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ques 1» Des noms, encore des noms, souvent un trait de mœurs, presque aucun détail anthropologique ou linguistique qui permette de classer ces tribus innombrables, voilà ce que les Grecs et les Romains nous lèguent en fait de notions sur les races du désert.

Il faut arriver à saint Augustin pour trouver une idée générale. In Africa barbaras gentes in una lingua plurimas novimus 2, ce mot de l'évêque d'Hippone est une révélation. Il renferme la découverte vérifiée de nos jours : l'existence d'une langue berbère. Lorsque les Arabes entrent en Afrique, ils ne s'y méprennent pas. Les tribus auxquelles ils se heurtent, Ketama, Hoouara, Guezzoula et autres, ne sont à leurs yeux qu'un seul et même peuple, ayant son idiome différent de tout autre; et ils appellent ce peuple berbère, par opposition aux Roum, aux gens de mœurs grecques et latines. « Les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux, un vrai peuple comme tant d'autres dans ce monde », dit leur grand historien Ibn Khaldoun. La science a ratifié en partie ce jugement. S'il n'y a pas là de peuple au sens étroit du mot, il y a bien là un ensemble de populations parlant une langue commune. De l'est à l'ouest du désert, et du nord au sud, de l'Atlantique à Siouah, et du Niger à l'Atlas, on trouve des dialectes assez différents parfois pour que les tribus ne puissent s'entendre, mais dont la construction grammaticale, le système de conjugaison et le vocabulaire prouvent jusqu'à l'évidence qu'ils appartiennent à une même langue. Le dialecte que parlent les nomades des bords du Niger ne diffère pas sensiblement de celui de Ghadàmès, qui lui-même est compris par les gens du Djebel tripolitain ". Les mots qui restent de

1. Tissot, Géographie comparée de la province romaine d'Afrique, I, p. 445.
2. De civitate Dei, XVI, vi.

3. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, I, p. 168.

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la langue des anciens Canariens, sont encore presque tous en usage chez les Berbères de l'Algérie '. Un Touareg, un indigène natif du Sud Marocain, converse sans difficulté avec les habitants d'Aoudjila ou de Siouah. Le général Hanoteau, sachant le kabyle, a pu apprendre rapidement le langage des Touareg. Enfin, M. Masqueray a prouvé que presque tous les mots du vocabulaire zenaga recueilli par le général Faidherbe aux bords du Sénégal « seraient compris, les uns par nos Kabyles, les autres par nos Chaouïa, les autres par nos Mozabites, si on prenait soin de les réduire à la prononciation de chacun de ces groupes ». Voilà donc une grande famille ethnique, dont les rameaux couvrent presque toute l'Afrique du Nord.

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Nous n'avons pas à traiter ici la question de l'origine des Berbères. Sont-ce des autochthones, ou des peuples venus d'Asie aux temps préhistoriques, sommes-nous en présence d'une race pure, ou d'un mélange de plusieurs races, c'est là un grand débat qui dépasse le cadre de cette étude, car il embrasse les origines de toute l'Afrique du Nord. Mais on a posé un autre problème. Les Berbères ont-ils occupé de tout temps le Sahara qu'ils partagent aujourd'hui avec les Arabes? Y vivaient-ils seuls, ou côte à côte avec une autre race, plus ou moins apparentée aux nègres du Soudan? Ou même le Sahara n'était-il pas dans l'antiquité le domaine exclusif d'une race noire, parvenue à une civilisation assez avancée?

Dès longtemps, des voyageurs frappés du teint foncé de certaines tribus sahariennes, se sont demandés s'il n'y avait pas là des restes de populations très anciennes, antérieures aux Berbères. En 1853, le colonel Carette croyait ainsi

1. Berthelot, Mém. Soc. d'ethnol., I, p. 183.

2. Rohlfs, Von Trip. nach Alex., II, p. 122.

3. Essai de grammaire de la langue tamachek', Par., 1860, p. 29.

4. Compar. d'un vocabulaire du dialecte des Zenaga du Sénégal avec les vocabulaires des Chawia et des Beni-Mzab, Paris, 1879, p. 1.

reconnaître des autochthones dans l'Oued-Rirh. « Les Rouara proprement dits, écrivait-il, ont la peau presque aussi noire que les nègres, et quelques-uns des traits de la race nègre. Toutefois ils différent encore essentiellement des peuples nigritiens... La population autochthone de l'Ouad-Rirh marque la transition de couleurs et de traits entre la race blanche et la race noire1. - Il n'est pas douteux, écrit Barth à son tour, que le Fezzân n'ait eu dans l'antiquité sa race particulière....... La langue primitive de cette race s'est perdue et à part son teint foncé et ses particularités physiques, quelques noms rappellent seuls son origine centre-africaine... Les anciens nous font entrevoir que les Berbères n'atteignaient pas les limites du désert, mais que leur domaine était borné par des régions occupées par des noirs. Ouargla appartenait sans aucun doute aux noirs de l'Afrique centrale, de même que le Touât. »

M. Duveyrier adopte la théorie de Barth et en augmente encore la portée. Il confirme d'abord les observations de Barth en ce qui concerne le Fezzân. D'après la tradition, dit-il, « les plus anciens habitants étaient des Berâouna, nom sous lequel les Arabes confondent tous les nègres du Bornou, aussi bien que les Teboù. La dynastie la plus ancienne qui ait gouverné les Beràouna est celle des Nesoûr, originaire du Soudan. Elle régnait à Tràghen. Si les anciens Garamantes étaient d'origine nigritienne, la tradition serait d'accord avec l'histoire, et les Beràouna du Fezzàn seraient identifiés avec les Garamantes. Si on constate qu'à Tràghen, comme à Djerma, comme dans toutes les oasis du Fezzân, le sang noir domine, le doute n'est plus permis, et l'on est porté à croire que Garamantes, Berâouna et les sujets des sultans Nesoùr appartenaient à cette race noire qui existe encore aujourd'hui sur les lieux. Dans le Fezzân méridional,

1. Origines et migrations des principales tribus de l'Afrique septentrional c Paris, 1853, 4o, p. 305.

2. Reisen, I, p. 242 et suiv.

d'ailleurs, on retrouve à chaque pas des noms de lieux appartenant à la langue du Bornou '. »

Puis, M. Duveyrier étend ces conclusions au Sahara tout entier Des nègres, dont quelques-uns sont encore en place, mais dont la masse a été refoulée, ont occupé le Sahara avant toute autre race 2. » Il considère donc les habitants à teint noir de certaines oasis comme « les derniers

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rejetons de ces races noires indigènes », et leur attribue toutes les traces de civilisation antique qui ne sont ni égyptiennes ni romaines : « Il est désormais à peu près certain, qu'à une époque très ancienne, a régné dans tout le Sahara une civilisation nègre très avancée pour l'époque, et que cette civilisation a doté le pays de travaux hydrauliques remarquables, de constructions distinctes de toutes les autres, de tombeaux qui ont partout le même caractère, de sculptures sur les rochers qui rappellent les faits principaux de son histoire. »

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M. Largeau, à son tour, dit avoir rencontré une race nègre aborigène dans le village de Ngouça, oasis de l'OuedRirh. M. le Dr Weisgerber, observant dans les mêmes parages, admet que « les peuples primitifs du Sahara algérien étaient nègres, et que leurs descendants se sont alliés avec les peuples berbères de la première invasion ». M. E. Reclus admet en partie, M. Mercier sans réserve l'extension primitive de la race nègre dans le désert. Selon M. Fréd. Müller, « les nègres sont les véritables aborigènes de l'Afrique du Nord-Ouest ». M. Robert Hartmann assimile les aborigènes aux Garamantes, et les Garamantes aux Têda ou Teboû, qui

1. Les Touareg du Nord, p. 276-8.

2. Ibid., p. 280.

3. Bull. Soc. Geogr., 1876, II, p. 133.

4. Le pays de Rirha, p. 59.

5. Revue d'ethnog., 1885, p. 451.

6. Pour le Fezzân et le Nefzâoua tunisien. Nouv. Géog. univ., XI, p. 104, 210.)

7. Hist. de l'établissement des Arabes dans l'Afr. sept., Paris, 1875, p. 364. 8. Allgemeine Ethnographie, Vienne, 1878, p. 139.

habitent le Fezzân méridional. Il voit donc des Têda partout: « Il y a des restes de Têda dans l'Oued-Rirh. » Enfin, Ch. Tissot exprime encore une opinion différente. Lui aussi croit que les indigènes du Fezzân, du Nefzâoua tunisien, de l'OuedRirh, du Soùs marocain, représentent les restes de l'ancienne race aborigène : mais il n'en fait ni des nègres, ni des Teboû. Reprenant et développant l'opinion de Carette, il suppose une race de bruns sahariens, qui, refluant du désert vers le Nord, aurait formé, avec d'autres bruns venus d'Europe, le fond primitif de la race berbère actuelle 2.

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En opposition complète avec tous ces érudits sont ceux qui, comme Mannert et Faidherbe, n'ont découvert aucune race particulière. « On complique à tort l'histoire des populations de l'Afrique septentrionale en voulant y voir autre chose que deux races, blanches toutes deux, l'une, la race arabe, qui a envahi ces contrées depuis le viie siècle, l'autre que nous sommes convenus de désigner sous le nom de Berbères... Pour nous, nous sommes persuadé qu'il n'y a eu d'habitants noirs dans les oasis du nord du Sahara que lorsque les Berbères et les Arabes en eurent été chercher au Soudan *. » Voilà bien des opinions. différentes. Est-il possible de sortir de ces contradictions?

La thèse du général Faidherbe est simple. Il ne voit au Sahara que les deux races établies dans l'Afrique mineure. C'est à ses contradicteurs de prouver qu'il y en a d'autres. Leurs arguments se réduisent à quatre principaux : 1o l'existence d'anciennes constructions et sculptures particulières au Sahara; 2o les traces laissées au Fezzân par des populations soudaniennes ; 3° les textes anciens qui mentionnent des Éthiopiens dans le désert; 4o le type de certaines

tribus sahariennes.

4. Die Nigritier, Berlin, 1876, p. 74-77.

2. Ouv. cité, p. 400-2.

3. Géographie der Griechen und Römer, X, p. 573.

4. Recherches sur les tombeaux megalithiques de Roknia (Bull. Acad. d'Hippone), Bône, 1868, p. 7. Revue Afr., 1867, p. 68.

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