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« Si des revers de la fortune vous atteignent jamais, retirez-vous au Souf; c'est là que sera désormais votre patrie;

«Si vous n'étiez pas d'accord pour l'administration de vos affaires, je vous engage à faire choix d'un homme intelligent et de bon conseil ;

« Ne donnez jamais le commandement de l'Oued-Rir' à l'un des miens ou à l'un des vôtres; l'ambition et la jalousie susciteraient inévitablement la désunion dans vos assemblées, votre force s'amoindrirait par la haine des différents partis. Soyez bienveillants pour ce qui reste de la population des 'Adouan, afin que, liés à vous par la reconnaissance, ils soient toujours vos auxiliaires inséparables. Si vous sortez de Nazia, emmenez avec vous tous les habitants des ksour, de peur que la guerre n'éclate un jour entre ceux qui y seraient restés et ceux qui s'en seraient éloignés. Si cela advenait, vous n'auriez alors pour guide que vos propres inspirations. »

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Le narrateur continue en ces termes : Quand les Troud allèrent s'établir au Souf, ils y trouvèrent une population qui descendait de David, que sur lui soit le salut. Il existait dans ce pays des r'edir (cavités pleines d'eau) provenant du Nil; chacun des Troud s'empara d'un r'edir et s'installa auprès, avec sa famille et les 'Adouan qui le suivaient; de cette manière, ils s'approprièrent les terres du Souf et en jouirent pendant quinze

ans.

Safouan ajoute Un jour, nous aperçumes nos jeunes

des mœurs très relachées et ne suivaient les préceptes d'aucune religion. Nous supposons que le but de Trad, en faisant cette recommandation, était de maintenir ses gens dans la religion de l'islam.

gens, ayant déjà atteint l'âge nubile, dans une nudité complète, jouant sans pudeur au jeu du mouton (1). Ils osaient même manger pendant le mois de jeûne du ramad'an. A cette époque, notre population s'était considérablement accrue, et les mœurs étaient très libres; le saint marabout Cheikh Mohammed-el-Mçaoud-Chabbi ayant eu connaissance du relâchement qui existait chez nous, monta à cheval et arriva dans le Souf. Il trouva que les habitants étaient sans religion, qu'ils n'étaient ni musulmans ni païens.

Que viens-tu chercher dans notre pays, lui demanda-t-on ?

Je suis marabout, et je viens pour vous ramener dans la religion de l'islam et vous inspirer la crainte de Dieu.

Pars, va-t-en, car personne ne t'écoutera!

D'autres paroles plus violentes furent prononcées

(1) Le láb-chá, jeu du mouton, est encore fort répandu dans les tribus arabes; seulement ceux qui s'y livrent, restent vêtus autant que la décence l'exige.

Voici en quoi il consiste :

Un des joueurs, celui qui remplit le rôle du mouton, est accroupi au centre et a le soin de se 'couvrir d'effets pour se garantir des horions auxquels il va être exposé. Près de lui, vient se placer le principal acteur de la scène, c'est le kelb, le chien, qui doit défendre le mouton contre les chacals qui vont l'attaquer. Le kelb est toujours l'individu le plus agile de la bande; la main posée sur la tête ou sur le dos du mouton, il voltige, gambade d'une manière diabolique autour de lui en lançant des ruades à tous les chacals qui s'approchent. Ceux-ci forment le cercle à quelques pas, cherchent à profiter de toutes les occasions pour s'avancer et porter un coup de poing ou de pied au mouton. Le jeu s'animant, les ruades et les coups deviennent de plus en plus pressés et de plus en plus violents; aussi arrive-t-il souvent qu'il y a des dents cassées et des individus éborgnés par les talons du kelb sans cesse en mouvement.

auxquelles le marabout se bornait à répondre :

Mon maître, c'est Dieu, et son prophète Mahomet, qu'il soit béni !

Un nommé Rekit s'écria: Vous voyez bien que cet homme n'est autre qu'un mendiant, qui, n'ayant rien à manger dans sa tente, ne vient chez nous que pour avoir des vivres.

Non, nous ne te donnerons rien, éloigne toi, vilaine figure!

Le marabout se mit à rire; le serviteur qui l'accompagnait lui dit : « Demande donc à Dieu qu'il les anéantisse sur l'heure ! D

<< Prends patience, car celui qui m'a inspiré de venir au milieu de ce peuple est seul véridique et

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Pendant cinq heures, le marabout resta à cheval, exposé aux sarcasmes de ceux qui l'entouraient. Enfin un nommé El-Heuch-ben-Amar-ben-Seliman l'emmena chez lui et lui donna l'hospitalité.

En entrant chez son hôte, le marabout lui demanda: Qui es-tu donc, toi qui as de meilleurs sentiments que tes compatriotes?

Je suis un pauvre homme dont l'existence a été un enchainement d'événements extraordinaires qu'il serait trop long de vous raconter.

Parle, je t'écoute ?

Il existe dans le pays du Nefzaoua une ville nommée Telmim-el-Kebri, dont le chef était Brahim-ben-Kanaân el-Kerbi; j'étais son ministre. Un jour, mon maître m'envoya pour traiter ses affaires auprès de l'émir SaïdChérif, souverain de Tunis. Dans l'entrevue que j'eus

avec ce prince, je lui dis que la population du Nefzaoua n'était point satisfaite de l'administration de son chef Brahim, et que s'il voulait bien me choisir pour le rem.. placer, ma nomination serait accueillie avec reconnais

sance.

Le prince me répondit: Retourne parmi les tiens ; disleur de m'écrire à ce sujet et rapporte moi leur lettre. Je désire même que tu me présente quelques notables du pays, devant lesquels je t'investirai du pouvoir.

Quand je rentrai dans mon pays, Brahim-ben-Kanâan avait déjà été averti des démarches que j'avais faites pour le supplanter; il m'envoya chercher aussitôt mon arrivée.

Sois le bien venu, dit-il en me revoyant, ô toi qui causes la jcie de mon âme et de mes yeux; hate toi de me rendre compte de ta mission auprès du souverain hafsite.

Le prince, lui répondis-je, m'a fait à cause de vous l'accueil le plus flatteur, et m'a recommandé de toujours vous servir avec fidélité.

Il m'a, en outre, remis pour vous un caftan d'honneur estimé douze mille dinars, comme marque du renouvellement de votre investiture.

Envoie immédiatement quelqu'un pour me l'apporter. O! non, mon maître; il est préférable que j'aille le chercher moi-même, puisqu'il est déposé dans ma maison.

Eh bien! pars et reviens promptement. En même temps, Brahim se tourna vers son chambellan Harat, et lui dit, en clignant de l'œil : Surveille-le, de peur qu'il ne s'échappe.

Dès que je fus rentré dans ma maison, je fis charger tous mes effets sur quatorze chameaux, et j'ordonnai ȧ mes enfants de se diriger promptement vers le Souf.

Mes fils partirent sur l'heure; ils étaient à cheval au nombre de six: El-Fekit, Saad, Mordjan, Khalifa, Djaber et Sofian.

Je ne me dissimulais pas que l'intention de Brahimben-Kanaân était de se débarrasser de moi. Il fallait donc que j'emploie la ruse pour me soustraire à l'œil vigilant de son chambellan. Celui-ci était resté à l'une des portes de mon habitation pendant que je faisais rassembler mes effets. Dès que mes fils eurent reçu mes dernières instructions et que je les vis s'éloigner dans la direction du Souf, j'allai chercher Harat à la porte où il m'attendait toujours, et je le conduisis dans un jardin situé au milieu de mon habitation. Lå, existait un puits profond dont j'avais eu soin de dissimuler l'orifice en y étendant un tapis; j'y amenai Harat et l'engageai à s'y asseoir en lui disant Nous allons faire ensemble une légère collation, puis nous retournerons auprès de notre maitre.

Harat s'avança en effet sans méfiance; mais à peine mettait-il les pieds sur le tapis, qu'il roulait au fond du puits.

N'étant plus géné par cet homme, je montai aussitôt à cheval pour rejoindre mes enfants dont je suivis les

traces.

Cependant, Brahim impatienté de nos lenteurs, ordonna à son esclave El-Aced d'aller voir quelle pouvait en être la cause. Celui-ci ne trouvant personne dans l'habitation, entra dans le jardin et entendit les cris que Harat poussai du fond du puits; il l'aida à en sortir, et ils allèrent ensem ble raconter à Brahim ce qui était advenu.

Brahim, furieux, expédia à nos trousses quatre cents cavaliers pour nous ramener morts ou vifs.

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