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régions de grandes quantités de vapeur, et qu'il puisse redescendre autrement qu'à l'état de courant sec à la surface de la terre'. Et il ne manque pas de faits qui confirment cette manière de voir. C'est d'abord la sécheresse qui caractérise les maxima barométriques annulaires, ou zones de courants descendants de l'air. C'est ensuite la sérénité des régions mêmes du contre-alizé, régions où l'on voit à peine quelques cirrus rayer l'azur du ciel. De plus, des études récentes sur les pluies des Canaries ont prouvé combien il est faux d'en faire honneur au seul vent de retour. C'est surtout l'alizé qui forme au froid contact des montagnes l'anneau de nuages dont s'enveloppent les pics: les versants Sud et Ouest qui tournent le dos à l'alizé sont infiniment plus secs que ceux qui lui font face'. A ces faits, on peut en ajouter d'autres empruntés au Sahara même. Les pluies tombent au Fezzân, dit Nachtigal, après que les vents du nord ont soufflé avec force et apporté de l'humidité des Syrtes. Dans le désert libyque les nuages de pluie ont coïn

1. Von Bezold, art. cité, p. 393: « Dass er als trockener Strom unten ankommen muss. »

2. Teisserenc de Bort, Études sur la circulat. gén. de l'atm. Ann. Bur. centr., 1885, IV, p. 44. Von Bezold, art. cité, p. 257. Voir surtout les observations faites au Sonnblick. dans les Alpes autrichiennes, où les hautes pressions ont toujours coïncidé avec un réchauffement marqué et une grande sécheresse de l'air. (Hann, Met. Zeitsch., 1887, p. 46, 1889, p. 18.)

3. « Pendant une grande partie de l'année, la zone du contre-alizé est absolument libre de nuages. » (K. von Fritsch, Meteor. Beiträge zur Kenntniss der Canarischen Inseln, Mittheil., 1866, p. 220.)

4. K. von Fritsch, art. cité, p. 218-9.

Voici comment un autre voyageur décrit son passage d'un versant à l'autre dans l'ile de Palma : « Je trouvai dès le point du jour les nuages en pleine formation, et pendant la dernière heure de notre ascension, la brisa (l'alizé) ne cessa de nous envoyer une averse de neige et de grêle dans le dos. Le col franchi (1,400 mètres), plus de tempête; il ne pleuvait plus que très peu; quinze minutes après, nous sortions des nuages; au bout d'une demi-heure, nous étions en plein soleil. Ce jour-là et les jours suivants, je pus voir constamment les nuages franchir le col, s'avancer d'un kilomètre, et puis se dissiper dans l'air.» (Dr Biermann, Beiträge zur Kenntniss der Kanarischen Inseln., Met. Zeitsch., 1887, p. 3.)

5. Sahara und Sudan, I, p. 138.

cidé avec des vents d'entre ouest et nord'. A Tripoli, à Gabès, à Biskra, les averses ne viennent pas du sud : l'hiver est sec lorsque les vents du sud-ouest dominent, comme en novembre et décembre 1887 à Gabès 3.

Mais on n'a besoin, pour expliquer les pluies sahariennes, ni du contre-alizé ni des nuages de l'équateur. Les vents de mer apportent, nous le savons, de la vapeur d'eau jusqu'au centre du désert. Que faut-il à cette vapeur pour tomber en pluie sur le sol altéré? Une température plus basse. « Si l'on pouvait produire à volonté le froid comme la cha leur, on tirerait de l'eau même de l'air du désert. » Ce qui est impossible à l'homme, la nature se charge parfois de le faire. Pour que l'air se refroidisse en masse, il suffit qu'il se heurte à de l'air plus froid, ou qu'il s'élève. La nature a pour cela deux moyens les montagnes et les cyclones.

LES PLUIES DANS LES MONTAGNES

Lorsqu'on quitte le Soudan en prenant le chemin de Rhat dans la direction du Nord, on traverse d'abord le plateau d'Agadès, solitude sans eau et presque sans herbe, qui présente déjà tout à fait l'image du désert ". Puis, au bout de quelques journées de marche, dans ces plaines désolées, on découvre un groupe de montagnes : Ce sont de hautes coupoles et des pics aux contours bizarres dont le pied se perd dans la verdure; de grands arbres, sous

1. Jordan, ouv. cité, p. 106.

2. A Tripoli, la pluie tombe surtout par des vents d'ouest et de nordQuest. (Teisserenc de Bort, Ann. Bur. centr., 1882, IV, p. 61.)

3. Observations faites à Gabès en novembre et décembre 1887:

Vents N NE E SE S SW W NW Pluie
Novembre: 1 7 4 4 0 21 44 6 3 millim.
Décembre: 1 4 4 3 0 20 43 18 0

(Ann. Bur. centr., 1887, C. 33.)

4. Lichtenberg, dans Hann, Handbuch der Klimatologie, p. 98.

5. Unbewohntes, wasserloses Wüstenplateau, wüste, kahle Hochfläche (Barth, Reisen, I, p. 586 et carte).

lesquels les chameaux cheminent, couvrent le fond des vallées, et les buissons de toute sorte forment des fourrés épais dans lesquels il faut se servir de la hache pour se frayer un passage. Lorsque Barth venant du Nord aperçut ces sites d'une beauté singulière, il crut d'abord avoir atteint le Soudan 2. C'est que l'Aïr a une saison

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pluvieuse comme le Soudan lui-même. De la mi-août au commencement d'octobre 3, les vents du sud-ouest entourent les cimes de bandes de nuages et l'eau des averses tombées dans la haute montagne descend en bouillonnant dans les ravins. Puis, comme au Soudan, le vent se renverse; les pluies cessent, le ciel redevient pur Le 13 décembre, Barth et ses compagnons campaient dans le lit même d'un torrent qui, trois mois avant, avait failli noyer la caravane : à cette époque de l'année, tout danger de ce genre était passé. La sécheresse devient telle, qu'il faut creuser des

1. E. von Bary, Berl. Zeitsch. Erdk., 1878, p. 351 et suiv.

2. Reisen, I, 586.

3. Les pluies ont duré en 1850, du 15 août au 8 octobre (Ibid., p. 396, 425). 4. Ibid., p. 570.

puits en attendant le retour de la saison pluvieuse'. L'Aïr participe done encore à la mousson du Soudan. Ce n'est pas sa latitude, mais son relief qui en est cause. Tandis que dans la plaine les dernières pluies régulières ne dépassent guère la ligne qui va de Timbouctou au Tchad, les hautes parois des montagnes d'Aïr prennent encore de l'eau à la mousson affaiblie, cinq degrés plus avant dans le nord.

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Ce ne sont pas les seules. Le Tibesti reçoit chaque année des pluies analogues. Dès la fin de juillet, le Dr Nachtigal a vu chaque jour les montagnes se coiffer d'épais nuages apportés par le vent du sud-est. Sans doute le Tibesti n'a pas l'aspect riant des vallées de l'Aïr ses roches de grès sombre sont généralement arides et laissent s'écouler les eaux sans en rien retenir 3; mais il y tombe peut-être autant de pluie. Chaque année, disent les indigènes, des moutons, des ânes, des chameaux sont emportés par des crues subites; Nachtigal lui-même a eu la surprise d'entendre un matin gronder un torrent. Pas plus que l'Aïr, le Tibesti ne touche au Soudan. Le voyage de Nachtigal au Borkou, fait un an après à la même époque, ne laisse aucun doute à cet égard : il pleut beaucoup moins dans ce pays, pourtant plus rapproché du Soudan, qu'au Tibesti, situé plus avant dans le désert 3. Les Arabes du Borkou ne se méprennent pas sur la cause du phénomène. Ils attribuent les nuages qui s'élèvent parfois dans le nord-est aux pluies tombées plus loin dans la montagne.

Le Sahara méridional renferme, au dire des indigènes,

1. Reisen, I. p. 564.

2. Dichte Regenwolken (ouv. cité, I, p. 411). A noter que Nachtigal n'a pas été dans la montagne au mois d'août, qui paraît être l'époque des pluies les plus abondantes (Ibid., I, p. 412).

3. Mangel

4. Ibid.

an absorptionsfähigem Boden (ibid.).

5. Ibid., II, p. 137. De même de l'autre côté de la chaîne, dans la plaine du Bardai, Nachtigal voyait bien les nuages, mais recevait à peine quelques gouttes de pluie (1, p. 412).

6 II, p. 81.

encore d'autres contrées montagneuses à pluies régulières. Dans l'Ennedi, au Béré, les lits de rivières s'emplissent d'eaux courantes, les herbes et les troupeaux abondent, et d'épais fourrés d'arbres couvrent les vallées '. Tel est encore ce mystérieux massif du Ouadjanga, déjà vanté pour sa richesse par Lyon et Fresnel 2; suivant les données qui paraissent jusqu'ici les plus sûres, les caravanes y traversent le lit d'un large fleuve, tantôt à sec, tantôt coulant à pleins bords. Il s'agit évidemment d'un pays alpestre, plus ou moins semblable à l'Aïr. En est-il d'autres encore dans le sud du Sahara? On a des raisons de le supposer. M. Sabatier a interrogé avec soin d'anciens esclaves noirs des Touareg et obtenu d'eux des détails curieux sur l'Adrar des Aouëlimidèn, ces Touareg qui habitent le pays inconnu au nordest de la bouche du Niger. D'après cette enquête, « les pluies y tombent à l'époque des chaleurs »; on trouve beaucoup de ruisseaux, « une rivière d'eau courante qui conserve des flaques d'eau pendant la saison sèche », de nombreux pâturages, des forêts et même des éléphants. L'avenir nous dira ce qu'il faut en croire.

Par contre, il est certain que l'Ahaggar fait renaître les pluies au centre du désert. L'Aïr, le Tibesti sont arrosés par la mousson soudanaise, mais ne peuvent condenser les vapeurs tenues en suspens par les vents du nord. L'Ahaggar suscite des pluies en été et en hiver. M. Duveyrier a entendu parler de cimes couvertes de neige pendant trois mois de l'année; mais il ignore si ce bienfait est régulier. Les

1. Nachtigal, ouv. cit., II, p. 62, 173.

p. 266). p. 175.

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2. Lyon a entendu parler d'un fleuve large de 5 à 600 mètres (Narrative, etc., V. aussi Fresnel, Mém. sur le Waday, Bull. Soc. Geogr., 1850, XIV, Maurice de Beurmann signale un lac (Reise von Mursuk nach Wuu, Mittheil., Ergänz. II, p. 84).

3. Renseignements fournis à M. Rohlfs par les indigènes de Koufra (Kufra, p. 331).

4. Sabatier, Mémoire sur la géographie physique du Sahara Central, Paris, 1880, p. 13 et suiv.

5. Ouv. cité, p. 120.

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