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avec elle se condense sur le versant frappé par le vent. En redescendant l'autre versant de la montagne, l'air se comprime, se réchauffe; mais il ne contient plus que le peu d'humidité resté sous forme de vapeur dans l'air froid de la crête; et ainsi, d'humide qu'il était, le vent est devenu

sec1.

Nulle part le contraste entre deux versants de montagnes n'est plus saisissant que dans l'Elbourz. D'un côté, la forêt vierge, aux marais pestilentiels où croît le riz sauvage, aux lianes de vigne qui enlacent les troncs énormes et pressés; l'air est lourd comme celui d'une serre, le ciel presque toujours chargé de nuages; les villages, dans les clairières, sont bâtis sur des pieux pour fuir l'humidité : c'est le Gilan et le Mazenderan, l'antique forêt d'Hyrcanie . Si l'on passe la crête, l'on se trouve transporté dans un autre monde. Plus un arbre: des broussailles basses munies de moins de feuilles que d'épines; tout est nu, gris, brûlé. L'air est sec, le ciel sans nuages; il ne tombe de pluie appréciable qu'en hiver. Les maisons sont en briques de glaise séchée au soleil, la terre se couvre d'efflorescences salines: c'est la steppe ou le désert 3. Même contraste dans les montagnes qui s'allongent au sud de l'Iran. D'une part, les riches provinces de Kerman et de Chiraz avec leurs pentes vertes et leurs cimes neigeuses; de l'autre, les plateaux aux villages envahis par les sables et ce terrible désert de Loût, qui ressemble de loin « à une masse de métal incandescent d'un rouge pâle ». L'Iran stérile est un produit des chaînes de montagnes qui l'enserrent.

4

1 Voir Hann, Die Gesetze der Temperaturänderung in aufsteigenden Luftströmungen, Oester. Meteor. Zeitsch., 1874, etc.

2. Khanikof, ouv. cité, p. 307.—Houtum-Schindler, Berl. Zeitsch. Erdk., 1879 p. 122. Polak, Mitth. geogr. Ges., Wien, 1883, p. 55, etc.

3. Khanikof, ouv. cit., p. 447. Bellew, From the Indus to the Tigris, Londres, 1874, p. 379, 388. Baker, Clouds in the East, Londres, 1876, p. 155,

307 et suiv., etc.

4. Khanikof, ouv. cit., p. 420.- Houtum-Schindler, Reisen im südlichen Persien, Berl. Zeitsch. Erdk., 1881, p. 314, etc.

Un coup d'œil jeté sur la carte nous montre qu'on n'en peut dire autant du Sahara. A l'ouest, au sud, au nord, il est largement ouvert aux souffles de la mer. Pourtant, vers la Méditerranée occidentale, l'Atlas et les monts tripolitains forment une longue barrière. A-t-elle une action quelconque sur le désert qu'elle abrite?

11 est certain que le Grand Atlas marocain est une limite climatérique. Au nord, on trouve les longues pluies d'octobre à la fin de février, les eaux ruisselantes, les hautes futaies de chênes et de mélèzes, plus haut les petits lacs et les gazons alpestres, touchant aux neiges éternelles 2. Au sud, les pentes sont nues, les sommets chauves; les rocs déchiquetés ont déjà cet aspect de ruines qu'ils prennent si souvent au désert; les pluies sont bien plus rares, la terre se couvre de broussailles, d'alfa et d'autres herbes dures, l'air est souvent chargé de poussière : c'est qu'à cinquante kilomètres de là commence le désert nu et jaune, le Bled-el-A teuch, le « pays de la soif » 3.

D

Plus à l'est, le contraste s'émiette, pour ainsi dire, dans les plis multiples de l'Atlas. Dans la province d'Oran, les monts du Tell formant barrière ne laissent que solitude sur leurs revers. Le Petit Désert, le pays de l'alfa et des chotts salés, se cache derrière ces croupes qui s'étagent et arrêtent les vapeurs marines comme autant de remparts. Pour trouver le désert au sud de Constantine, il faut, au contraire, franchir les dernières murailles de l'Aurès. Tout le monde connaît en Algérie la gorge d'El-Kantara, entaille profonde qui coupe en deux la montagne, et ce pont célèbre au delà duquel, au sortir de rochers noirs et nus, on s'arrête

1. Mein erster Aufenthalt in Marokko, p. 50.

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2. « On se croirait plutôt en Suisse que sur une des hautes crêtes de l'Atlas.» (Rohlfs, Reise durch Marokko, etc., p. 41.) The rich green of trees and shrubs that covered most of the slopes. » (Hooker and Ball, Journal of a tour in Marocco and the great Atlas, Londres 1878, p. 183.)

suiv.

3. Rohlfs, Mein erster Aufenthalt, p. 50.

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De Foucauld, Reconnaissance au Maroc, p. 99, 142, etc.

saisi d'enthousiasme, devant l'oasis hérissée de palmes et la subite apparition du désert. Un grand artiste qui fut aussi un grand écrivain, Eugène Fromentin, a rendu à merveille ce passage inattendu d'un climat à l'autre. « C'est une croyance établie chez les Arabes que la montagne arrête à son sommet tous les nuages du Tell; que la pluie vient y mourir, et que l'hiver ne dépasse pas ce pont merveilleux qui sépare ainsi deux saisons, l'hiver et l'été, deux pays, le Tell et le Sahara; et ils en donnent pour preuve que, d'un côté la montagne est noire et couleur de pluie, et de l'autre, rose et couleur de beau temps... Je me donnai le plaisir de regarder ce qui se passait au nord du village, et le hasard me rendit témoin d'un phénomène en effet très singulier. Tout ce côté du ciel était sombre et présentait l'aspect d'un énorme océan de nuages, dont le dernier flot venait pour ainsi dire s'abattre et se rouler sur l'extrême arête de la montagne. Mais la montagne, comme une solide falaise, semblait le repousser au large. Derrière, descendaient lugubrement les traînées grises d'un vaste déluge; puis, tout à fait au fond, une montagne éloignée montrait sa tête couverte de légers frimas. Il pleuvait à torrents dans la vallée du Metlili, et quinze lieues plus loin il neigeait. L'éternel printemps souriait sur nos têtes 1. »

On peut aujourd'hui exprimer par des chiffres cette sérénité croissante du ciel. Forte dans les montagnes du Tell (0,50 à 1,20), encore très appréciable sur le plateau, la quantité annuelle de pluie devient minime (moins de 0m,20), dès qu'on dépasse les dernières crêtes qui dominent les plaines du Sud.

Bien que moins élevés, les djebel tripolitains arrêtent aussi les nuages. Les hautes falaises de 600 à 1,000 mètres dont les escarpements se profilent au sud de Tripoli n'ont pas l'aspect désolé des côtes tripolitaines. Des bois d'oliviers, de figuiers, de thuyas, des buissons de myrtes, de romarins,

4. Un été dans le Sahara, Paris, 9o édition, p. 5-8. 2. Angot, Climat de l'Algèrie, art. cit., p. 29-30

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