Que la France, ta sœur, qui te vient secourante, Sur ce linceul de sable où tu gis en lambeaux, Des grands envahisseurs qui foulèrent ta cendre Te salue aujourd'hui reine de l'Orient! A toi, comme autrefois, l'or, la pourpre et la myrrhe De Gadès et d'Ormuz, d'Ophir et de Palmyre: Dans son nid de Cinname, à toi l'oiseau Phoenix, Dont chaque œuf, au soleil, prend pour germe un onix (6), Que ta fière beauté soit enfin rehaussée ! Tu fus non-seulement entre toutes choisie Pour appeler à toi l Occident et l'Asie, Sur le globe tu fus placée à mi-chemin Pour donner rendez-vous à tout le genre humain. Quelque main viendra bien, un jour, et quel spectacle! Qui de Péluse à Suez dégravera l'obstacle, Et réalisera ce mirage aux déserts De vaisseaux sur le sable et de mâts dans les airs. Je veux, la France aidant, oui, je veux... mais que dis-je? Me sera-t-il donné d'opérer ce prodige Qui, réimprovisant le fleuve de Nécho, A l'espace rendra le tumulte et l'écho (7), Prédestiné de Dieu, serai-je le pilote Qui sur ce nouveau Nil fera mouvoir sa flotte! Dans le champ du progrès par le soldat prophète A décerné déjà le nom de Ptolémée, Car, destin singulier, nés des mêmes aïeux, L'un, pour égide, avait la gloire d'Alexandre, Insensé Pharaon, au monde stupéfait Celui-là n'a point dit : « Ce fleuve, je l'ai fait, Et ce fleuve est à moi ! j'y règne sans nul autre » (10)! A tous il a crié : Ce fleuve c'est le vôtre ! Car c'est le doigt de Dieu sur le sable abaissé Qui, dès les premiers jours et pour tous, l'a tracé, Sur un seul point du globe aujourd'hui condensée, Comme l'eau des deux mers, n'aura plus qu'un niveau. Tandis qu'unis enfin, et le flot et la lame Honneur à toi, Lesseps, toi qui leur as ouvert Est plus grand devant Dieu pour l'ère qu'il nous fonde C'est le septième jour de la création. Qui donc lui jettera la malédiction? Insensés ! que sur eux retombe l'anathème ! Volontaires exclus du fraternel baptême Auquel l'humanité tend aujourd'hui le front; Qu'il retombe sur eux et les scelle d'affront! Mais non! non, que l'Esprit éclaire leur demeure, Qu'ils soient les bienvenus même à la dernière beure, Que place leur soit faite à l'ombre du pavois De la première nef qui. la première fois, Par le détroit Lesseps ira tenter les ondes, IV La voilà! la voilà qui s'élance du port; Par tout un peuple à terre et l'équipage à bord D'un immense vivat à la fois acclamée, Double écho qui, suivant sa voile et sa fumée, De Marseille à Péluse, aux échos riverains, Comme un chœur triomphal guide ses pèlerins. Ainsi, quand l'eau du Nil s'était jadis accrue, La foule palpitante aux deux bords accourue Sur le fleuve inclinée acclamait de ses cris La nef aux mâts dorés qui portait Osiris (13). Fête encore à la nef du Dieu des bons auspices! Flots, soyez-lui cléments! vents, soyez-lui propices! V Allah! c'est l'oiseau Rok! là-bas, frères, voyez ! Le vent qui sèche l'herbe et tarit les chamelles : Allah! c'est le dragon! en mains la javeline ! En secouant aux vents sa crinière de flammes... Allah! c'est al Borak! Allah, protége-nous! A crié le derviche en tombant à genoux. Allah! c'est Azraël! a dit la caravane En cercle étroit pressée au puits de la savane. O pasteurs paix sur vous et paix sur vos troupeaux ; Guerriers, laissez dormir vos lances au repos ! Ne meurtris point ton front, derviche, sur les dalles : Ce n'est ni l'oiseau Rok, ni le dragon d'Eblis, Ni l'ange qui viendra, dans les temps accomplis, que son nom soit béni Achever le désert qu'il n'avait pas fini. Il vient dire aux palmiers Surgissez dans la plaine! A la source: Jaillis et coule toujours pleine! A l'herbe de Gessen: Déroule tes tapis ! : Au Nil Laisse échapper par l'une de tes digues La datte, l'herbe et l'eau, la javeline au poing; Et tous, guerriers, pasteurs, derviches, pèlerins, Vous nous avez liés au cou par le bienfait; Le bien rejaillira sur celui qui l'a fait, France, nous avons bu le lait de tes mamelles, Nous sommes, à présent, les plumes de tes ailes! VI Ainsi, chez nous chrétiens, l'hosanna commencé Jusqu'au fond du désert déjà s'est élancé ; Et de l'Inde bientôt la mousson parfumée Dont Pékin saluait hier le Labarum : Concert universel des voix, des vents, de l'onde, VII Quant à vous, endurcis dans la rébellion, Devant l'Esprit de Dieu, qui s'y meut sur les flots, AUSONE DE CHANCEL. |