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grains de quartz amoncelés plus loin'. La théorie de la formation des dunes sur place est donc inapplicable dans un grand nombre de cas.

M. Duveyrier a soutenu une thèse toute différente. Trouvant d'un côté d'immenses plateaux dénudés où la roche est constamment balayée par les vents, de l'autre d'immenses bas-fonds envahis les sables », par il a cru que ce grand travail de déblai et de remblai était dû aux souffles atmosphériques, et que les dunes étaient l'équivalent des pertes subies par les plateaux laissés à nu. Mais les dunes. ne représentent pas à elles seules le cube des terrains disparus. Les terrains dits de reg, ces grands manteaux d'alluvions à croûte gypso-calcaire, sont eux-mêmes des remblais construits jadis par les eaux douces aux dépens des plateaux. Du reste, les géologues se refusent à admettre que le vent puisse enlever sans laisser de traces des couches de 10 à 30 mètres d'épaisseur3.

Le rôle du vent n'est en réalité ni si grand que le veut M. Duveyrier, ni si effacé que l'a dit M. Vatonne. Le vent prend ce qu'il trouve. Son action varie à l'infini ici, il trie sur place, là, il pousse les sables devant lui; tantôt il classe les éléments des roches au fur et à mesure qu'elles tombent en poussière, tantôt il puise dans les dépôts des anciens àges, dans les débris de roches dès longtemps disparues. Les dunes du Sahara algérien s'expliquent suffisamment par la présence des alluvions sableuses, « prêtes à être transformées en dunes par un simple classement*. » Dans le Sahara occidental et le désert libyque, le vent s'empare des débris du granit et du grès brun". Partout où il trouve des grains de quartz à rouler, il peut les amonceler en dunes; il

1. Zittel, Ueber den geol. Bau, p. 11, 17.

2. Les Touareg du Nord, p. 5, 36.

3. Zittel, p. 18.

4. Rolland, Les grandes dunes, p. 611.

5. « Le sable des dunes d'Iguidi provient, suivant Lenz, « de quartzites avec schistes à hornblende. » (Timb., II, p. 62.)

suffit pour cela qu'il y ait obstacle. Ici c'est l'entaille d'un oued, là un escarpement, là un pli de terrain qui détermine la dune. Suivant M. Foureau, la plupart des dunes de l'Erg se sont formées autour d'un monticule crétacé. Encore aujourd'hui, on trouve vers le Tademayt des gour en train de s'ensevelir sous le sable . M. Rohlfs a vu de simples tamaris isolés dans la plaine donner naissance à des dunes de 20 à 30 pieds de hauteur. C'est par deux ondulations de terrain, ayant arrêté les sables de part et d'autre, que s'explique peut-être l'existence des gassi du grand Erg, couloirs étranges restés presque libres de sable au milieu des plus épais massifs de dunes. En général, les faits confirment donc la loi posée en ces termes par M. Rolland : l'amoncellement des sables en grandes dunes est dû entièrement au vent; il y a relation directe ou indirecte entre les chaînes de dunes et le relief du sol".

La dune, une fois construite, le sable est-il fixé? Ces

1. Communication manuscrite.

2. Sur la hamâda Dra-el-Atchan. Le phénomène est très apparent. car plusieurs de ces gour ne sont encore qu'imparfaitement recouverts. » (Foureau, ouv. cité, p. 71)

3. Reise durch Nord-Afrika, art. cité, p. 12. Pouyanne, B. S. G., 1871, J, 147, etc.

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4. Rolland, C. rendu S. G., 189), p. 164. 5. Geol. du Sahara, p. 340. On a contesté pourtant cette relation du relief avec les dunes. D'après M. le capitaine Courbis, « ce serait l'eau qui fixerait les dunes; elles ne se formeraient que sur les points où, aussitôt déposé le sable deviendrait humide.» (C. rendu S. G., 1890, p. 114., Une discussion approfondie, à laquelle ont pris part les principaux explorateurs du Sahara algérien, a montré combien cette thèse était piradoxale. M. Courbis est obligé d'admettre qu'à tout amas de dunes correspond une nappe d'eau peu profonde. On lui a répondu qu'au pied des grandes dunes entre Ain Taiba et Hassi el Mokhanza, par exemple, l'eau est à 15 et 20 mètres de profondeur. Ajoutons que dans les grandes dunes du désert libyqu» on n'a pas encore trouvé d'eau du tout. De plus, d'après cette théorie, il n'y aurait jamais de dunes sur les plateaux. M Rolland a montré qu'il en existe au moins quelques chines. Inversement, les bas-fonds humides devraient se couvrir de dunes: or, on n'en voit pas à la surface des terrains de sebkha. Quand, à la suite des plaies, le sol de ces sebkhas est bien humide, si le vent souffle, il se forme à la surface un léger manteau sablonneux. Dès que l'eau superficielle s'est évaporée, le dépôt sablonneux est

masses gigantesques échappent-elles au vent qui les a édifiées? Lorsque le vent souffle avec force, les grains de sable remontent la dune en foule et sont lancés au delà de l'arête; la dune « fume » alors comme un sommet couvert de neige; en peu d'heures son profil a changé. M. Jordan a fait à ce sujet une expérience concluante. Il a planté un jalon dans la crête d'une dune du désert libyque. Trois jours après, la crête était abaissée de 22 centimètres et reculée de 85 centimètres vers l'est. Le vent d'ouest avait soufflé. En théorie, les dunes sahariennes peuvent donc changer de place. Il suffit que le vent fasse ébouler sans cesse leur sommet du même côté. Cela arrive-t-il en réalité?

On s'était fait là-dessus des illusions singulières. Ritter croyait que le vent du nord-est avait déblayé le désert libyque et encombrait de dunes le Sahara occidental; il montrait les sables, avant garde du désert, marchant à la conquête de l'Atlantique et du Soudan. M. Rohlfs, avant son expédition dans le désert libyque, répétait que l'alizé accumulait dans l'ouest les grandes masses de sable, et M. E. Reclus voyait « un courant de sable marcher constamment à travers le désert, du nord-est au sud-ouest ». Ces suppositions grandioses ne se sont pas réalisées. L'alizé ne chasse pas les sables dans le Sahara occidental, et une armée de dunes en marche ne menace pas le Soudan. Le sol est à nu dans l'ouest sur de vastes espaces, tandis que désert libyque s'est révélé comme le plus colossal amas de dunes connu. Les observations faites sur la mobilité des dunes sont contradictoires. L'Erg oriental fait, dit-on, des

le

entraîné en peu de temps par le vent.» (Cap. Bernard, C. rendu S. G., 1890, p 323.) Les cas où l'eau fixe le sable par sa seule force ascensionnelle sont donc exceptionnels. Ce serait une erreur de croire qu'il y a de l'eau partout où y il a des dunes.

1. Ouv. cité, p. 203.

2. Erakunde, trad. III, p. 344, 348.

3. Quer durch Afrika, 1, p. 203.

4. La Terre, 1881, p. 106, 107.

progrès du côté de Ghadâmès'. On signale dans la région de l'Igharghar des dunes de 50 et 60 mètres qui ont envahi les routes de caravane. L'Erg occidental « empiète à l'est sur le crétacé et lance des dunes entre le Mzab et El Goléa. L'ancienne route d'El-Abiod-Sidi-Cheikh à El Goléa a disparu par places sous de petites dunes. La mission Rohlfs a trouvé des dunes de 20 à 30 mètres à cheval sur la route de Siouah à Baharieh. Par contre, Cailliaud et la mission Rohlfs ont pu suivre entre les dunes, à 54 ans de distance, le même chemin de Farafrah à Dakhel. De hautes dunes baignent leur pied dans les petits lacs situés à l'ouest de Siouah, mais ces lacs ne sont point comblés par elles. Des alenda, arbres vieux de 25 à 30 ans, croissent dans l'Erg sur l'arête de certaines dunes". Les oasis du Souf sont perdues. au fond d'entonnoirs de sable, et pourtant elles subsistent de temps immémorial. Aucun mouvement général des sables ne ressort donc des faits connus jusqu'à ce jour, mais une série de fluctuations locales. Ce résultat n'a rien qui étonne. Les dunes sahariennes avancent, reculent, selon que tel ou tel vent domine; elles oscillent sur place, lorsque les vents se neutralisent en un mot, elles suivent de loin, dans leur marche lente et irrégulière, l'allure capricieuse du

vent.

Les dunes sont donc essentiellement un phénomène désertique. Il arrive que le vent amasse ainsi sur nos côtes du sable trié et rejeté par la mer: c'est là un accident. Tôt ou tard, suivant que l'homme aide ou non la nature, la végétation envahit la dune : le climat soustrait les sables aux vents. Au désert, il les leur livre. Aussi trouve-t-on les

1. Mircher, Miss. de Ghadámės, p. 89. — Largeau, Le Sahara, p. 270.

2. Beringer, ouv. cité, p. 93.

3. Rolland, Les grandes dunes, p. 614.

4. Parisot, La région entre Ouargla et El Goléa, p. 140.

5. Jordan, ouv. cité, p. 205.

6. Rohlfs, Drei Monate, p. 103.

7. Vatonne, Miss. de Ghad., p. 296.

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