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Hérodote, le vénérable père de l'histoire, avait-il vraiment le sens de la nature, lorsqu'il nous montrait la ligne continue des sables se prolongeant du nord de l'Afrique jusqu'à l'Indus. Ces lignes contiennent déjà en germe la théorie dite du vent polaire. L'idée d'un grand courant atmosphérique, qui, dévié par la rotation de la terre, traverserait obliquement l'Asie et l'Afrique, desséchant tout sur son parcours, a été ensuite développée par les auteurs les plus divers2; mais c'est Peschel qui lui a donné la forme la plus précise. « L'aridité d'un pays croît en raison de son éloignement des mers qui doivent lui envoyer leurs vapeurs. Le voisinage de l'Atlantique n'est d'aucune utilité pour le Sahara occidental, car c'est l'alizé du nord-est qui doit lui amener la pluie. Or, avant d'atteindre la côte saharienne, il a couru sur les steppes de l'Asie centrale, les plateaux de l'Iran, le nord de l'Arabie et tous les déserts situés à l'ouest du Nil. Le peu de vapeur d'eau qu'il emporte avec lui vient de l'océan Glacial, et après avoir arrosé les forêts sibériennes, couvert de neige en hiver les steppes kirghises, il ne laisse plus sur son passage que des déserts. La chaîne de solitudes qui s'allonge de la steppe Baraba jusqu'à l'Atlantique n'est autre chose que le lit aride de ce courant d'air froid et lourd. Et Peschel termine sur cette phrase dramatique Ainsi le Sahara meurt de soif en vue de l'Océan 3, parce que, de tous les pays du monde, c'est lui le plus éloigné de la mer qui doit le fournir d'humidité. »

Cette théorie était séduisante. Faire d'un grand courant de l'atmosphère l'auteur responsable des déserts de l'ancien monde, résoudre d'un coup, par une solution unique, tous

1. Ansichten der Natur, p. 7-8.

2. « Un grand courant atmosphérique qui, du centre de l'Asie, s'écoulerait vers l'Ouest. » (Pomel, ouv. cit.) Après avoir passé sur les hauts plateaux de l'Asie et s'être déchargé de la plus grande partie de sa vapeur d'eau, ce courant atmosphérique traverse obliquement toute l'Afrique, des bords du Nil à ceux du Niger» (El. Reclus, La Terre, Paris, 1881, 4o, II, p. 310), etc. 3. Verschmachtet im Anblick des Oceans. (Neue Probleme der vergleichenden Erdkunde, Leipzig, 1878, p. 183.)

ces différents problèmes, c'était là une de ces généralisations hardies, fertiles en développements oratoires, qui ne devait pas déplaire aux disciples de Ritter. Elle cadrait du reste avec l'idée générale, que Dove et Maury avaient donnée de la circulation de l'atmosphère l'air décrivant un circuit.

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continuel entre les pôles et l'équateur, si bien qu'il n'y aurait eu, en somme, que deux vents sur la terre, l'alizé polaire et le contre-alizé équatorial'. Aussi cette idée de Humboldt a-t-elle eu la rare fortune d'être presque universellement admise. Encore aujourd'hui, on invoque quelquefois le vent polaire lorsqu'il s'agit de dire pourquoi le Sahara est un désert. Mais il en est de cette explication comme de

1. Voir Dove, Meteorologische Untersuchungen, Berlin, 1837. Maury, Géogr. physique de la mer, trad., Paris, 1861, p. 105 et suiv.

2. « On admet assez généralement que la zone des déserts résulte d'un grand courant atmosphérique dù à la rotation de la terre... » (Rolland, Géologie du Sahara, p. 263.) « La cause principale de la sécheresse du Sahara tient à ce que dans l'intérieur, l'alizé vient particulièrement de l'est, et non de la Méditerranée, et subit l'influence des hautes contrées asiatiques... Entre Tunis et Tripoli, aucun vent de mer ne pénètre dans l'intérieur. >> (Grisebach, La végétation du globe, trad. de Tchihatchef, Paris, 1878, II, p. 109.)

bien d'autres de ce genre: elle est trop simple pour être vraie. Si l'humidité de l'air dépend de la direction des vents, les vents dépendent à leur tour de la répartition des pressions atmosphériques, et celle-ci n'est pas si uniforme qu'on le croyait d'abord. Le grand courant polaire est une belle fiction. Un savant russe, M. Woeikof, s'est attaqué à ce mythe, et n'en a pas laissé subsister grand'chose. Ses arguments' peuvent se résumer ainsi :

En été, loin d'envoyer des torrents d'air au loin vers l'Afrique, les déserts de l'Asie sont des foyers de chaleur qui attirent l'air des régions voisines. Les vents convergent alors vers trois principaux centres de dépression barométrique le nord-ouest de l'Inde, le Turkestan oriental, et le Kara-Koum, au sud de la steppe aralo-caspienne. En même temps, les chaudes plaines de la Mésopotamie attirent l'air de la Méditerranée orientale. Des vents du nord-ouest soufflent avec force en Palestine et en Syrie. « Ils sont si forts, aux environs de Jérusalem, que les arbres sont courbés vers le sud-est 3.» En hiver, c'est autre chose. L'air froid qui s'amasse sur la Sibérie et le Turkestan oriental s'échappe, il est vrai, de toutes parts et prend aussi la direction du sud; mais il ne se rend pas au Sahara. Il vient à l'appel de régions plus rapprochées, où à cette époque la pression est basse il va à la mer Noire, à la Méditerranée, à ce golfe Persique qu'à l'ouest de Hérat aucune haute montagne ne sépare des régions froides, si bien que l'air des steppes turkmènes peut s'écouler vers l'océan Indien *. En même temps les steppes syriennes envoient de l'air à la Méditerranée restée relativement chaude, et dès l'automne des vents de sud-est commencent à souffler en Palestine. Ainsi, en

1. Voir dans les Mittheilungen, le cahier supplém. no 38, 1874 : Die atmosphärische Circulation et surtout le grand ouvrage de M. Woeikof: Die Klimate der Erde (léna, 1887).

2. Die Klimate der Erde, II, p. 123, 294.

3. Ibid., p. 112. Die atmosph. Circulation, p. 26.

4. Ibid., p. 292.

hiver comme en été, le soi-disant « lit des vents polaires se trouve coupé par des vents de direction différente, et l'on ne peut admettre cette explication, « par la bonne raison qu'un courant continu de ce genre n'existe pas»'.

De nouvelles observations ont été faites depuis, et elles donnent raison à M. Woeikof. D'une part, les études de M. Rykatchew2 sur la répartition des vents et des pressions autour de la Caspienne ont mis hors de doute les faits suivants : 1o en été, l'existence d'une aire de pression relativement haute et très égale dans toute la région située entre la mer d'Azov et la rive orientale de la Caspienne, et par suite l'absence de tout vent dominant 3; 2° en hiver, l'existence de minima barométriques sur la mer Noire et la Caspienne, vers lesquelles convergent les courants atmosphériques. Ainsi, de ce côté, point de trace de vent polaire.

Pour la Syrie et la Palestine, M. Woeikof n'avait à sa disposition que les observations peu nombreuses du Dr Chaplin à Jérusalem (1865-67) et quelques autres, prises à Beyrouth et à Nazareth. Grâce au Lee Observatory de l'American College de Beyrouth, nous possédons aujourd'hui une série bien autrement précieuse, puisqu'elle comprend une période de dix ans. Voici le résumé de ces observations.

FRÉQUENCE DES VENTS A BEYROUTH (1876-1885)

N

NOMBRE DE FOIS QUE LE VENT A ÉTÉ : NE E SE S SW W NW Calmes Oct. Mars: 58 73 29 117 45 130 46 34 16 50 20 228 104 25

Avr.

--

:

7 - Sept. 61 41

9

7

1. Ibid, p. 112.

2. Die Vertheilung der Winde und des Luftdruckes am Caspischen Meere (observations variant selon les stations, de 5 à 34 ans), dans Wild, Repertorium für Meteorologie, tome XX, St-Pétersbourg, 1888, p. 51 et suiv.

3. Kein merkbares Vorherrschen irgend eines Windes (ouv. cit., p. 53). 4. Au moment où le vent du N.-E. domine à Krasnowodsk, le vent du N.-W. souffle à Bakou et à Lenkoran (ibid., p. 51).

5. Voir Palestine Exploration Fund, Quarterly Statement, 1872, p. 29, 96-99. 6. Publiée par M. C. Diener, dans son ouvrage intitulé Libanon, Grundlinien der physischen Geographie von Mittelsyrien, Vienne, 1886, p. 161. 7. Observations faites 3 fois par jour.

Ainsi les vents de sud-est et sud-ouest dominent à Beyrouth en hiver; les vents de sud-ouest et d'ouest ont en été une supériorité écrasante; quant au vent d'est et de nord-est, il n'existe pour ainsi dire pas 1.

1.

Les rares observations faites dans l'intérieur ont donné des résultats analogues. « Je n'ai jamais gravi une cime ou un col, dit M. Diener qui a exploré la Syrie en été, sans rencontrer un fort vent d'ouest ou de nord-ouest. » Ces vents des régions ouest soufflent aussi en été dans le désert de Palmyre 3. Enfin la pression barométrique est conforme à ce mouvement général de l'air : elle paraît être presque constamment plus faible à Beyrouth qu'à Alexandrie '; mais elle est plus forte en été à Beyrouth que sur le golfe Persique.

Bien que les observations manquent en Asie Mineure, il ne peut guère subsister de doutes. S'il arrive au Sahara de l'air asiatique, ce n'est que par hasard.

THÉORIE DE L'ALIZÉ

Le vent polaire doit donc être relégué parmi les fléaux mythologiques. Le dernier ouvrage de Peschel contient cet aveu i ne peut être question en été d'un afflux d'air asiatique. M. Elisée Reclus a reconnu de même que « le mouvement général de l'air ne prend pas une direction aussi oblique ». L'idée de Humboldt est donc généralement abandonnée, et une autre théorie a pris sa place. On connaît

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1. M. Supan a publié d'après Coffin des chiffres analogues pour une période de 9 ans. (Statistik der unteren Luftström, p. 121.)

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D'après les observations du Lee Observatory pour Beyrouth, et Hann (Met. Zeitsch., mars 1886 pour Alexandrie.)

5. Peschel-Leipoldt, Physische Erdkunde, Leipzig, 1879, II, p. 491.

6. Nour. Géographie universelle, tome XI, Paris, 1886, p. 789.

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