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richesses, procèdent à cette extorsion comme à l'exercice d'un droit. Tout se paye chez eux, du moment que vous n'êtes pas des leurs. Vous leur devez le prix non seulement des vivres qu'ils vous apportent, du guide, que, bon gré mal gré, ils vous fournissent, mais de l'eau que vous buvez, du sol que vous foulez, de l'air que vous respirez : ils ont droit de vous vendre tout cela, puisque vous venez chez eux, et qu'ils peuvent vous faire périr. Que reste-t-il des légendaires vertus de l'« Arabe du désert »? L'hospitalité? Ils sont généralement trop pauvres pour l'offrir. Ce qu'on appelle de ce nom au désert n'est le plus souvent qu'une mendicité déguisée. Le Saharien nourrit son hôte comme tout bon musulman doit le faire, mais il attend un présent qui dépasse la valeur de ce qu'il a offert. Et il ne se fait pas faute de renvoyer le don trop maigre, et d'en demander un autre qui soit plus en rapport avec sa dignité'. Que de voyageurs, même musulmans, ont pu dire avec Tissot : « l'hospitalité arabe est toute d'ostentation et de calcul. »

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Sans doute, le cœur ne perd pas entièrement ses droits, et l'on trouve, même au Sahara, des hommes désintéressés et secourables. Le cheikh Othmân, l'ami de Duveyrier, le cheikh Ali, qui au risque de s'aliéner le sultan de Sidi-Hescham, a refusé de faire tuer Lenz dans le désert et de partager ensuite ses dépouilles, sont restés comme des figures patriarcales et pures dans le souvenir de leurs hôtes reconnaissants. M. Rohlfs a vu à Karzas un des misérables Arabes de l'oued Saoura adopter un petit enfant abandonné par une caravane. «< Ainsi, mênie parmi ces scélérats, pour qui la vie

1. Rohlfs, Reise durch Nord-Afrika, Mitth., art. cité, p. 26, etc.

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2. Géogr. comparée, I, p. 417. Voir les relations de voyage de Bou-elMoghdad, d'Alioun-Sal (Ancelle, ouvr. cité), et le genre d hospitalité que Bou-Derba a rencontrée dans le Sahara central. L'hospitalité est une vertu réelle chez les nomades des steppes. A une proposition d'indemnité pour la diffa qu'ils ont offerte en 1887 à la caravane parlementaire, les Hamyan ont fait cette réponse : « Nous sommes assez riches pour payer l'hospitalité que nous donnons.

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d'un homme ne vaut guère plus que celle d'une mouche, il est des âmes accessibles à des sentiments plus doux'. Lorsqu'au mépris des contrats les plus solennels le camp du même voyageur, à Koufra, fut forcé par ceux mêmes qui devaient le défendre, tandis que les brigands, venus pour tuer et furieux de trouver les tentes vides, brisaient les coffres, piétinaient les instruments, éventraient les sacs de vivres, et que le reste de la tribu applaudissait à cette scène de vandalisme, un homme, un vieillard, s'approcha et vint crier dans le tumulte : « Je n'ai jamais voulu avoir affaire aux chrétiens, j'ai toujours été d'avis de ne pas les amener sur nos terres; mais vous avez mangé leur pain, malédiction sur vous et votre félonie! » Les pires conditions d'existence ne peuvent abolir la conscience humaine. Seulement, au désert plus que dans tout autre pays, le droit ne compte que s'il est appuyé par la force. On a pu dire de l'Allemagne, à certaines époques troublées du moyen âge, que le poing armé y faisait la loi'. Nos indigènes d'Algérie appellent le Sahara d'une façon analogue: le pays du bras, ou le pays de la peur. Toute l'intelligence des nomades, toutes leurs rares qualités d'énergie et de bravoure n'aboutissent qu'au désordre et à la guerre perpétuelle.

1. Reise durch Marokko, etc., p. 127.

2. Rohlfs, Kufra, p. 299 et suiv. Les voyageurs furent sauvés par le chef d'une tribu voisine. Alors que tout le monde semblait d'accord avec les meurtriers, ou du moins décidé à les laisser faire, il offrit aux malheureux de les prendre dans son camp et fit monter la garde autour d'eux. Seul de tous les chefs de l'escorte, il fut fidèle à la parole donnée. Mais aussi, lorsqu'il revint plus tard à Benghazi, il mourut subitement, après avoir pris une tasse de café chez le pacha.

3. L'usage de la ghefara même n'est pas toujours respecté. La tribu marocaine des Ida ou Blal est ainsi tributaire de la tribu plus puissante des Beraber. Jadis la convention était observée par les deux parties; mais aujourd'hui que les Blal sont affaiblis par les guerres civiles, les Berâber en profitent pour ne plus se souvenir que des clauses à leur profit; ils perçoivent le tribut et n'en razzient pas moins leurs malheureux clients. (De Foucauld ouvr. cité, p. 156.)

4. Faustrecht.
5. Blad-el-dhra.

6. Blad-el-khouf.

Rien n'est caractéristique comme l'histoire presque séculaire des Aoulad-Slimân, que Lyon, Barth et Nachtigal out notée tour à tour. Au début de ce siècle, les Aoulad-Slimân étaient une tribu arabe de la Grande Syrte, toujours en guerre avec les tribus voisines, et en révolte contre le pacha de Tripoli. Vaincus une première fois, ils se retirèrent quelque temps en Égypte, pour revenir bientôt disputer Mourzouk au sultan du Fezzân. Mais le sultan s'entendit avec son voisin de la Tripolitaine, et alors commença contre eux une guerre sans merci. Deux cent cinquante de ces malheureux furent égorgés de sang-froid dans l'Oued-ech-Chati, après avoir eu promesse de vie sauve... Les quelques hommes qui échappèrent à l'extermination se dispersèrent, et se fondirent dans d'autres tribus; « telle fut, raconte Lyon, la fin des Oualed Souliman!' Cependant, vingt ans plus tard, lorsqu'une nouvelle génération entre en scène, la tribu, reconstituée et redoutable, parcourt de nouveau les routes au sud de la Tripolitaine: vers 1830, son chef Abd-el-Djelil est le véritable roi du Fezzân. Douze années durant, les Aoulad-Slimân, en tout un millier d'hommes, disputent ces oasis aux armées des Turcs. Vaincus enfin, chassés du Fezzân comme ils ont été chassés de la Syrte, ils vont jusqu'au Kanem chercher un pays sans maître et des populations sédentaires dont ils puissent faire leur proie. Là, ils ont bientôt groupé autour d'eux tout ce qu'il y a d'aventuriers arabes au désert, et recommencent leurs courses périlleuses en trois ans, ils enlèvent des milliers de chameaux aux Touâreg de l'Aïr. Mais ceux-ci, menacés dans le commerce de sel qui les fait vivre, réunissent en 1850 jusqu'à sept mille hommes et taillent en pièces leurs ennemis. Quelques guerriers seulement

1. Vers 1812. (Nachtigal, ouvr. cité, I, p. 173.) Nous avons préféré suivre, pour la chronologie, la chronique arabe résumée par Nachtigal, plutôt que les traditions orales recueillies par Lyon.

2. A Narrative of travels in Northern-Africa, p. 55.

3. Nachtigal, I, p. 174.

échappent à ce nouveau massacre. Pour la deuxième fois en moins d'un demi-siècle, la tribu était presque anéantie; Barth, en 1855, croyait sa disparition prochaine '. Et pourtant, seize ans après, Nachtigal retrouve les indomptables pillards sur sa route. A force d'opiniâtreté et de combats, ils ont reconquis leur place au désert; comme par le passé, ils errent du Tchad au Fezzân, du Ouadaïà Koufra, razziant, avec ou sans prétexte, tous ceux qu'ils rencontrent sur leur passage, indifférents à la communauté de race, peu soucieux de la foi des traités, sans respect pour les gens du roi de Ouadaï, dont ils se disent les auxiliaires, redoutables même aux caravanes où se trouvent quelques-uns des leurs'.

« C'est vrai, disaient-ils à Nachtigal, qui leur reprochait leurs rapines, nous vivons exclusivement d'injustice et de péché; mais comment pourrions-nous subsister autrement? Le travail ! Nos pères ne l'ont jamais connu, et ce serait une ignominie de déroger à cette coutume des privilégiés de ce monde .>>

Toute la morale, on dirait presque toute l'existence du nomade, se résume dans cette parole et dans cette odyssée. Elles nous montrent, dans leurs conséquences extrêmes, les instincts qui caractérisent les tribus du désert: leur indépendance, et leurs vertus guerrières, et leur orgueilleuse paresse, et leur avidité.

1. Reisen, III, p. 60.

2. Nachtigal, I, pp. 434-39. 3 Nachtigal, II, p. 98.

CHAPITRE XV

LES SÉDENTAIRES

Les conditions de la culture au Sahara. L'irrigation: 1° dans les oasis de sources nivellement des jardins, distribution de l'eau, forage de puits jaillissants; 2o dans les oasis de rivière canaux, barrages et puits; importance des crues pour les labours; difficulté de l'arrosage au Mzab une oasis de rivière en Asie; 30 dans les autres oasis: appareils. divers pour extraire l'eau de la terre; les foggarat, aqueducs du désert- Cas où l'on déblaye le sol jusqu'au voisinage d'une nappe souterraine; les travaux de la culture au Soûf.

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Condition sociale du sédentaire : exploitation de l'oasis par le nomade. Les khammes. Asservissement des gens de Bilma aux Touareg d'Aïr. Conséquences de

Misère des populations sédentaires au Borkou.

ce régime dans les oasis: anarchie politique, absence de pouvoir judiciaire la force fait loi. Une exception à la règle : le Mzab. Décadence presque générale des oasis diminution des cultures à Khargueh, à Ghadamès, au Nefzaoua, au Djerid. Le Zab et l'Oued-Rirh au moyenDisparition de populations sédentaires au Borkou, à Koufra. La production est presque partout inférieure aux besoins.

âge.

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La culture, au Sahara, est née sans doute du besoin de suppléer à la vie pastorale. Elle a dû être le premier effort fait pour réagir au désert contre les fatalités naturelles, pour chercher dans une existence moins primitive les ressources que la vie nomade ne pouvait fournir.

Obligée de s'adapter à des conditions climatériques toutes spéciales, l'agriculture saharienne ne ressemble guère à celle des autres pays. Elle est avant tout une arboriculture. C'est l'ombre du palmier qui rend possible le travail du sédentaire; c'est la datte qui en constitue le principal produit c'est à faire prospérer l'arbre nourricier et tutélaire que l'habitant de l'oasis met presque tous ses efforts. Le

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