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ravin semé d'herbes et de broussailles, mince ruban de verdure qui révèle le parcours de l'eau cachée.

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Les eaux souterraines ne sont pas réparties d'une façon uniforme dans le Sahara. Leur circulation affecte mille. formes différentes, simple suintement, veines liquides, grandes nappes, selon l'abondance des pluies et la nature du terrain.

Les plateaux, les hamada de roche dure ne renferment pas de nappes liquides de quelque étendue. On ne trouve de l'eau sur la grande Hamada tripolitaine que dans le sol de quelques dépressions locales ; aussi le bois manquet-il presque complètement dans cette région. Les gens de Ghadamès vont en chercher dans un oued situé à plus d'une journée de marche: il n'y a plus une broussaille autour de leur oasis. Le Mzab ne possède également que de petites nappes locales, produites par un simple suintement, et par suite, d'un faible débit. Les puits, creusés la plupart dans le lit même des oued, sont de véritables citernes dont le niveau

1. Ex. la cuvette d'Atoua (Rohlfs, Reise durch Nord-Afrika, Mittheil., art. citė, p. 4).

2. Rohlfs, Reise durch Marokko, etc., p. 253.

baisse avec la sécheresse 1. Ce ne fut pas une des moindres difficultés de l'expédition d'El Goléah en 1873, que de trouver assez de puits pour ravitailler la colonne. Cette eau parcimonieuse est du reste enfouie à une grande profondeur : quatorze à trente mètres au-dessous de la surface du plateau. Pourtant il est possible que ces calcaires pleins de fissures recèlent dans leurs profondeurs d'autres réserves liquides. Sur la rive gauche d'un ravin latéral de l'oued Metlili, écrit l'ingénieur Ville, une fente verticale, de deux mètres de haut sur un à dix millimètres de large, coupe les calcaires dolomitiques. « En approchant l'oreille, on entend un bruit semblable à celui d'un cours d'eau qui roule sur des rochers. Un courant d'air assez fort pour éteindre une bougie sort par cette fente. Les gens de Metlili attribuent ce bruit singulier à la présence d'un cours d'eau souterrain. En divers autres points: en amont de Metlili', près de Bou-Noura, et à deux kilomètres de Berriân®, on trouve, percés en pleine roche, des trous plus ou moins profonds, au fond desquels on croit entendre gronder une eau courante. Le Mzab, si aride qu'il soit, renferme peutêtre quelques rivières souterraines, semblables à celles qui coulent sous nos causses de France.

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Les montagnes sont bien plus riches en eaux souterraines. Les averses qui tombent sur les pentes du Tademayt, du Djebel-es-Soda, de l'Ahaggar, se rassemblent au fond des vallées où coulaient les fleuves des anciens âges, et suivent sous le sable, pour descendre vers la plaine, les lits que ces courants impétueux ont creusés. Ainsi se forme, autour de chaque massif de montagnes, comme un réseau

1. Ville, Exploration géologique du Mzab, du Sahara, etc., p. 56.
2. Duveyrier, Coup d'œil sur le pays des Beni-Mzab, art. cité, p. 238.
3. Ville, ouv. cité, p. 61.

4. Ibid.

5. Ouv. cité, p. 43.

6. Ouv. cité, p. 72.

d'invisibles artères, qui, gonflées de temps en temps par le flot d'une pluie capricieuse, vont porter un peu de vie aux plaines desséchées. Les terrains de heïcha, c'est-à-dire les alluvions poreuses des oued à sous-sol humide, sont une des principales ressources du Sahara. Zella, Djofra, Misda et un grand nombre d'oasis tripolitaines doivent l'existence aux filets d'eau souterraine que la Montagne Noire et le Djebel leur envoient. L'oued Lajâl, au pied de l'aride muraille de l'Akakous, nourrit des palmiers sans l'intervention de l'homme. L'oued Mya, humecté par les pluies du Tademayt, forme un cordon de pâturages jusque vers Ouargla. Dans la montagne, les oueds sont les seules terres productives. C'est une heïcha hérissée de palmiers, le Bardaï, qui sauve les Têda du Tibesti de la faim . Ce sont les fonds boisés des vallées qui font la richesse relative de l'Aïr. Les Touareg de l'Ahaggar et du Tasili ne pourraient avoir de troupeaux, s'ils ne trouvaient de la verdure au fond des ravins qui coupent leurs arides plateaux. Dans ces lits de torrents qui gardent toute l'année quelques mares d'eau pluviale, la végétation se développe avec une puissance inattendue. De Bary a trouvé l'oued Mihero, le refuge des crocodiles, couvert d'un véritable fourré de souak et de tamarix. Des lianes, qui enlaçaient les troncs, et de grands roseaux, de la hauteur de l'homme, s'opposaient à la marche des chameaux. Le vaste bas-fond des Ighargharên est également semé d'herbes, de gommiers et de tamarix énormes : « On se croirait, écrivait le colonel Flatters, dans un tout autre pays que le Sahara central. »

Les grands oueds sortis de l'Atlas sont encore plus

1. L'eau est à 3 et 5 mètres de profondeur dans l'oasis de Djofra, à 3,60 en moyenne dans l'Ouâdi Lajål (Rohlfs, Kufra, p. 154. Duveyrier, p. 67).

2. On trouve l'eau à moins de 50 centimètres de la surface (Nachtigal,

ouv. cité, I, p. 239).

3. Reisebriefe aus Nord-Afrika, Berl. Zeitsch. Erd, 1877, p. 188. 4. Journal de route, ouv. cité, p. 60.

dignes d'attention. Sans doute, ils ne roulent plus, comme jadis, des masses d'eau puissantes; leurs larges lits restent vides presque au sortir de la montagne, et ne sont plus remplis que par des crues accidentelles. Le grand oued Saoura lui-même, dont on suit jusqu'au Touàt la vallée restée libre de sables, n'a plus d'eau courante que de temps à autre en amont de Karzas, et jamais, de mémoire d'homme, les riverains ne l'ont vu couler en aval. Pourtant ces rivières ne sont mortes qu'en apparence. L'eau tombée en pluie ou en neige sur les montagnes algériennes continue à sourdre vers le sud sous les sables du lit, et l'oued tari par le soleil cache une rivière souterraine, qui, elle, ne tarit jamais. L'Oued-el-Arab, l'Oued-Abiod, l'Oued-Djedi renferinent toute l'année sous terre un filet d'eau excellente qui alimente une partie des nombreuses oasis du Zab. Partout. dans l'oued Saoura, l'eau est presque à fleur de terre. Aussi les palmiers poussent-ils drus dans le lit du fleuve, qui, en aval de Karzas, s'appelle Rhaba, la forêt. Plus bas, les oasis du Petit-Touât font à l'oued comme un cordon de verdure; on peut dire d'elles, comme Hérodote de l'Égypte, qu'elles sont un présent du fleuve, car c'est à ce courant invisible qu'elles puisent la vie.

1. Formé de la réunion de l'oued Guir et de l'oued Zousfana. Au Touât on l'appelle oued Messaoud.

2. Rohlfs, Reise durch Marokko, p. 120.

3. Ouv. cité, p. 159. Où va ensuite le courant souterrain de l'oued Messaoud? Est-ce au Niger, comme l'a dit M. Sabatier, d'après des informations de source indigène ? Les renseignements recueillis par le capitaine Bissuel sur la direction des vallées de l'Adrar Ahenet démentent cette hypothèse, déjà fort difficile à concilier avec la faible altitude du Touât. L'oued va-t-il rejoindre le Dràa, comme le croyait Duveyrier, en se repliant pour ainsi dire sur lui-même? L'invraisemblance de cette courbe s'est encore accrue, depuis que les observations de M. de Foucauld ont reculé le cours du Drâa vers l'ouest et le nord. Serait-ce l'oued Teli croisé par Lenz au sud de Taoudeni, à environ 150 mètres d'altitude, et qui apporte de l'est une masse d'eau considérable, puisqu'elle alimente une centaine de puits permanents? Ou l'oued Messaoud se perd-il en route, comme tant d'autres? Toute réponse serait prématurée en ce moment.

L'oued Drâa, nourri des neiges de la grande chaîne marocaine, coule toute l'année jusqu'au coude qu'il décrit vers l'ouest; mais en aval, son cours est d'ordinaire souterrain jusqu'à la mer; son large lit nourrit des champs. d'orge, ou sert de pâturage aux troupeaux.

Parfois, avant de se perdre définitivement sous la terre, les oued sont un instant ramenés au jour. L'eau du Saoura se montre ainsi au point dit Kheneg, relevée par un affleurement de roche imperméable. Elle jaillit même en source et forme un ruisseau d'eau vive un peu plus haut, à Beni-Abbès. L'oued Zis qui disparaît en été au sortir de l'Atlas, coule toute l'année au Tafilelt à travers l'oasis de Tissimi. Enfin au milieu du Sahara méridional, dans les fosses des salines de Bilma, on voit reparaître un oued inconnu qui coule d'est en ouest, venant peut-être du Tibesti. Ainsi se vérifie l'exactitude de la vieille histoire contée par Pline « Le fleuve Nigir, indigné de couler à travers des sables et des lieux immondes, se cache l'espace de quelques journées... Absorbé de nouveau par les sables, il se dérobe encore une fois sur une longueur de vingt journées de désert. » Le Nigir de Pline n'est pas le grand fleuve du Soudan: c'est un oued saharien quelconque.

Dans la répartition des eaux souterraines du Sahara, il faut compter avec un facteur important : les sables.

Les dunes sahariennes ne sont pas, comme on pourrait le croire, le terrain le plus sec du désert. Tandis que les

1. De Foucauld, Reconnaissance au Maroc, p. 149.-Lenz, Timbouctou, II,

p. 25. Panet (Rev. col., 1852, p. 515) et Douls (Bull. Soc. Geg., 1888, p. 457) ont trouvé un filet d'eau dans l'oued Dråa en aval.

2. Coyne, Une ghazzia dans le Grand Sahara, Alger, 1881, p. 34.

3. Rohlfs, ouv. cité, p. 107.

4. Ibid, p. 72.

5. Rohlfs, Quer durch Afrika, I, p. 249. Nachtigal ne mentionne que des mares (Tümpel). Ouv. cité. I, p. 536.

6. Hist. Nat., L. V, x. Duveyrier a fixé le sens du mot berbère Nighir. (Ouv. cité, p. 470.)

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