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terrain stérile par excellence, cachent au Sahara des réserves d'eau inattendues. Loin de les fuir, le Saharien les recherche, comme une des régions qui offrent le plus de ressources à ses troupeaux. Ce résultat n'est paradoxal qu'en apparence. Sous un climat humide, c'est le degré de fertilité du sol qui importe; sous un climat sec, c'est la quantité d'eau qu'il contient. La dune de sable pur, mais humide, est plus verte que la hamada de bonne terre d'argile, que la sécheresse rend dure comme la pierre.

Si les ressources liquides du Sahara se bornaient à celles que nous venons de décrire, le désert n'en serait pas moins inaccessible sur une immense étendue. Le désert libyque, par exemple, n'aurait pas une goutte d'eau. D'autres réserves sont heureusement enfouies dans le sol. De grandes nappes, formées surtout des pluies infiltrées dans les montagnes, s'amassent à une profondeur plus ou moins grande sur les couches imperméables du sous-sol. Qu'un accident de terrain se produise, redressement des couches, ou dénivellation du sol, et elles reparaîtront au jour, jailliront en sources ou suinteront en mares, souvent fort loin de leur point de départ. Lorsque après 350 kilomètres de désert sans eau et sans herbe, on annonça à M. Rohlfs la première oasis de Koufra, il s'attendait à voir quelques misérables palmiers groupés autour d'un puits. Il trouva 6 300 kilomètres carrés de forêt et de pâturages; puis, cent kilomètres plus loin, une nouvelle oasis située autour d'un lac véritable; puis, au bout de cent autres kilomètres, la grande oasis de Kebabo: tout un archipel de verdure', perdu au milieu du plus aride pays du monde ! Dans toute cette région, on n'a relevé jusqu'ici aucun lit de rivière, aucune trace de pluie sur le sol; mais une puissante nappe d'eau se rencontre partout entre un et trois mètres de profondeur.

1. En tout environ 17 800 kil. carrés. (Kufra, p. 330.)

C'est au loin, dans les montagnes du Ouadjanga, où il pleut chaque année au dire des Arabes, qu'il faut probablement chercher son origine. Une nappe analogue fertilise le Borkou, ce groupe d'oasis situées au nord-est du Kanem. « Il suffit, dit Nachtigal, de gratter la terre pour trouver l'eau. » A Galakka, un ruisseau d'eau vive jaillit d'une colline de sable. Ces richesses viennent sans doute des monts du Tibesti, dont la haute silhouette se dresse à l'horizon 2.

Il existe au Sahara de vraies nappes artésiennes. A Serdélès, dans la plaine de Rhât, et à Timassinine, au pied de la hamada de Tinghert, un filet d'eau monte ainsi de lui-même à l'orifice des puits. L'antique fontaine de Ghadâmès (Cydamus), jaillissant dans la région la plus basse de la grande hamada tripolitaine, déverse sur 75 hectares une eau thermale qui vient d'environ 120 mètres de profondeur. Dans le Sahara algérien, ce ne sont pas des sources isolées, mais de véritables lignes d'eaux artésiennes qui se révèlent. L'une d'elles, simplement ascendante, alimente au milieu de l'Erg le cordon d'oasis du Souf; une artère plus abondante, connue sur environ 25 kilomètres, jaillit avec force au travers des terrains quaternaires dans le bas-fond d'Ouargla, où elle mêle ses eaux à celles de la nappe superficielle. Plus au nord, on trouve sous les mêmes terrains, à une profondeur de 65 à 75 mètres, la magnifique nappe jaillissante de l'Oued-Rirh. Sur 120 kilomètres, de Tougourt à Ourîr, les puits naturels ou forés de main d'homme se succèdent, et les colonnes d'eau s'épanchent ou retombent en volute, en donnant naissance à un ruisseau murmurant. D'où viennent ces masses liquides? D'après certains géologues, c'est loin dans le

1. Rufra, p. 331.

2. Nachtigal, II, p. 127 et suiv.

Flatters, p. 45.

3. Duveyrier, ouv. cit., p. 59, 62. 4. 29° C. en hiver et au bord (Vatonne, Miss., p. 262); 33° C. en juin, température prise au milieu du bassin. (Rohlfs, Quer durch Afrika, I, p. 70.) 5. Rolland, Orogr. et hydrogr. du Sah. alg., Bull. Soc. géog., 1886, p. 254.

Nord, aux affleurements des couches redressées dans les montagnes de l'Atlas, que ces eaux se sont infiltrées dans

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les plis du terrain crétacé. Peut-être aussi les nappes de l'Oued-Rirh et d'Ouargla font-elles suite à celle de Timassinine, et proviennent-elles des pluies tombées dans l'Ahaggar.

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Les nappes artésiennes abondent dans le terrain crétacé au pied de l'Atlas de Constantine, et se font jour soit aux

1. Ville, Voyage d'exploration dans les bassins du Hodna et du Sahara, p. 244.

2. « On oserait répondre par l'affirmative si on était certain que la nappe de Timassinine passe sous les escarpements crétacés.» (Roche, Rapport géologique, Documents relatifs, etc., p. 217.)

affleurements des roches crétacées 1, soit au travers des terrains quaternaires 2. Telle est l'origine des eaux qui alimentent Biskra, et des belles sources qui arrosent les oasis des Ziban, du Nefzaoua et du Djerid3. Les regards d'eau profonde qui percent de loin en loin la croûte salée du chott sont souvent de véritables colonnes d'eau artésienne, qui se font jour à travers les sédiments du fond. La mission Roudaire a sondé une de ces cheminées naturelles, en face du seuil de Kriz à 25 mètres, les eaux, d'abord salées, étaient déjà devenues presque douces, et bien qu'on n'eût pas traversé la couche d'alluvions tout entière, la nappe du fond jaillissait déjà à 12 centimètres au-dessus du sol'.

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Dans le Sahara oriental, des sources artésiennes coulent de temps immémorial. Les anciens ont connu et célébré ce curieux cordon d'oasis qui, de Thèbes à Jupiter Ammon, s'égrènent à l'ouest du Nil. La plus méridionale, Khargueh, possède au moins 70 sources, toutes thermales et jaillissant avec force; le flot que certaines d'entre elles déversent suffit à former un ruisseau de trois kilomètres de longueur. Trente ou quarante sources bouillonnent aux environs du Kasr ou chef-lieu de Dakhel : « La masse des eaux, écrit M. Zittel, est vraiment prodigieuse, car le forage de nouveaux puits ne diminue pas le débit des anciens . » Les sources artésiennes reparaissent à Farafrah, à Baharieh; elles donnent à Siouah un aspect enchanteur. M. Rohlfs a raconté sa surprise, lorsqu'après avoir gravi une haute dune, il vit à ses pieds la forêt fraîche et sombre où les oliviers mettaient des taches claires

1. Temp. 23° à 290 C. (Ville, ouv. cité p. 208 et suiv. du Zab, Batna, 1883, 4°, p. 20).

2. Temp. 19° à 22o C. (ibid.).

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3. L. Dru, Hydrologie. Géologie des chotts tunisiens, p. 10-23. Température des sources de Nefta et de Tozeur: 30° C.

4. L. Dru, ouv. cité, p. 12-13.

5. Schweinfurth, Notizen zur Kenntniss der Oase El-Chargeh, Mitth., 1875, p. 390.

6. Mitth., 1874, p. 182. Voy. aussi Cailliaud.

et où des ruisseaux brillaient comme des fils d'argent. « Les champs des bienheureux! pensai-je, et je pus m'associer à la joie des guerriers d'Alexandre, lorsqu'ils aperçurent ce site admirable après les longues marches dans le désert. » Plus de trente sources versent à Siouah l'eau douce, « l'eau bénie », tandis qu'autour de l'oasis l'eau de tous les puits est amère parmi elles, la célèbre source du Soleil, dont Diodore disait que sa température variait à l'inverse de celle du jour:.

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Les premiers voyageurs modernes qui ont revu les oasis, ont cru que toute cette richesse était un don du Nil. Les eaux du grand fleuve, infiltrées dans les couches calcaires inclinées vers l'ouest, auraient ainsi créé une série de petites Égyptes à l'ouest de la grande3. On disait même qu'un courant d'eau douce, sans doute une branche du Nil, avait coulé autrefois à travers le désert libyque, et l'on voyait sur presque toutes les cartes un Bahrbela-ma, un « fleuve sans eau », serpenter d'une oasis à l'autre. Rien de tout cela n'était exact. Les terrains calcaires ne plongent pas vers l'ouest, et les oasis sont plus haut situées que le Nil. Quant aux Bahr-bela-ma du désert libyque, ce sont de simples creux qui n'ont rien de commun avec un ancien lit de fleuve". La température des eaux prouve qu'elles sont artésiennes. Et comme les couches du désert libyque ont toutes une inclinaison très faible, mais très régulière vers le nord-est, on en a conclu qu'une nappe produite par l'infiltration des pluies soudanaises est amenée sur une couche imperméable jusqu'à l'angle nord-est du désert. L'existence d'une masse d'eau abon

1. Von Tripolis nach Alexandrien, II, p. 87 et suiv.

2. Elle a, comme toutes les autres, environ 29° C. (Pacho, Voyage dans la Cyrénaïque, etc., p. 275. Rohlfs, Von Tripolis, II, p. 90.)

3. Cailliaud, Voyage à Méroë, etc. Russegger, Reise in Griechenland, etc., II, p. 283, 336.

4. Ritter, Erdkunde, Berlin, 1822, I, p. 860.

5. Zittel, Ueber den geol. Bau, p. 12.

6. Ibid., p. 13.

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