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comme leur antique patrimoine. Ce serait donc une erreur de croire que le Soudan accueillera avec reconnaissance les Européens qui ouvriront à son commerce de nouvelles voies. Lorsqu'en 1880 on discutait au Sénat les crédits du chemin de fer du Sénégal au Niger, le rapporteur prononça ces belles paroles « C'est par une politique essentiellement pacifique que nous voulons atteindre ce but. Nous avons dit à M. le ministre de la marine que nous ne voulions en aucune façon préparer une expédition militaire, que la construction des postes fortifiés ne devait se faire que sur un territoire cédé bénévolement... Evitant de nous mêler aux querelles intestines des indigènes, nous ne leur ferons aimer, apprécier la civilisation que par l'exemple et la persuasion'. Douze ans se sont passés depuis, et nos soldats, attaqués sans provocation, ont livré une centaine de combats, fait douze campagnes, et nous n'avons pas encore fini de briser la résistance musulmane sur les bords du Niger. Rien ne prouve qu'il en serait autrement dans le Soudan central. Pas plus au Bornou qu'au Sénégal ou sur le Bas-Niger, l'Européen ne fera librement le commerce sans soldats.

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C'est même le meilleur argument qu'on puisse invoquer en faveur du Transsaharien. Ses chances de trafic sont des plus médiocres, de l'aveu même de ses partisans * ; les marchandises encombrantes, bois, coton, arachides, prendront toujours de préférence la voie des fleuves, et tout ce qu'osent rêver les plus enthousiastes, c'est que le chemin de fer fasse ses frais. Mais il est clair qu'on ne prendrait pied au Bornou qu'en le mettant à quelques heures de l'Algérie,

1. Rapport de M. Blandin, 21 décembre 1880, La France dans l'Afrique occidentale, p. 20.

2. Une entreprise qui en elle-même serait forcément d'un rendement médiocre» (Rolland, Le Transsaharien, un an apres, introduction) « ne sera jamais une opération financière avantageuse. (Ed. Blanc, C. rend. Soc. Geogr., 1890, p. 220.)

3. On sait qu'aux termes de l'acte de Berlin le transit est libre sur le Niger et ses affluents.

et le Transsaharien serait l'instrument coûteux, mais indispensable, de la conquête. A ce titre, il serait bien, comme on l'a dit, «< une dépense nécessaire dans la balance générale de l'entreprise ». Seulement à qui reviendrait cette tâche gigantesque?

Nous ne serions pas en France, si l'on n'avait tout d'abord tendu vers l'État des mains suppliantes. A en croire certains publicistes, le moment était venu de faire l'empire français d'Afrique, et, en n'exécutant pas le Transsaharien, l'État eût manqué à tous ses devoirs. Certes, à l'heure où les débouchés se ferment, où les nations semblent vouloir substituer les guerres de tarifs aux coups de canon, il peut être bon pour la France de se tailler une réserve de colonies tropicales, bien qu'elles ne se puissent comparer à celles, autrement précieuses, où notre race peut se reproduire et prospérer. Mais la France n'a-t-elle pas dès maintenant, sur tous les points du globe, bien des domaines en friche, bien des peuples en tutelle, bien des ennemis à repousser? Il lui faut monter la garde en Algérie contre l'insurrection musulmane, défendre la Tunisie contre les convoitises voisines, lutter avec les conquérants barbares au Dahomey et sur le Haut-Niger, gagner le Fouta-Djallon défiant ou hostile, jeter bas dans le Macina les débris de l'empire d'El-HadjOmar, jeter un réseau de postes sur l'immense région de l'Oubanghi, resister au Tonkin à la formidable pression de la Chine, rendre effectif son protectorat sur ce petit continent Madagascar. Fallait-il encore élargir cet horizon déjà si vaste, ouvrir un nouveau compte de dépenses, courir à de nouvelles campagnes? L'État n'a jamais eu de tels devoirs. Son rôle était d'envoyer des explorateurs au Tchad, pour sauvegarder nos droits au point de vue diplomatique, et, d'autre part, de faire au sud de l'Algérie œuvre de police et de salubrité publique, en occupant In-Salah, ce nid de corsaires du Sahara. M. le commandant Monteil vient de remplir glorieusement la première partie de ce programme

la construction d'un fort au Hassi-Inifel et la création d'un corps de troupes montées à mehari semblent indiquer que le gouvernement se dispose à exécuter la seconde. Le reste est affaire d'initiative privée. Regardons l'Angleterre, la grande colonisatrice partout ses colons ont précédé le protectorat. Ils s'avancent en Afrique, négociants, ingénieurs, géomètres, bien armés, bien ravitaillés par des syndicats de commerçants, et la métropole n'intervient que pour les couvrir, vis-à-vis de l'étranger, de sa protection puissante', et pour recueillir plus tard le fruit de leurs efforts. Que serviraient à la France de nouvelles conquêtes en Afrique, s'il ne se trouvait du même coup des Français pour les mettre en valeur? On semble l'avoir compris et l'on parle à présent d'une grande compagnie à charte, qui construirait le Transsaharien à ses risques et périls. Ainsi présentée, l'entreprise mérite qu'on l'encourage; avec des capitaux suffisants et une direction habile, une compagnie de ce genre peut réussir. La conquête du Bornou et du libre passage au Sahara ne serait peut-être pas au-dessus de ses forces. Quelques centaines d'Européens n'auraient rien à craindre des douze à quinze cents guerriers touâreg3, armés de lances et de fusils à pierre, ni de leurs congénères les Kel-Ouï d'Aïr. Quant au Soudan, c'est avec des armées de moins de 800 hommes, dont 300 Européens, que nous avons conquis notre empire; c'est avec 70 blancs et 500 soldats haoussa que la compagnie anglaise garde le sien. Qu'une compagnie privée se forme donc à l'image des sociétés anglaises, avec l'autorisation de l'État, qui lui déléguerait quelques-uns de ses pouvoirs, et tout Français

1. Elle ne le fait qu'à bon escient. La Compagnie du Cap Juby n'a encore pu obtenir la charte royale qui ferait de sa concession un territoire anglais. 2. Rolland, Le Transsaharien, un an après, introduction.

3. Le Touareg Hassan de Tounin (bourg voisin de Rhât) évaluait en 1878 à mille le nombre des guerriers Hoggar et à trois cents celui des Azdjer. (Tagebuch des verstorbenen Dr Erwin von Bary, Zeitsch. Ges. Erdk, 1880, p. 230.) D'après une information de M. Foureau, les Hoggar disposent en tout de 1,200 hommes. (Une mission au Tade mayt, p. 92.)

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devra y applaudir. En faisant ses affaires, elle ferait celles du pays, qui recueillerait de ses mains, après l'expiration de son monopole, un territoire en culture et un monde de clients nouveaux. Faut-il aller plus loin, et croire qu'un peuple énergique et puissant, « énergique par le désert, puissant par la riche terre tropicale », pourra sortir un jour de cet empire français d'Afrique? Nous ne serons jamais au Soudan que des maîtres éphémères. Le climat est tel, qu'on n'y verra jamais qu'une poignée d'hommes de race blanche, et notre domination passera sur ces peuples, comme celle des Anglais dans l'Inde, sans que grand'chose subsiste de nous. Saurons-nous seulement nous assimiler ces tribus du désert, jusqu'ici réfractaires à toute discipline? La réalisation de ces espérances se perd dans le lointain de l'avenir. Et qui peut dire, au temps où nous sommes, ce que réserve à l'Europe le siècle futur?

1. Schrader, Nouvelles géographiques, 4 mars 1893.

CHAPITRE XIX

LA CULTURE EUROPÉENNE AU SAHARA

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Campagnes de sonLes entreprises privées de

L'Oued-Rirh au moment de la conquête française. dages artésiens: 1856-1866, 1873-1890. forage et de culture. Résultats de la colonisation française dans

l'Oued-Rirh.

Sahara.

Les forages artésiens à Dakhel.

Sondages possibles au

Les rêves de reboisement: impuissance de l'homme à fertiliser le désert.

Les Romains ont pratiqué la culture à la lisière du Sahara. Leurs réservoirs, leurs barrages, leurs aqueducs, prenaient l'eau dans les vallées méridionales de l'Atlas et l'amenaient aux champs du Hodna, et des Zibân, ils avaient même mis en valeur la rive droite de l'Oued-Djedi ', et, au sud du chott Fedjedj, la plaine aujourd'hui déserte où les maraudeurs campent près du Bir Sultan. Il était réservé à la France de reprendre leur œuvre avec les procédés modernes et de la continuer plus avant dans le désert.

Lorsqu'après le combat de Megarine le colonel Desvaux prit possession le 2 décembre 1854 de Touggourt, les cultures n'étaient rien moins que prospères dans l'Oued-Rirh. L'art primitif des puisatiers ne suffisait plus à leur procurer l'eau nécessaire. Malgré les efforts des plongeurs qui en retiraient les sables, les sources artésiennes se fai

1. Ville, Voyage d'exploration, etc., p. 253 et suiv. Masqueray, Revue africaine, 1879, p. 65 et suiv., etc.

2. Duveyrier, Excursion dans le Djerid. (Revue alg. et col., 1860, II.)

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