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cavaliers d'Ifrikïa, massés comme un seul homme, firent leur apparition.

Le Chabbi ayant rassemblé ses guerriers, se porta à leur rencontre; hommes et chevaux se heurtèrent vigoureusement les uns contre les autres. Le combat durait depuis quatre heures environ, quand les gens d'Ifrikïa se mirent à fuir en désordre. Le Chabbi les poursuivit, leur tua cent cinquante cavaliers, dont il prit les chevaux et les cuirasses. Il les pourchassa ainsi jusqu'à Badja, et ce n'est que des environs de cette ville qu'il se mit en retraite pour retourner à son campement de l'OuedRoumel.

Les cavaliers d'lfrikïa rentrèrent à Tunis. Le prince tunisien, au désespoir, déchira ses vêtements et jeta de la terre sur sa tête en s'écriant: Comment! vous vous êtes laissés battre par ces buveurs de lait de chamelle !

- C'est Dieu qui l'a voulu ainsi, lui dit-on pour toute réponse. Mais il n'en conserva pas moins rancune au Chabbi. En effet, ayant appris qu'une caravane des Chabbia se dirigeait vers les ksour d'Ifrikia afin d'y chercher des grains, il expédia sur leurs traces, pour les enlever, un millier de ses cavaliers. Ceux-ci les atteignirent à l'endroit nommé Abida, près du Kef (1), et s'em parèrent de quatre cents chameaux avec leurs charges. Les conducteurs de la caravane, dépouillés, allèrent porter à Chabbi la nouvelle de leur malheur.

Le Chabbi écrivit au souverain de Tunis une lettre conçue en ces termes :

(1) Le Kef, l'ancienne Sicca Veneria, sur le territoire tunisien, presque à hauteur de notre ville de Souq-Ahras.

« Rendez immédiatement et en totalité ce que vous avez pris à mes gens; si vous ne vous exécutez pas, j'irai vous trouver avec mes cavaliers et mes fantassins. »

« Fais ce que tu voudras, répondit-on de Tunis; nous ne sommes point de ceux qui ont peur.

Le Chabbi, furieux de cette solution négative, écrivit alors au chef des Hanencha, aux Beni-Moumen, aux Feradja, aux Beni-Salah-Harar (1), aux Beni-Aouassi et à leurs voisins, aux Beni-Seliman et aux Saâdia. La totalité des contingents réunis éleva leurs forces à l'effectif de quinze cents cavaliers, avec lesquels le Chabbi entra en Ifrikia. Toutes les populations épouvantées prenaient la fuite à son approche. Le Chabbi surprit les troupeaux de chameaux de l'émir de Tunis, à l'endroit nommé Selouguïa, et s'en empara: il y avait six cents chamelles sans compter les chameaux.

Après avoir effectué cette capture, le Chabbi retourna à son campement de l'Oued-Roumel.

Mais le prince tunisien, en apprenant la perte qu'il venait d'éprouver, se mordit les doigts de colère. Voyons, dit-il, il n'y a donc personne parmi vous, qui soit capable de nous conseiller sur le parti à prendre? Vous avez des chevaux et des hommes à votre disposition; ordonnez, seigneur, on obéira!..

Nos propres forces sont insuffisantes, dit le prince. Il faut convoquer les gens d'Ifrikïa, de Gabès, les

(1) La famille des Harar est celle qui a eu longtemps la suprématie sur tout le territoire de la frontière tunisienne, dans le pays des Hanencha. Elle compte, parmi ses membres illustres, les Khaled, Nacer, Soultan Bou-Aziz et Brahim. Cette famille a été supplantée vers 1830, par suite d'intrigues, par celle des Resgui, qui est encore à la tête de la tribu.

populations du Sud, du Djerid, du Nefzaoua, les habitants de la montagne de Bekour.

En effet, tous ces pays envoyèrent leurs guerriers; on rassembla quatre mille chevaux et six mille fantassins. Pendant dix jours on s'organisa; le onzième on se mit en marche vers l'endroit dit El-Medjaz, que l'on nomme également Serat (1). Tous les contingents que nous venons d'énumérer marchaient à la suite de leur chef maudit.

Cependant le ministre du souverain de Tunis écrivit au Chabbi une missive conçue en ces termes: « O Chabbi! nous sommes en route pour aller te combattre; nous emmenons avec nous quatre mille cavaliers et six mille fantassins, afin de nous emparer de ce que vous possédez, avilir vos arrogantes personnes, vous évincer du territoire que vous occupez, et donner enfin votre chair en pature aux chacals. »

Ce ministre était l'ami du Chabbi, et s'il lui écrivait ainsi, c'était pour lui éviter d'être surpris et d'éprouver un désastre.

Dès que la lettre parvint au Chabbi, il dit à ses gens: Le souverain de Tunis marche contre nous; que proposez vous de faire?

Il conviendrait de le combattre loin d'ici, c'est-à-dire avant qu'il ne pénètre sur notre territoire. -- Celui qui venait d'émettre cet avis était issu des Himyarites. Tous les auditeurs se rangèrent à son avis, en assurant que c'était le meilleur parti à prendre.

(1) Le Medjaz, ou gué de l'Oued-Serat, affluent du Mellag, est situé sur la frontière tunisienne, non loin de notre zemala de spahis du Meridj. Il s'y est livré de fréquents combats entre les Algériens et les Tunisiens.

Alors Chabbi et tous les siens se mirent en mouvement, et ils franchirent les limites de l'Ifrikia. Ils arrivérent à un endroit où le même Himyarite leur dit de s'arrêter. Get endroit, ajouta-t-il, est vaste et découvert, c'est ce qu'il nous faut pour faire manoeuvrer la cavalerie. Tous les Chabbia lui dirent: C'est toi qui nous donnes les meilleurs avis; c'est donc toi qui vas diriger nos actions.

Il y avait trois jours qu'ils se trouvaient en ce lieu, quand l'armée tunisienne se montra et vint dresser ses tentes devant eux. Cette première journée se passa sans qu'on en vint aux mains. Le lendemain matin, les Tunisiens déployèrent leurs étendards et montèrent à cheval. Dès que le Chabbi les vit dans cette disposition, il monta également à cheval et fit déployer ses enseignes.

Le premier qui s'avança dans l'arène était Saïd, des Oulad-Said, troupe auxiliaire du prince tunisien. C'était un cavalier renommé par son courage et sa vigueur dans les combats. R'enam-ben-Mender, des Hanencha, alla au-devant de lui; il était monté sur une jument blanche, et son costume était couvert d'or; il tenait en main un cimeterre de trempe recherchée.

Quand le premier le vit approcher, il lui dit: Qui es tu donc toi?

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Je veux te tuer, avec l'aide de Dieu très-haut.

Eh bien, je suis, moi, le premier cavalier de l'ffrikïa. En long et en large dans cette région on connaît ma valeur.

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O gens injustes! pourquoi venez-vous dans notre pays? dit le Hannachi.

C'est vous, au contraire, qui vous êtes emparés des biens de l'émir, et qui avez encore l'audace de lui adresser des paroles injurieuses.

De quel émir parlez-vous donc? Nous n'en reconnaissons point; il existe un émir en Ifrikïa; mais nous lui sommes préférables par notre origine religieuse; car nous sommes issus des Oulad-Abd-Allah-ben-Mçaoud, porte étendard du Prophète, que le salut soît sur lui (1).

En effet, vous ne reconnaissez d'autre émir que l'émir des bœufs, dit R'enam. Nous ne tenons aucun compte de vos discours, et le dernier des nôtres vaut mieux que vous tous réunis. Quant à toi, tu n'es qu'un Bédouin, un buveur de lait de vache; tu n'as d'autre lit que des bottes d'halfa, d'autre coussin qu'une branche de genévrier: donc, tais-toi, chien sans maître!

En entendant ces paroles, la figure du Hannachi changea de couleur, la colère enflamma son cerveau. Les deux cavaliers s'élancèrent l'un contre l'autre; leurs cimeterres s'entrechoquèrent; mais le Hannachi tombal dans la poussière, l'épaule coupée en deux. Aussitôt tous les guerriers des tribus alliées s'avancèrent de part et d'autre, chevaux contre chevaux, hommes contre hommes, et combattirent depuis le matin jusqu'à midi. Ils se séparèrent alors, laissant les morts sans les relever. Le lendemain, la lutte recommença depuis le lever de l'au

(1) Nons avons déjà dit que la population des Hanencha était d'origine ouaride. La tribu arabe des Soleim vint se mêler à elle, et les chefs odaux du pays faisaient remonter leur généalogie aux compagnons du rophète Mahomet.

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