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Dans l'une des fréquentes promenades à cheval que el-Hadj Ahmed faisait aux environs, il aperçut, auprès d'une fontaine, une charmante enfant d'environ dix années. Malgré ses pleurs et ses cris, elle fut immédiatement enlevée et conduite le soir même dans la chambre du bey. Le lendemain, les négresses en retiraient un cadavre le bey, fatigué de ses cris et de sa résistance, l'avait mutilée d'une manière atroce.

Le bey, voulant un jour divertir son harem et lui donner, en même temps, une haute idée de son adresse, fit amener deux lions qui furent lâchés dans les jardins et les cours, après que toutes les portes en eurent été soigneusement fermées. Les femmes occupaient les galeries supérieures, hors de portée des bonds prodigieux qu'auraient pu faire les bêtes féroces. Le spectacle commença par un terrible combat entre les lions et les bouledogues du palais. Les plus acharnés de ces derniers furent écharpés en un clin d'œil; alors le bey, qui se tenait également dans les galeries supérieures, se mit à tirer sur les lions. et les tua l'un après l'autre.

Dans un coin du jardin se voit un fragment de colonne quadrangulaire en marbre sur laquelle est gravée en relief l'inscription suivante :

بسم

هذه ضريح

الله الرحمن الرحيم

الله تعالى
المرحوم بكرم
الحيى الفيوم الشهيد السيد
القادم على مولاه الكريم ابراهیم بای

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Au nom de Dieu clément et miséricordieux.

>> Ceci est le tombeau de celui qui est mort au sein de la bonté de Dieu très-haut, vivant et éternel; du martyr (qui a succombé de mort violente), de celui qui se dirige vers son Seigneur le généreux par excellence, Brahim bey. Que Dieu lui accorde sa miséricorde et l'introduise dans son paradis.

» Il est décédé dans la nuit du lundi, à la date du mois de moharrem de l'an 1207 (août 1792). »

Cette inscription funéraire, trouvée par hasard dans l'une des caves du palais, au milieu d'autres matériaux gardés en réserve, a été, tout récemment, placée dans le jardin. Elle rappelle un drame sanglant dont Salah bey, qui gouverna la province pendant une vingtaine d'années, fut le principal acteur. M. Cherbonneau, à qui nous devons tant de documents historiques sur le pays, le raconte

en ces termes :

« Ce gouverneur (Salah bey), qui possédait le génie de l'administration, qualité bien rare chez les Turcs de l'Algérie, institua, dans les ports de Collo, Stora, Bône et La Calle, des oukils chargés de percevoir les droits du beylik sur les marchandises échangées. Grâce à ce surcroit de revenus, il bâtit dans plusieurs villes, et même dans

les oasis, des mosquées et des écoles qu'il dota de nombreux habous. La Mecque et Médine reçurent également des marques de sa munificence. Il y acheta des maisons. qui furent pourvues de rentes et consacrées à l'hospitalité des pélerins.

› La reconstruction du pont de Constantine, qui était certainement une œuvre d'une utilité immense pour la population de cette ville, tourna néanmoins à la perte de son auteur. Des hommes malveillants ayant insinué au pacha d'Alger qu'en amenant l'eau à Constantine, son lieutenant n'avait d'autre but que de se rendre indépendant, celui-ci le destitua et envoya Ibrahim pour le remplacer. Il serait un peu long de raconter les faits qui accompagnèrent l'arrivée du nouveau bey. Je dirai seulement qu'Ibrahim attira Salah à Dar el-Bey et l'y garda à vue, dans la crainte que les gens de son parti n'entreprissent quelque coup de main en sa faveur. Malgré cette précaution, il fut assassiné lui-même par le chef de la milice. Salah bey reprit le gouvernement; mais la plupart des officiers du maghzen ne voulant pas compromettre leur avenir, aimèrent mieux attendre les événements que de se donner franchement à sa cause. Cet état de choses ne dura pas longtemps, car, vingt jours après le meurtre d'Ibrahim, le pacha envoya un autre gouverneur nommé Hussein, avec ordre de mettre à mort le rebelle. On dit qu'à cette occasion une bataille sanglante éclata dans les murs de Constantine, où Salah comptait encore beaucoup d'amis parmi les Turcs. Il fallut que Husseïn l'assiégeât dans l'ancien palais compris entre les rues Caraman, Cahoreau et Combes. Or, voici comment des témoins oculaires m'ont raconté le dénouement de

cette tragédie. Lorsque Salah bey vit que la lutte devenait inégale, il se rendit, à condition qu'on le laisserait sortir en compagnie et sous la sauvegarde du cheikh elIslam. Cette grâce lui ayant été accordée, il franchit le seuil de Dar el-Bey en tenant un pan du burnous d'Abd er-Rahman ben Lefgoun, qui était venu le trouver; mais à peine avait-il fait quelques pas dans la rue, que son protecteur, donnant une secousse à son vêtement, l'abandonna aux chaouches du pacha, qui se précipitèrent sur lui et l'étranglèrent. »

Notre exploration dans cette partie du palais étant terminée, nous allons nous diriger maintenant vers le pavillon dit de la Direction du Génie. Nous y pénétrerons par la petite porte de communication qui se trouve entre le kiosque et le réduit du cafetier du bey. La cour du Génie est également entourée d'un péristyle de cinq arcades ogivales sur chaque côté. On reconnaît au premier coup d'œil que cette partie du bâtiment était autrefois une maison isolée que l'on annexa au palais par la suppression de l'un de ses murs mitoyens, remplacé ensuite par une colonnade. La cour de cette maison fut transformée en un vaste bassin où les femmes du harem pouvaient prendre des bains froids. L'eau jaillissait de ce réservoir, s'élevait à une grande hauteur et retombait dans de vastes coupes superposées et d'inégales dimensions, sur le bord desquelles un artiste fort habile avait sculpté d'élégantes rosaces et de gracieux enroulements. Dans les eaux du réservoir, on voyait un grand nombre de petits poissons rouges dont les femmes du bey prenaient soin. Un petit pont mobile en bois était disposé de manière à pouvoir arriver de la galerie circulaire jusqu'au bord des vasques.

Tout cela a été transformé depuis l'occupation française. On a comblé ce bassin avec de la terre végétale, dans laquelle on a planté quelques acacias. De l'ancien jet d'eau en marbre, il ne reste que la conque inférieure au ras du sol.

Les appartements qui rayonnent au rez-de-chaussée, autour de la galerie, sont sans importance. On y a mis les bureaux des employés du génie. Sur l'un des côtés de la cour est un escalier qui descend dans de vastes chambres voûtées, qui s'étendent sous le palais, le long de la rue Caraman. Lå, se trouvait une étuve ou bain maure exclusivement affecté à l'usage du bey et de son personnel féminin.

Chaque jour, un certain nombre de mulets, chargés de grandes outres en peau de bœuf, apportaient de la rivière qui coule au pied de la ville (Roumel) l'eau nécessaire aux besoins du palais. Cette eau, versée dans une sorte de poterne pratiquée dans l'un des murs d'enceinte, arrivait de l'extérieur à l'intérieur du palais par des conduits en poterie.

Au-dessus du bain maure étaient les chambres de repos des baigneuses. Elles servent maintenant de logement aux aides-de-camp du général. L'une d'elles contenait une immense volière, dans laquelle on entretenait des rossignols, des chardonnerets, des canaris et autres oiseaux chanteurs. Quant aux salles voûtées du bain maure, une partie a été transformée en écuries et l'autre en magasins à orge.

Le premier étage de la cour du génie, autour duquel règne également une galerie à arcades, contient une série d'appartements ornés avec une certaine élégance, ayant

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