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de Constantine'

Mais il est un fait plus probant que tout cela : l'existence même de la flore saharienne. Parmi les plantes d'une organisation toute spéciale, qui trouvent moyen de vivre sur le sol ingrat du désert, beaucoup se retrouvent au Maghreb, en Orient, en Italie, en Espagne; mais il en est un certain nombre environ le cinquième des espèces du Sahara qu'on a cherchées vainement dans le reste du monde : ce sont évidemment des espèces indigènes, qui ont pour patrie le grand désert africain. Dès lors, est-il vraisemblable, est-il admissible que ces espèces singulières, qui n'ont pas leurs pareilles dans les autres pays, se soient développées dans les temps historiques sur le sol du désert? Ne faut-il pas, au contraire, pour amener la naissance d'une flore particulière, l'action prolongée et continuelle du climat durant un grand nombre de siècles, et des conditions d'existence stables de temps immémorial? Et l'existence d'une flore de ce genre à la surface d'un désert n'est-elle pas la meilleure preuve de son antiquité?

Enfin, et ce n'est pas la moindre objection à faire aux partisans du changement de climat, on ne peut concevoir quelle en aurait été la cause. MM. Largeau et Lenz ont nommé le déboisement. Ils se sont fait illusion sur la portée des forces humaines. Le déboisement peut certes dépeupler une région; il diminue les sources, fait disparaître la terre végétale, change en un désert de pierres des vallées jadis cultivées. Mais c'est là une sécheresse artificielle et locale. Elle a pu s'ajouter à la sécheresse climatérique dans telle ou telle partie du Sahara; ce n'est pas elle qui a créé le Grand Désert. M. Fischer s'est gardé d'appeler le déboisement à son secours : il aime mieux convenir qu'il n'a encore

1. Espèces spéciales au Sahara relevées dans la province de Constantine: 74 (Cosson, Le règne végétal en Algérie, Rev. Scient., 1879, I, p. 1214). 2. Le Sahara algérien, Paris, 1881, p. 124. Timbouctou, II, p. 370 et suiv. 3. Supan, Physische Erdkunde, p. 133. - « L'homme n'est pour rien dans le desséchement du Sahara» (De Lapparent, Traité de géologie, 1885, p. 1278).

trouvé aucune explication tant soit peu plausible 1». Mais cet aveu d'impuissance est la condamnation de son sys

tème.

Un Sahara fertile ne se conçoit pas sans un autre régime atmosphérique, et un changement de climat, sans une révolution correspondante du relief terrestre. Or quelle apparence y a-t-il que la forme des continents ait changé depuis le roi Juba? D'ailleurs il semble bien que le régime atmosphérique ait été le même. Les vents étésiens soufflaient alors comme aujourd'hui, semant à peine un nuage dans le bleu sombre du ciel. Si les

aériennes du désert existaient déjà, leur effet devait être

le même.

Est-ce à dire que le Sahara d'alors ait été exactement tel qu'on le voit aujourd'hui? Ce serait tomber dans l'exagération contraire. Si les faits cités plus haut ne permettent pas de conclure à un changement de régime, ils n'en indiquent pas moins que la sécheresse s'aggrave peu à peu. A la disparition de certaines sources du Mzab correspond le dépérissement de certaines espèces végétales. Parmi les grands gommiers qui croissent dans l'Erg on ne trouve presque pas d'arbres jeunes3. « Les beaux betoum que nous avons vus dans la région des Daya sont tous vieux, pas un jeune, soit que les conditions naturelles, soit que la dent des troupeaux ne leur permettent plus de se reproduire. » Ainsi le Sahara, si stérile qu'il ait toujours été, le devient toujours davantage.

y a plus. Il semble que ce soit le cas de tous les déserts. L'intérieur de l'Afrique australe est en voie de desséchement. La marche du phénomène est très lente, quoi qu'en disent

4. Eine irgendwie stichhaltige Erklärung art. cité, p. 4).

2. Les vents. qui produisent la sécheresse ou l'humidité, dépendent avant tout de la distribution des mers et des terres, et leurs changements de régime doivent coïncider avec des variations d'ordre géographique. » (De Lapparent, ibid.)

3 Communication de M. Foureau.

4. Rolland, Ann. Soc. Meteor., art. cité, p. 110.

les habitants 1, mais le fait en lui-même est indéniable. De nombreuses sources ont disparu, des rivières se perdent en route, le fleuve Orange lui-même a diminué de volume. Dans le Grand Namaqua, les acacias qui garnissent les ravins sont en train de disparaître, par suite de l'absence de rejetons 3. Mèmes observations dans les déserts de l'Asie. Au Turkestan, l'Atrek, autrefois large de 100 à 200 mètres, n'est plus qu'un ruisseau de deux à quatre mètres, et ses eaux n'arrivent plus à la Caspienne en toute saison. Le Gobi a peut-être lui aussi ses lacs et ses rivières nomades qui reculent vers l'amont. Le désert semble s'accentuer dans le Nouveau-Monde. La mission Wheeler a trouvé sur les mesas ou tables stériles du Nouveau-Mexique, un grand nombre de fourmilières intactes, mais abandonnées : les insectes ont émigré parce qu'il n'y a plus d'herbe. Des districts, que les Espagnols nous ont décrits il y a trois cents ans comme fertiles, sont maintenant des plaines de sable; la population s'est déplacée de la plaine vers la montagne pour retrouver des conditions. favorables à la culture . Il semble donc, et c'est là le côté juste de la théorie de M. Fischer, que les déserts soient en proie à une aridité croissante. Est-ce le climat qui change? Nullement, c'est l'évaporation qui se poursuit. Du moment que l'équilibre entre l'évaporation et les pluies est rompu, le désert ne peut que s'accentuer dans la suite des âges. Sans doute, il peut s'y produire des oscillations climatériques, par suite de perturbations prolongées des grands courants de l'atmosphère. C'est ainsi que l'état anormal de l'Europe pendant l'hiver de 1879-80 s'est répercuté sur le Sahara sous

1. M. K. Dove a prouvé par les statistiques que depuis 1842 il est impossible de constater une diminution de la quantité annuelle de pluie (Klima des aussertropischen Süd-Afrika, p. 152-53).

2 Lichtenstein, Reisen in Süd-Afrika, I, p. 459. Hugo Hahn, Mittheil., 1873, p. 96, etc.

p. 324.

3. Pohle, Mitth., 1886, p. 231.

Andersson, Lake Ngami,

4. Sievers, Exped. nach dem allen Oxusbelle, Mitth., 1873, p. 291. 5. Loew, Lnt Wheelers zweite Exped., Mittheil., 1875, p. 447, 453.

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forme de froids et de pluies insolites. Mais ce sont là des accidents communs à tous les climats. Il semble que la loi des déserts soit de marcher à une aridité toujours plus grande un changement de climat consisterait non dans cette progression naturelle, mais dans le cas où les rôles seraient intervertis, et où l'humidité recommencerait à croître.

Autre conséquence les grands déserts ne se font pas en quelques siècles. Images du climat qui se reflète peu à peu à la surface de la terre, il faut à leur lente élaboration ce long espace de temps qu'on appelle une période géologique, et qui est à notre histoire humaine ce qu'une année est à un jour.

1. « Du 17 au 29 janvier, la moyenne des températures a été de 5o,9 seulement. A plusieurs reprises nous avons eu de vraies pluies... Le 28 janvier, à Zebbacha, j'ai mesuré 16mm de pluie... D'après les renseignements, il est tombé, dans les derniers jours de janvier, et les premiers de février, beaucoup d'eau dans toute la contrée environnante» (Rolland, art. cité, p. 106-7).

CHAPITRE VIII

LA TRANSFORMATION DE LA SURFACE. 10 L'EROSION

Immobilité apparente de la surface du désert. l'atmosphère.

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1 Les eaux. Effet produit par les averses temporaires. Crues de montagne. L'oued au Sahara et dans les autres déserts. 20 Les écarts de température. - Dilatation et resserrement des roches. - Éclats de pierre des hamada. 3o Le vent. Érosions produites par les sables qu'il charrie. Déserts de cailloux roulés.

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Le désert, plus que toute autre partie de la surface terrestre, a les apparences de l'immobilité. Le climat implacable a dépeuplé la terre; les grandes plaines nues offrent

a

l'image absolue du vide' »; les montagnes sont comme des squelettes dont le soleil a mangé la chair; les dunes ont l'air de vagues d'or mat solidifiées; l'absence de bruit est telle, que, suivant le mot d'un voyageur, on écoute le silence tout cela paraît immuable, figé dans l'éblouissante lumière, et il semble que l'homme seul change et passe dans ces paysages éternellement les mêmes. Pourtant, pas plus ici qu'ailleurs, il n'y a pour l'écorce terrestre d'absolue stabilité. Même dans le désert inerte en apparence, les forces naturelles agissent, détruisent, édifient à nouveau, donnent sans cesse un nouvel aspect à la surface de la terre.

L'eau est d'ordinaire le plus énergique de ces agents qui modifient le sol. C'est elle qui, aux temps préhistoriques, prenant ici, déposant plus loin d'énormes masses de terre, a sculpté dans ses grandes lignes le relief actuel du

1. Nachtigal, 1, p. 49

2. Soleillet, L'Afrique occidentale, Algerie, Mzab, Tidikelt, Paris, 1874, p. 209.

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