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village arabe, voilà ce qui représente aujourd'hui la population sédentaire de Koufra. Vers l'automne seulement, les Arabes Zouya viennent y planter leurs tentes et récolter les dattes; la plus grande partie de ce sol fertile reste en friche, et une des oasis, Zirhen, n'est même qu'une hattich * solitaire où les caravanes de passage laissent errer leurs cha

meaux.

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Telle a été l'œuvre des nomades, et en particulier de ces tribus arabes, qui se sont abattues au moyen âge sur l'Afrique, pareilles à une nuée de sauterelles. « Autrefois, dit Ibn-Khaldoun en parlant du Barka, la dynastie des Sanhadja y avait fait prospérer l'agriculture; mais les Arabes. nomades-pasteurs y portèrent la dévastation et parvinrent à réduire graduellement, par leurs envahissements et leurs brigandages, les limites des pays cultivés. Tous les arts qui fournissent à la subsistance de l'homme cessèrent d'y être exercés; la civilisation y fut ruinée et le pays changé en désert 3. » L'historien qui parle ainsi était le frère de race de ces Arabes. Il est inutile d'ajouter quelque chose à ce jugement d'un des leurs.

Un fait ressort clairement de cet état de choses: presque partout, la production est inférieure aux besoins. La datte, la seule nourriture qui se trouve en abondance, ne fournit pas à elle seule la somme d'aliments nécessaire à l'homme; le blé, l'orge, le riz, le mil, malgré la chaleur qui permet d'obtenir dans l'année plusieurs récoltes successives, sont loin d'être produits en quantité suffisante. Siouah, Khargueh

1. En tout, environ 700 àmes. (Rohlfs, ouv. cité, p. 333.)

2. Pâturage sans palmiers.

3. Histoire des Berbères, I, p. 164.

4. Le sorgho ne met que huit ou dix semaines à mùrir. (Trabut, Les régions botaniques de l'Algérie, Revue Scientifique, 1881, I, p. 461.) A Dakhel, on cultive de décembre à mars les céréales européennes, en été, le sorgho et les autres plantes tropicales, et dans l'intervalle, on sème du trèfle dans les chaumes (Ascherson, Drei Monate in der libyschen Wüste, p. 236). - Au Fezzân, le gueçob donne quatre récoltes par an, dont trois de grain et la dernière de fourrage. (Rohlfs, Quer durch Afrika, I, p. 148.)

importent du blé du Nil '; Ghadàmès n'a pas assez de grains pour nourrir le dixième de ses habitants et se trouve mème obligée d'acheter des dattes aux gens du Derdj et du Fezzân 2. A Ouargla, dans l'oued Saoura, dans beaucoup d'oasis maro caines, le blé est trop cher pour être accessible à tous. Les maigres cultures du pays touareg méritent à peine qu'on les nomme 3. Celles du Bardaï, la vallée qui sert de grenier au Tibesti, ne mettent pas tous les habitants à l'abri de la famine; chaque année, un certain nombre de Téda quittent leurs montagnes et vont chercher leur subsistance à Kaouar ou dans le sud du Fezzan *. Ce pays lui-même, que tous ces affamés regardent comme une terre promise, produit à peine, dit Nachtigal, de quoi suffire tout juste à l'existence 5. Un autre voyageur, le savant et peu austère cheikh Mohammed-el-Tounsi, s'est plaint avec amertume qu'on y fit si maigre chère. «Que faire en pareil lieu, s'écrie-t-il, comment tuer l'ennui? Comment s'habituer à un pays où il n'y a pas un mets qui plaise, où bêtes et gens ont même pâture, des dattes, où le blé est si rare, qu'il n'y a que les grands qui puissent s'en procurer, où le beurre est aussi introuvable que la pierre philosophale, où le trèfle est brouté par les hommes qui le saupoudrent d'un peu de sel, où une poule se paie un demi-mithkal d'or! » Le Touât, enfin, « le jardin du désert », est loin de subvenir aux besoins d'une population très dense 1, dont la · plus grande partie ne mange pas à sa faim. Il est des familles, dit M. Rohlfs, qui passent une semaine entière sans avoir

1. Rohlfs, Von Tripolis nach Alexandrien, II, p. 120.

Soc. Geog., 1874, I, p. 631.

Schweinfurth, Bull.

2. « Tous les objets de consommation sont à des prix très élevés... La majorité de la population de Ghadamès est certainement dans une position voisine de la misère. » (Vatonne, Mission de Ghadamės, p. 266.)

3. Duveyrier, ouv. cité, p. 372.

4. Nachtigal, I, p. 268

5. « Reicht eben nothdürftig zur Fristung des Daseins hin. (Nachtigal, I, p. 129.)

6. Voyage au Quadaï. Traduct. Perron. Paris, 1851, p. 556.

7. « Uebervölkerte Oasen. » Rohlfs, Reise durch Marokko, und durch die grosse Wüste, etc., p. 168.

autre chose que des dattes pour se nourrir. Et il faut encore. compter avec les tribus nomades, qui viennent percevoir en nature la rançon des sédentaires. Beaucoup émigrent: on rencontre dans nos villes du sud de l'Algérie des hommes au teint brun, qu'on nomme Gourariens. mais qui, en réalité, sont originaires de toutes les parties du Touât.

Ainsi, malgré la splendeur d'un éternel été, malgré l'éclat des fruits et l'opulence des feuillages, la vie n'est ni facile. ni heureuse sous les palmes. La plupart des oasis, si grande que soit leur renommée de terres fertiles, sont impuissantes à nourrir tous leurs enfants. Il y a des degrés dans leur pauvreté; il n'y a pas de véritable richesse. Le nomade, qui ne se suffit pas avec ses troupeaux, le sédentaire, qui ne se suffit pas avec ses cultures. ont été amenés à s'unir, malgré leur antipathie, pour chercher un supplément de ressources dans le commerce.

1. Ibid., p. 163, 169.

CHAPITRE XVI

LES VOIES DE COMMERCE SAHARIENNES DANS LA NATURE ET DANS L'HISTOIRE

Le Sahara pays de transit.

Ses voies naturelles route du Tchad par

le Fezzȧn; traversée des montagnes du centre par Ghadâmès et Rhât, par Ouargla et Amadghor; le carrefour du Touat; l'extrême ouest

du Sahara; les côtes.

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Le commerce transsaharien dans l'antiquité. - Insuffisance des textes invoqués pour et contre. Présomptions en faveur de son existence passée; les oasis romaines; la route de Garama à Leptis; celle de l'Aïr et les souvenirs qui s'y rattachent.

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Les voies de commerce sahariennes dans l'histoire: 10 Avant la grande invasion du XIe siècle routes du Fezzân aux pays du Tchad, de Tozeur à Gagho, de Sidjilmâsa à Ghana; - 2o au XIVe siècle : commerce d'Oualata et de Mellé; relations de Gagho avec Ouargla et l'Égypte; le royaume de Kanem; - 3o au début du xvIe siècle : l'empire sonrhaï, grandeur de Timbouctou et de Gagho; prospérité d'Agadės; 4o depuis le xvI° siècle : décadence des pays du Niger, ruine d'Agadès et prospérité de Kano; fermeture des routes algériennes; appauvrissement du Fezzân.

Si l'on considère les relations qui existent entre les peuples, la limite qui sépare l'Europe de l'Afrique n'est pas la Méditerranée. Elle a été le grand chemin de l'antiquité; elle a réuni dans une même civilisation les pays épars sur ses rives. C'est le désert qui est la véritable barrière entre les deux mondes: le Maroc, l'Algérie-Tunisie, la Tripolitaine, toutes ces contrées si bien nommées Afrique mineure sont moins loin de l'Europe que des Noirs.

du pays

Mais le Sahara lui-même n'était pas destiné à rester en dehors du commerce. Certains déserts, par la position qu'ils occupent sur le globe, sont demeurés de tout temps à l'écart de la circulation du monde; jamais, jusqu'à ce siècle, les caravanes n'ont traversé l'Australie intérieure: son désert ne mène à rien. Le Sahara sépare, au contraire, deux

sociétés différentes, qui tôt ou tard devaient entrer en contact et procéder à des échanges. Ainsi le veut la diversité des climats. Les principales richesses du Soudan manquent à l'Afrique méditerranéenne; en retour, le Soudan demande au nord les produits d'une civilisation supérieure. A ces besoins de deux grandes agglomérations d'hommes, la voie du Nil n'a pas suffi. Les habitants du désert ont dù servir d'intermédiaires, soit en convoyant les marchandises du nord et du sud, soit en faisant le commerce pour euxmêmes. Le Sahara, comme l'Iran, comme le plateau des Montagnes Rocheuses, est ainsi devenu, de par la nature, un pays de transit.

Ce n'est pas une région de production industrielle. Le soin des jardins absorbe le sédentaire; quand au nomade, <«< l'immensité de l'espace dévore son temps ». En dehors des objets de première nécessité, et des étoffes de laine tissées par les femmes, les Sahariens ne fabriquent rien. Mais le désert renferme au moins deux denrées susceptibles d'échange, l'une dans le nord, la datte; l'autre dans le sud, le sel. C'étaient les éléments d'un certain trafic local.

LES ROUTES NATURELLES DU SAHARA

La nature, en provoquant les peuples au commerce, leur marque aussi les voies que ce commerce peut suivre. Dans nos pays, ce sont, d'ordinaire, les moins accidentées et les plus courtes. Au désert, la longueur du voyage et les difficultés de la route s'effacent devant la nécessité impérieuse de trouver de l'eau. C'est ainsi que les caravanes tripolitaines à destination du Fezzân évitent la surface unie de la Hamâda-el-Homra, et aiment mieux se soumettre à une série de montées et de descentes, en franchissant une à une les vallées qui en découpent le bord'. Le commerce a done

1. Les caravanes passent tantôt par Misda, tantôt plus à l'est encore, par Beni-Oulid et Bou-Ndjem.

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