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LE SAHARA

CHAPITRE PREMIER

LES CAUSES DU DÉSERT: ANCIENNES THÉORIES

Sens du mot Sahara.

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Anciennes théories relatives au désert: 1o La latitude, la zone torride. 2o La nature du sol. Opinion de Ritter. L'hypothèse de la mer saharienne Escher de la Linth, Desor, Bourguignat. Nature géologique réelle du Sahara: âge des diverses formations. Le relief idée fausse de la plaine saharienne. - Altitude moyenne du

Sahara. Variété des formes du terrain. La stérilité ne tient ni à la nature du sol, ni au relief.

Sahara veut dire en arabe, suivant les uns, le sol dur, le plateau rocheux ou de terre compacte'. Pour d'autres, c'est le nom générique qui désigne un ensemble de sables, de steppes, de terrains rocailleux. Le géographe arabe Léon l'Africain dit plus simplement encore : « Sahara, c'est-à-dire désert3. » Quoi qu'il en soit, ce mot paraît avoir eu de bonne heure un sens plus précis. Dès le quatorzième siècle, on appelait Sahara tout court la grande zone de terrains infertiles qui, du Nil à l'Océan, barre l'Afrique du Nord'. Sahara

1. Duveyrier, Les Touareg du Nord, Paris, 1864, p. 2. - Pomel, Le Sahara, geologie, etc., Bull. Soc. alg. climatol., 1871, p. 262.

2. De Goeje, Description de l'Afrique par Edrisi, Leyde, 1887, p. 37, note. 3. La terza parte, che nella lingua latina è appellata Libia, et nell' arabica non altremente che Sarra, cioè diserto... (Descrittione dell' Africa, per Giovan. Lioni Africano, Parte prima, fol. 1, dans Ramusio, Navigationi et Viaggi, Venise, 1563, t. I.)

4. Aboul Feda, Geogr., traduction Rainaud, II, p. 199.

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n'est donc, en somme, que l'équivalent arabe du terme le Grand Désert.

De tous ces espaces stériles qui sont pour nous autant de problèmes, le Sahara est le plus grand et le moins inconnu. Il est aux portes de la Méditerranée, ce centre de l'ancien monde; aussi n'est-ce pas d'aujourd'hui que les hommes. cherchent les causes de ce grand phénomène du désert. Ils ont interrogé l'un après l'autre les éléments qui les entourent; ils ont cru trouver successivement dans les rayons du soleil, dans les flots de la mer, dans le sol, dans l'atmosphère, la raison mystérieuse de cette stérilité. Avant d'aborder l'étude complexe du désert et de ses causes, il n'est pas inutile de rappeler ces anciennes théories.

LA LATITUDE, LA ZONE TORRIDE

Longtemps on a attribué les déserts tropicaux à la proximité du soleil. « Sa chaleur consume les hommes et la contrée », dit Hérodote en parlant du pays saharien des Atarantes'. On croyait que vers l'équateur le soleil brùlait la terre jusqu'aux entrailles, et le Sahara n'était en quelque sorte que l'avant-poste de la grande zone « inhabitable à cause de la chaleur ». Admise, avec quelques variantes, par des physiciens comme Aristote, par des géographes comme Posidonius et Strabon, cette opinion a prévalu dans l'antiquité et au moyen âge.

Elle a disparu lorsqu'on a mieux connu les régions tro

1. Hist., Liv. IV, CLXXXIV. Voir aussi Liv. II, XXXI.

2. Meteorol., Liv. II, V, p. 587, Didot.

3. Cité par Strabon, Geogr., II, 11, 2.

4. Ibid., II, I, 1.

3. Arrien, Indiké, xum, p. 239. Muller. — Placit, Philos., III, 14. - Macrobe, In Somn. Scip., II, 9. Praeterea, cum multo amplius terræ in Africa ardore solis incultum atque incognitum sit, quippe quum omnia paene animantia vel germinantia patientius et tolerabilius ad summum frigoris quam ad summum caloris accedant... (P. Orose, Histor. adversus paganos, I, 11, Geogr. Latini minores, p. 66, Riese), etc.

picales et la répartition de la chaleur sur le globe. Ce n'est pas le soleil qui a frappé de mort cette terre, car il féconde des contrées peut-être plus chaudes encore. Les étés sont aussi brûlants au Pendjab et en Mésopotamie qu'au centre du désert libyque'. Malgré les journées torrides du Tibesti, du Borkou, du Fezzân, la moyenne de la chaleur annuelle paraît plus forte dans le Soudan septentrional. Aujourd'hui personne n'imagine que le soleil des tropiques produit le Sahara. Les hautes températures qu'on observe au désert en sont l'effet, et non la cause.

LE SOL. LA MER SAHARIENNE

Le sable rouge est comme une mer sans limite,
Et qui flambe muette, affaissée en son lit.
LECONTE DE Lisle.

Les anciens avaient cherché dans la latitude le secret de l'aridité saharienne. Les modernes ont commencé par accuser le sol.

La nature géologique du Sahara n'a été connue que tard. Longtemps on en est resté à la description de Mela: une vaste mer de sable que le simoun agite3. On se figurait le désert invariablement plat, couvert de masses instables sur lesquelles la vie organique n'avait pas de prise. « La végétation, écrivait Ritter, finirait aussi par couvrir ce sol aride, s'il ne se déplaçait d'année en année, et même de jour en jour. Si, parfois, par un heureux hasard, les plantes ont commencé quelque part à prendre racine, ce n'est que pour un temps très court. Elles ne sauraient résister au mouvement général des sables, à l'époque des tempêtes équi

1. Hann, Resultate der meteor. Beobachtungen, dans Rohlfs, Kufra, Leipz., 1881, p. 355.

2. Nachtigal, Sahara und Sudan, Leipz., 1879, II, p. 432.

3. Auster immodicus exsurgit, arenasque quasi maria agens, siccis saevi fluctibus (I, 8).

4. Erdkunde, traduct. Desor, Paris, 1836, III, p. 360.

noxiales. » Comme sol, partout du sable'; comme relief, partout la plaine: c'est ainsi qu'on se représentait le désert.

Pour expliquer cette surface ameublie et plane, on faisait généralement intervenir la mer. Inspiration naturelle, en somme. « La mer! la mer! » s'étaient écriés nos soldats, le jour où ils aperçurent le Sahara du haut des dernières ondulations de l'Aurès. Et, en effet, l'immense surface qui se déroule à l'infini jusqu'aux brumes de l'horizon où elle se confond avec le ciel, l'ondulation des dunes et des plis de terrain dans le lointain où toute aspérité s'efface, évoquent irrésistiblement ce souvenir. L'idée erronée, mais naturelle, que le désert se prolonge ainsi, toujours le même; l'absence de terre végétale qui fait songer à l'aridité des grèves; les cailloux qui paraissent avoir été roulés par le flot, tout concourt à fortifier l'impression première : et les dunes se présentent alors, aux yeux du voyageur prévenu, comme de gigantesques laisses de sable marquant les étapes d'une ancienne mer, et le chott resplendissant, comme la dépression dernière où elle a expiré, laissant des plaques de sel. Aussi cette idée de la mer saharienne est-elle venue aux esprits les plus divers, et l'impression naïve de Caillié3 s'est rencontrée avec la pensée dogmatique de Ritter'. Humboldt, dont le large esprit entrevoyait déjà des causes d'un autre ordre, n'en croyait pas moins devoir admettre une « irruption

1. Ritter, ouvr. cité, p. 256. - Ein furchtbares Sandmeer (Humboldt, Ansichten der Natur, 3° édit., Stuttg., 1871, p. 8).

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2. Ritter, ouvr. cité, I, p. 86. « Das grosse Tieflland der Zahara » (Humboldt, ibid., p. 69).

3. C'était le véritable aspect des ondulations de la mer, peut-être le fond d'une mer sans eau. » (Caillié, Journal d'un voyage à Tombouctou et à Jenné, Paris, 1830, II, p. 363.) — Id., Russegger, Reisen in Griechenland, Unterägypten, etc., II, 279. p. Rohlfs, Von Tripolis nach Alexandrien, Brême, 1869, I, p. 306, etc.

4. Un sol couvert du sable de la mer et dont la surface n'est pas encore fixée; un espace immense encore à l'état de passage de l'Océan à la terre ferme.» (Ouvr. cité, III, p. 373.)

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