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désert. On pourrait croire aujourd'hui son action abolie : elle est très appréciable encore. Sans doute, la pluie ne tombe plus qu'à de rares intervalles; mais l'averse temporaire trouve le sol sans défense contre elle. Ailleurs, la montagne se couvre d'un manteau de glace ou de forêts, la plaine d'un tapis de plantes, qui retiennent une couche d'humus dans leurs racines lorsque le torrent a suffisamment adouci sa pente, lorsque la rivière a creusé son lit, il se crée un état d'équilibre où l'eau perd les trois quarts de sa force érosive, à moins que l'homme ne la lui rende en détruisant la végé tation tutélaire. Dans le désert que nulle végétation ne protège, la moindre pluie laisse sa trace, le moindre filet d'eau creuse son sillon. Or les averses sahariennes sont souvent « de véritables déluges », qui ont fait crouler plus d'une fois les maisons d'argile des oasis. L'eau, qu'aucune végétation ne divise ni ne retient, se concentre presque instantanément sur le sol en veines puissantes, et plus d'un voyageur, surpris par l'orage dans une gorge étroite, a couru le danger paradoxal d'être noyé dans le désert. En vingt-quatre heures, Barth a vu dans l'Aïr une vallée d'un mille et demi de large se transformer en un torrent impétueux. La colline où s'était réfugiée la petite troupe diminuait à vue d'œil, rongée par l'eau grondante, tandis que les chameaux, poussés dans les buissons, avaient toutes les peines du monde à résister au courant'. Au Tibesti, une crue d'orage a emporté huit ànes pendant le voyage de Nachtigal, et chaque année des animaux périssent de cette

1. Chacun sait que l'érosion est le plus intense là où le déboisement est le plus grand. Les pentes les plus rapides de l'Europe se trouvent dans les Alpes françaises et dans la partie déboisée du Caucase, le Daghestan. (Woeikof, Klimate, II, 284.)

2. Duveyrier, ouv. cité, p. 220.

3. En 1868, un tiers des maisons de l'oasis de Temenhint au Fezzan furent détruites en une heure et demie de temps par une averse. (Nachtigal, I, p. 52.)

4.

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Nous avions une idée du déluge.» (Barth, Reisen, I, p. 336-8.) 5. Nachtigal, I, 196.

manière1. Dans l'oued Tedjoudjelt, ravin du Tasili des Azdjer, l'eau est montée, en 1879, à deux, trois mètres audessus du fond; l'hiver précédent, elle avait atteint quatre mètres, et coulé, au dire des indigènes, pendant quatre jours et quatre nuits. On conçoit l'effet produit par ces masses liquides. La crue coulant à pleins bords arrache à droite et à gauche les terrains que ne fixent pas les racines. Lorsqu'au bout de deux ou trois jours ce flot d'eau trouble a disparu, bu par la terre et le soleil, on trouve dans la gorge ou dans la plaine un lit plus ou moins profond, aux berges accores, parfois affouillées en cavernes, et au fond un chaos de cailloux, de sable et d'argile que l'eau n'a pas eu le temps de trier: c'est l'oued.

L'oued se rencontre presque partout au Sahara il entaille le plateau comme il raye la plaine, ou approfondit le grand couloir d'érosion quaternaire. Barth a trouvé dans les passes étroites qui descendent de la hamada de Mourzouk, le sillon profond et encore humide des pluies qui venaient de tomber. Tous les cinq ou six ans en moyenne, a-t-on dit au colonel Flatters, l'eau coule dans la vallée des Ighargharen et balaye une partie des petites dunes qui l'ont envahie'. Dans le grand lit quaternaire de l'oued Mya, entaille énorme, large de 2 kilomètres en moyenne, on voit se dessiner, vers Hassi-Inifel, un lit secondaire, profond de 5 à 6 mètres c'est l'oeuvre des pluies de nos jours. En maint endroit de la Tripolitaine et du Sahara occidental on retrouve leur trace: entonnoirs, gouttières creusées dans le roc ou le sable, berges évidées, cônes de déjection étalés dans la plaine; seul le désert libyque. si pauvre en

1. Ibid., p. 241.

2. Flatters, ouv. cité, p. 61. Béringer, ibid., p. 85.

3. De cinq pieds dans l'oued Aberdjouch, de huit pieds dans la passe de Télizzarhé (Reisen, I, p. 200, 218).

4. Ouv. cité, p. 57.

5. Roche, Etudes géol. Ouv. cité, p. 291.

6. Voir pour les oued de Djofra, Rohlfs, Kufra, p. 153, etc.; pour le Sahara occidental, Douls, B. S. G., 1888, p. 454 et suiv.

pluies, paraît à peu près vierge d'érosions contemporaines.

L'effet des pluies temporaires est le même dans les autres déserts. Aux oued du Sahara correspondent les lits de rivière du Kalahari, les « Dry-Wash» encaissés du désert de Colorado'. L'érosion est manifeste dans le désert arabique. A chaque pas, les roches, tantôt lavées, polies, creusées en marmites profondes, tantôt rongées et percées à jour comme une éponge, témoignent de la violence passagère des eaux. « Nulle part écrit un géologue, nous n'avons trouvé en Syrie l'érosion aussi grandiose que dans les ouâdi de la Palmyrène3 ». Quant à la force érosive de certaines pluies sahariennes, on en a une idée par ce fait, qu'après une crue, les Touâreg ont pu semer des céréales dans un endroit où, la veille, la terre végétale manquait. Minime quand on le compare à l'œuvre prodigieuse des temps passés, le travail intermittent des eaux est donc fort appréciable encore, et les montagnes du Sahara comptent parmi les pays où l'érosion est active de nos jours.

A ce travail mécanique s'ajoute une action chimique. L'eau de pluie au désert est souvent très riche en acide carbonique: elle dissout et entraîne le calcaire pur, le sel, le gypse, si répandus à la surface du Sahara. En certains endroits l'aspect du sol est tel, qu'on dirait qu'il y est tombé, non de la pluie, mais des acides. On a observé au Mzab des pertes de substances circulaires, profondes de un à deux millimètres et larges de douze, à bords si franchement taillés à pic, qu'on les croirait obtenus à l'emporte-pièce. Ail

1. Lnt. Wheelers Exped., Mitth., 1876, p. 411.

2. Schweinfurth, Mitth., 1877, p. 387.

3 Dr Carl Diener, Libanon, p. 352.

4. D veyrier, p. 39.

5. C'est surtout le cas des larges gouttes qui tombent pendant les coups de vent. << Leur teneur en gaz est si grande, qu'elles produisent dans un verre rempli d'eau de chaux limpide des pellicules nacrées de carbonate aussitôt après leur chute. » (Dr Amat, Le Mzab, p. 70.)

6. lbid.,

P. 71.

leurs, l'eau s'infiltre dans certains grès, débarrasse les grains de quartz de leur ciment calcaire, et la roche se décompose en sable 1.

Pourtant l'eau n'est plus au Sahara qu'un agent secondaire. D'autres forces sont à l'œuvre, et dans l'intervalle des pluies, attaquent, rongent, détruisent sans trêve la surface du désert. Les rayons du soleil, le froid de la nuit, la lumière, le vent, n'agissent pas seulement sur les êtres vivants: les roches mêmes n'échappent pas à leur influence.

On sait combien la température de l'air varie au Sahara; le sol s'échauffe et se refroidit encore davantage. Tout fait croire qu'à la surface du Sahara les températures de soixantedix degrés et plus ne sont pas rares. Au Mzab, un thermomètre gradué jusqu'à ce chiffre a éclaté peu d'instants après avoir été oublié sur le sol'. M. Rohlfs a noté assez régulièrement à midi soixante-dix3, et même soixante et onze degrés dans la région de Kaouar: d'une bougie laissée au soleil il ne reste bientôt plus que la mèche, la chaleur du roc est telle, que Rohlfs et Nachtigal ont dù munir leurs chiens. de sandales ou les faire voyager à dos de chameau3. Si l'on rapproche de ces chiffres les températures de 5o et -8° parfois observées en hiver, on obtient un écart annuel d'environ 80o, et il n'est pas impossible que, dans certaines années, cet écart n'atteigne 100o.

Sous ces effrayantes variations de température, les rocs même sortent de leur immobilité. Dilatés par la chaleur qui les rend brûlants le jour, contractés par le refroidissement nocturne, ils subissent un mouvement d'oscillation

1. Roche, Rev. scient., 1880, II, p. 511.

2. Amat, ibid., p. 111.

3. Reise durch Nord-Afrika, art. cité, p. 17, 37.

4. Le 3 mai 1866, à Kaouar (ibid., p. 25) Ce chiffre n'a rien d'invraisemblable, car on a noté 73o,3 à Adelaïde, dans l'Australie du sud. (V. Hann, Oest. Met. Zeitsch., 1877., p. 323.)

5. Rohlfs, Quer durch Afr., I, p. 48.

Nachtigal, I, p. 139.

sans trève', qui à la longue les disjoint et les brise. L'inégale dilatation des couches de nature différente, elles s'échauffent d'autant plus qu'elles sont plus foncées et leur surface plus rugueuse, — accélère encore la destruction. Quelquefois, une roche vole en éclats sous l'effet d'une contraction rapide. Il est souvent arrivé à Livingstone d'entendre, le soir, après une journée brûlante, éclater des blocs de basalte et leurs morceaux tomber en résonnant. « Dans la péninsule du Sinaï, écrit M. Charles Grad, j'ai vu des silex se fendre ou se briser sous l'effet de variations considérables de température, du matin au soir. » Les pierres noires du désert situé à l'est de Damas éclatent en été, au dire unanime des indigènes'. Au Sahara, des plateaux entiers sont couverts d'éclats de roc de toutes formes, de toutes dimensions, aux angles vifs qui blessent les pieds des chameaux. La partie sud de la grande Hamada tripolitaine est ainsi parsemée de blocs de grès noir; en maint endroit, la croûte calcaire des plateaux de Tinghert et d'El Goléa est en pièces. et la marche est rendue très difficile par les pierres tranchantes qu'on heurte à chaque pas . La couleur sombre des roches favorise souvent leur destruction. Les grès surtout présentent à l'extérieur une teinte brûlée, noirâtre, due sans doute à une action chimique de la lumière; et la pierre, ainsi revêtue de cet enduit sombre, s'échauffe et se dilate encore davantage au soleil.

Le vent lui-même devient un agent d'érosion par le sable qu'il charrie. Le frottement continuel de ces grains secs et

1. M. Jordan admet une oscillation journalière d'environ 1 millimètre par mètre cube (ouv. cité, p. 127).

2. « De grandes masses, ainsi brisées par le refroidissement soudain de leurs parties dilatées par la chaleur du jour, ont descendu la pente des collines et formé des éboulis à leur pied.» (Missionary Travels, p. 149.)

3. Eludes de voyage, IV, Colmar, 1888, p. 6.

4. Wetzstein, Mitth., 1876, p. 309.

5. Barth, I, p. 147.

6. Parisot, B. S. G., 4876, II, p. 586.

Beringer, ouv. cité, p. 89.

7. Duveyrier, p. 48. - De Foucauld, Reconn, au Maroc, p. 103, 138.

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