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ne dure pas. A mesure qu'on descend en aval, la pente des oueds diminue, les berges s'abaissent, l'eau diminuée s'étale, déjà apaisée, dans le lit élargi. La rivière est fatiguée, disent les indigènes; en effet, elle bifurque en delta comme un fleuve près de sa fin. Bientôt chaque branche aboutit à une impasse, sans avoir la force de creuser plus loin. C'est là qu'elle agonise, pompée par l'évaporation, bue par le sable, en laissant une daya, cuvette tapissée de limon et de sel. Toutes les crues qui descendent vers le désert meurent ainsi, après 100 ou 120 kilomètres de cours. Les daya échelonnées d'amont en aval marquent les points où, selon les années, la rivière s'est arrêtée, vaincue par le climat. Seul, le grand Nil triomphe du Sahara et arrive amaigri, mais vivant, de l'autre côté du désert.

Les lacs d'autrefois ont subi le même sort que les fleuves. Privés de leurs affluents, ils se sont graduellement rétrécis. Leur eau constamment réduite est devenue de plus en plus saumâtre, et l'on retrouve dans les limons du Melrhirh les coquilles des cardium qui l'ont habité alors. Le sol, resté sans écoulement, s'est imprégné de sel, est devenu une steppe. La végétation a disparu par endroits. L'évaporation est devenue plus intense, en même temps que le rayonnement du sol dénudé. Les eaux, de plus en plus concentrées 2, chargées de sels amenés par les cours d'eau temporaires, sont devenues finalement plus salées que celles de la mer. Aujourd'hui, la transformation est fate. A l'exception de quelques petites vasques de dunes ou de rocher que remplissent périodiquement les pluies du Tasili et de l'Ahaggar,

1. P. Marès, Note sur la constitution du Sahara de la province d'Oran, Bull. Soc. Geol., 1856-57, p. 533-35. Parisot, La région entre Ouargla et El Golea, B. S. G., 1880, I, p. 135.

2. « Dans la sebkha de Habessa, M. Marès a recueilli sous une croûte de sel des coquilles fluviatiles, mélanie, mélanopside paludine, associées au cardium edule, tous animaux encore vivants dans la région atlantique et qui indiquent des eaux d'abord saumâtres et devenant de plus en plus salées.» (Pomel, Le Sahara, p. 196.)

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L'Oued Seggueur (Sahara oranais) au sortir des gorges de l'Arouïa. (D'après une photographie de M. FOUREAU, communiquée par

la Société de Géographie.)

les rares nappes d'eau restées à la surface du Sahara sont salées. Lorsque M. Rohlfs atteignit Bouseïma, la deuxième des oasis de Koufra, il vit avec surprise miroiter un lac aux eaux bleues, auquel les vagues semblaient faire une frange d'écume. Le lac n'était pas un mythe, mais l'écume était un mirage. Les eaux, d'une salure extrême, avaient déposé un large cordon de sel sur le rivage, et c'est sur cette bordure étincelante que les couches d'air échauffées se jouaient'. Il en est de même de quelques petits lacs qui se cachent entre les grandes dunes du Fezzân; leurs eaux sombres et transparentes, où nagent des larves dorées, sont presque sirupeuses à force d'être denses, et l'on ne peut s'y plonger sans que le corps se recouvre d'une couche de sel. Le chapelet de lagunes qui environne Siouah renferme une cau salée et amère, et les marais de boues salines qui les entourent prouvent qu'ils sont les restes d'une nappe plus grande, que l'évaporation a morcelée. L'on ne peut attribuer à une autre cause cette salure des eaux de surface, car l'eau douce se rencontre dans le sol au voisinage de l'eau salée. On la trouve en creusant la rive même du lac de Bouseïma'; elle est à deux ou trois mètres du lac des Vers au Fezzân; elle remplit les trous que l'on creuse dans le sable près de la mare d'Aïn Taïba, dans les dunes de l'Erg. Ainsi, l'eau abritée dans les profondeurs du sol est restée à peu près douce, tandis que l'eau de la surface a été concentrée par l'évaporation séculaire.

Les lacs salés sont toutefois l'exception au Sahara. Bien que l'eau salée s'évapore moins rapidement que l'eau douce, le phénomène ordinaire au désert est le chott ou la sebkha.

1. Kufra, p. 271.

2. Vogel, Mittheil., 1855, p. 246 et suiv. - Duveyrier, p. 244.

3. Cailliaud, Voyage à Méroe, I, p. 85.

drien, II, p. 84.

4 Kufra, p. 271.

5. Rohlfs, Quer durch Afrika, I, p. 146.

6. Beringer, ouv. cité, p. 105.

Rohlfs, Von Tripolis nach Alexan

Lorsqu'un ancien lac a été vidé par l'évaporation, ou qu'il existe simplement une cuvette où l'eau de pluie s'amasse et où l'eau souterraine affleure, pour être pompée au fur et à mesure par le soleil, on rencontre un terrain salé et humide de formation particulière que l'indigène appelle sebkha; il l'appelle volontiers chott, lorsque ce terrain est une plaine qui se perd à l'horizon 1.

Une nappe de sel qui brille au soleil comme un lac glacé au milieu des terres brunes, c'est ainsi que le chott se présente d'ordinaire à la mémoire. Tous ceux qui ont traversé les plateaux au sud d'Oran et de Constantine se souviennent de ces blancheurs qui les ont aveuglés. Mais le chott est un Protée qui change de face selon la saison, l'évaporation, la quantité d'eau souterraine qui affleure. Souvent l'évaporation l'emporte et l'humidité est complètement absente, comme dans ces bas-fonds de Tràghen qui ont étonné Denham. Le sol fendu en tous sens laissait voir des crevasses béantes, dans lesquelles le sel s'était déposé en cristaux du blanc le plus pur. Quelquefois le dessèchement s'est fait d'une façon inégale, et le bas-fond s'est affaissé sur luimême M. Rohlfs a vu les mottes de terre salée entassées comme les glaçons d'un fleuve dans la sebkha de Tementit au Touât3. Ailleurs le sel cristallisant au milieu du sable et du gypse a produit une croûte terreuse et dure qui se boursoufle au-dessus du sol desséché. Il ne reste entre la croûte et l'argile solide qu'une poussière ténue de sel et de marne que le vent disperse sous les pas des chevaux. C'est le cas d'une partie des chotts algériens en été. Mais vienne

1. Suivant M. Rolland, le mot chott, dans le Sahara algérien, s'applique plutôt aux bas-fonds qui restent humides: « Quand le débit de la nappe est supérieur à l'évaporation, il y a chott; sinon, il y a sebkha.» (Ouv. cité, p. 100.) Cette distinction n'est applicable qu'au Sahara algérien, car dans le reste du désert des bas-fonds parfaitement humides sont appelés sebkhas. 2. Voyages et découv., I, p. 108-109.

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4. Duveyrier, Rapport sur la mission des Chotts, B. S. G., 1875, I, p. 486. Le Chatelier, Rev. scient., 1877, I, 659.

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