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CHAPITRE XVIII

LE COMMERCE EUROPÉEN AU SAHARA

Les établissements de la côte ouest.

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Les Portugais du xve siècle et leurs successeurs à Arguin. L'occupation espagnole. Les forteresses de la côte du Noun et du Rio de Oro. Les Anglais au cap Juby. Les tentatives de commerce entre l'Afrique méditerranéenne et le Soudan. Expéditions anglaises et allemandes. Expéditions françaises : Colonieu et Burin, mission de Ghadâmės, Soleillet, Largeau, les deux missions Flatters. Raisons de leur insuccès. Le chemin de fer transsaharien et les voies de pénétration au Soudan. question. Comment elle se présente aujourd'hui.

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Historique de la

Les Européens ont essayé à diverses reprises d'intervenir dans le commerce du Sahara. Tour à tour, depuis le xve siècle, le Portugal, l'Espagne, la Hollande, la France, le Brandebourg et l'Angleterre ont créé des établissements sur sa côte occidentale, attirées par la renommée lointaine de Timbouctou et le mirage de l'or. Plus tard, lorsque l'Afrique du Nord a été délivrée des pirates barbaresques, plusieurs nations européennes, et au premier rang les maîtres de l'Algérie, ont voulu s'ouvrir les routes de la Méditerranée au Soudan, et disputer aux indigènes le commerce mystérieux du Sud. Il est bon d'examiner rapidement les résultats de ces deux séries d'entreprises, avant de chercher quelle fortune leur est réservée dans l'avenir.

LES ÉTABLISSEMENTS DE LA COTE OUEST

Les Portugais du xve siècle n'ont pas été les premiers Européens qui aient pratiqué la côte saharienne. D'Avezac, dans un de ces mémoires qui restent des modèles de

savoir et de sens critique', a démontré que les Français conquérants des Canaries avaient fait en 1402 une descente au sud du cap Bojador, et qu'avant eux, d'autres navigateurs avaient fréquenté ces parages, au moins jusqu'à cette baie profonde, que la carte catalane de 1375 appelle déjà le Riu de l'Or. Mais ces précurseurs ne s'étaient pas établis sur la côte c'étaient des pêcheurs ou des pirates, et non des négociants. Les Portugais eurent la gloire de faire œuvre plus durable. Leurs caravelles n'avaient pas encore dépassé le Cap-Vert, que déjà une compagnie privilégiée pour le commerce de la côte occidentale d'Afrique était fondée à Lagos par le prince Henri le Navigateur *.

Une petite ile longue de sept kilomètres, large de quatre, dont le plateau s'escarpe au nord en falaises, tandis qu'au sud elle se perd en plages marécageuses dans la mer; où le roc desséché ne porte ni un arbre, ni presque une herbe, rien que des amas d'une blanche poussière de coquilles et des dunes de sable jaune apporté par le vent du désert; en face, une côte également aride; à l'entour, le golfe d'Arguin qui moutonne sur les hauts-fonds d'un banc immense : tel est le célèbre coin de terre où les Européens des temps modernes ont fait leur premier essai de commerce avec le Soudan. Lorsqu'en 1455, le Vénitien Ca da Mosto fit son premier voyage à la côte d'Afrique, les Portugais d'Arguin étaient déjà en relations suivies avec le pays des noirs. Ils s'y étaient pris de façon expéditive. Les premiers temps, comme ils ne trouvaient rien à glaner, ils enlevaient les Maures sur la côte et les emmenaient en Portugal, ou offraient de les troquer contre des nègres et de l'or. Dans

1. Notice des découvertes faites au moyen age dans l'océan Atlantique, antérieurement aux grandes explorations portugaises du xve siècle, Nouvelles Annales des voyages, 1845, I, et 1846, IV et II.

2. De Barros, L'Asie, Décade I, L. II chap. I, traduct. mss. Bibl. Nat. no 9047, fonds français, fol. 52, verso. Voir aussi L'Asia del S. Giovanni di Barros, novamente di lingua Portogheze tradotta dal S. Alfonso Ulloa, Venetia, 1561.

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».

ce trafic d'esclaves qui allait déshonorer l'Europe, la traite des blancs a précédé celle des noirs'. L'or de Guiné (Djenné) et les convois de captifs apprirent ainsi le chemin d'Arguin, où on offrait désormais en échange des étoffes, des tapis, de l'argent et surtout du blé, denrée précieuse pour les Maures toujours menacés de famine. Chaque année, sept à huit cents esclaves partaient d'Arguin pour le Portugal. C'était dans le golfe un va-et-vient continu de caravelles, et le prince Henri faisait batir un fort à la pointe nord-est de l'île « afin d'assurer ce commerce à jamais Combien de temps dura cette prospérité? On ne sait. Vers 1490, alors que Jean II de Portugal, devenu « roi de Guinée », envoyait par la Gambie des ambassades au roi de Tungubutu et aux autres souverains noirs, les Portugais d'Arguin pénétraient au Sahara jusqu'à l'Adrar et à la ville d'Ouadan. Mais ils n'y restèrent pas longtemps. « Ils trouvèrent, dit de Barros, le pays fort désert; aussi n'est-il fréquenté que de ces mêmes Arabes qui allaient alors au château d'Arguin. » L'attention des Portugais se portait désormais ailleurs, vers les territoires fertiles de Sénégambie et de Guinée, et c'est de leur forteresse de la Mine qu'ils ont communiqué au xvre siècle avec les peuples de la boucle du Niger. Lorsqu'en 1540, l'Espagnol Marmol fut emmené captif au Sahara, le commerce d'or entre Djenné et Arguin n'était déjà plus qu'un souvenir.

1. Navigationi di Aloïse di Ca da Mosto, dans Ramusio, Navigationi et Viaggi, I, fol. 99 D. De Barros, Décade I, L. I, ch. 7 et 15, trad. franç., fol. 49, trad. d'Ulloa, fol. 17-29.

2. In perpetuo. » (Ca da Mosto, ouv. cité, fol. 99 F.). Le premier château d'Arguin a été ainsi commencé dès cette époque, et non en 1520, comme il est dit dans la notice publiée par la section historique du grand état-major allemand. (Kriegsgeschichtliche Einzelschriften, Berlin, 1885, fascicule 6.)

3. Decade I, L. III, ch. 12, traduct. d'Ulloa, fol. 58, verso. Il existe encore des ruines portugaises dans l'Adrar. Le capitaine Vincent a vu de loin, près de l'oasis d'El-Cadi, les ruines d'une tour qu'on dit élevée par les chrétiens. (Voyage d'exploration dans l'Adrar, Revue alg. et col., 1860, p. 477 et suiv.)

Cent ans plus tard, vers 1678, l'ile d'Arguin a de nouveau fait parler d'elle. On sait en quelles mains se trouvait alors la côte occidentale d'Afrique. Trois compagnies, anglaise, française, hollandaise, se disputaient le commerce de Guinée

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L'ile d'Arguin (d'après le levé du capitaine Fulcrand).

et de Sénégambie, armées toutes trois de chartes à privilège, qui leur conféraient des monopoles contradictoires. Et, ce qui rendait encore plus âpre la concurrence, des vaisseaux interlopes, anglais, zélandais surtout, venaient audacieusement offrir des marchandises à meilleur compte, malgré les défenses draconiennes des compagnies. Arguin avait dès lors une certaine importance, comme seul point vers lequel

1. Bosman, Voyage de Guinée, Utrecht, 1705, 120, p. 6.

on pût détourner la traite de la gomme, et faire brèche au monopole de la compagnie française du Sénégal. Enlevée par Du Casse à la compagnie hollandaise des Indes, l'ile était restée française en vertu du traité de Nimègue; mais la compagnie du Sénégal ne se souciait pas de s'y installer. Elle se contentait d'envoyer de temps à autre un navire y faire quelques échanges, et surtout y donner la chasse aux contrebandiers. On n'y voyait donc habituellement que des Maures, lorsqu'en 1685, un vaisseau vint y arborer un pavillon qu'on ne s'attendait guère à trouver sur ces mers.

Frédéric-Guillaume, électeur de Brandebourg, avait voulu avoir une marine. Il était tenté par cette traite d'Afrique. alors si lucrative, qu'un nègre acheté dix livres au Sénégal se vendait cent écus dans les colonies américaines. Presque sans argent, il s'était adressé à presque toute l'Europe pour en avoir; il avait demandé à la Hollande les navires, les matelots, les armateurs qu'il ne trouvait pas dans ses États: maître sculement de quelques lieues de côte sableuse et du petit port de Pillau sur la Baltique, il avait fait de la politique révolutionnaire avec les États de Frise, et installé le siège de sa Compagnie africaine à Emden, malgré les protestations furibondes de la régente de ce duché; il avait enfin envoyé deux vaisseaux bâtir un fort en Guinée, et organisait un dépôt d'esclaves aux Antilles. C'était lui qui faisait occuper sans façon le fort d'Arguin abandonné, invoquant ainsi un principe qui ne devait être admis qu'au XIXe siècle, à savoir que seule, en matière coloniale, la possession effective fait droit. Les murailles furent prestement relevées et

1. Les Voyages du sieur Lemaire aux iles Canarics, Cap Verd, Sénégal et Gambie, Paris, 1695, p. 53-56.

2. ll en avait demandé à Hambourg, à Brême, à Lübeck, au duc de Courlande, à l'Autriche et même à l'Espagne. Il en obtint de l'électeur de Cologne et de négociants de Flessingue. (Schück, Brandenburg-Preussens KolonialPolitik, Leipzig, 1889, I, p. 27, 55 et suiv.)

3. Les agents de l'électeur prétendirent plus tard qu'Arguin avait été abandonnée animo et corpore, et M. Schück, l'historien de la politique colo

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