leur force multiple, la monotonie qui résulterait de la répétition constante d'une même phrase, jusqu'au moment ou deux ou trois reprises d'une terminaison principale, faites en forme de réponse par le violon, servent d'enchaînement au second motif.

Si le violon est entre les mains d'un musicien habile, il essaiera dans ces réponses un discant sur les cordes graves, généralement à la quarte inférieure, préparant ainsi le changement qui devra se faire dans la tonalité.

Alors se reproduit le même genre d'exécution avec les variantes amenées progressivement jusqu'au retour au premier motif cxécuté cette fois sur un rhythme différent.

On comprendra comment il devient impossible de bien apprécier, au premier abord, cette musique si peu en rapport avec nos sensations, et comment aussi nous avons posé cette théorie de l'habitude d'entendre ou de l'éducation de l'oreille, comme la condition indispensable pour apprécier à sa valeur une musique si différente de la nôtre.

(A suivre)

DANIEL SALVADOR.

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