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bien détachées, est tellement magique, qu'il est difficile d'en donner une idée sans l'aide de la gravure.

Ce qui augmente surtout le charme de cette habitation, ce sont les jardins avec leurs grands arbres, dont les rameaux, dépassant le faîte des toitures latérales, couronnent le tout d'une voûte de feuillage et le remplissent de fraîcheur. Dans une ville comme Constantine, où l'ombre et la végétation sont si rares, de telles conditions doivent certainement paraître inappréciables.

Maintenant, voyez cet intérieur une nuit de fête, éclairez ces galeries par la lueur vacillante d'une infinité de lanternes vénitiennes, et ces parterres par une constellation de verres de couleur, dont l'éclat se jouera heureusement sur la surface miroitante du marbre, et vous aurez sous les yeux un spectacle féerique, rappelant la description des palais enchantés dans lesquels nous transportent les contes orientaux. On est entraîné, fasciné, ébloui; les rayons de lumière, projetés çà et là à travers ces colonnades, produisent des fantaisies d'ombre et de clarté que la pensée n'imaginerait point, et qui se prêtent merveilleusement à l'illusion.

A coup sûr, nul de ceux qui, à certaines époques, ont assisté aux fêtes données au palais par les généraux commandant la province, n'oublieront ce prestige d'effets, ce parfum d'orient sous l'impression desquels l'esprit s'ouvre mille perspectives dorées et rêve des magnificences ineffables.

Horace Vernet, qui visita le palais en 1837, alors qu'à peine achevé, il brillait de tout son éclat, l'a caractérisé en quelques lignes :

Figurez-vous, dit-il, une délicieuse décoration d'o

péra, tout de marbre blanc et de peintures aux couleurs les plus vives, d'un goût charmant, des eaux coulant de fontaines ombragées d'orangers, de myrtes, etc., enfin un rêve des mille et une nuits. »

Cette riche habitation était bien digne de fixer l'attention de notre grand artiste; nul mieux que lui n'en a donné une idée plus nette et plus saisissante.

Avant de décrire ce curieux monument, il convient de rapporter les faits qui se rattachent à son origine et la manière dont il fut exécuté. Mais disons, tout d'abord, que les matériaux qui nous ont servi à écrire cette notice, ont été recueillis sur place, dans le palais méme, en faisant appel à la mémoire des contemporains et des ouvriers qui ont travaillé à sa construction. Nous avons interrogé aussi des individus qui, dans une position plus ou moins élevée, faisaient partie de l'entourage du bey, même des femmes ayant vécu dans sérail; tous ceux, enfin, qui pouvaient rappeler quelque souvenir utile. Qui doit, en effet, mieux connaître l'histoire du palais que ceux qui l'habitaient jadis?

son

Un instinct de curiosité, m'a poussé à rechercher la trace des événements dont le palais a été le théâtre. Ces épisodes m'ont paru curieux et mériter d'être connus.

On me pardonnera, je l'espère, d'insister sur quelques scènes d'intérieur et sur des faits souvent très minutieux; mais, la curiosité du présent a éveillé la curiosité du passé, et quand on écrit l'histoire, aucun détail n'est à dédaigner. N'est-ce pas, aussi, en pénétrant dans la vie intime des hommes, lorsqu'ils sont descendus de leur piédestal d'apparat, qu'on parvient à apprécier complètement leur vrai caractère? C'est ainsi que nous avons

pensé devoir procéder, pour achever de bien faire connaitre la figure d'El-Hadj-Ahmed bey, l'une des plus caractéristiques de l'époque turque.

II.

Sur l'emplacement où s'élève aujourd'hui le palais, existait, il y a une quarantaine d'années, un amas de maisons particulières accolées les unes aux autres, dans lesquelles on pénétrait par quelques ruelles étroites et tortueuses. La famille d'El-Hadj-Ahmed possédait, dans ce quartier, deux maisons contiguës: l'une d'elles est maintenant l'hôtel de la subdivision, l'autre est affectée au bureau topographique militaire. C'est dans la première, dite Dar Oum en-Noun, qu'est né le dernier bey.

La porte principale de ce domaine patrimonial était dans un impasse, dont le fond se voit encore aujourd'hui, formant comme un vestibule devant l'hôtel de la subdivision. Après avoir fait quelques zig-zags, cet impasse débouchait à peu près à hauteur de l'escalier qui descend maintenant devant l'église, où se trouvait alors une des principales rues de la ville. Il était fermé à sa sortie par une porte garnie d'épaisses plaques de fer, et s'appelait Derb El-Hadj-Ahmed, Passage d'El-Hadj-Ahmed (1), nom qui a servi plus tard, et par extension, à désigner le palais lui-même. Une autre petite porte

(1) Le mot derb, —, signifie porte, passage, défilé. On l'emploie dans ce pays pour désigner une ruelle fermée par une porte.

ouvrait du côté nord, dans la ruelle où se trouve aujourd'hui la caserne de gendarmerie.

Vis à vis des deux maisons d'El-Hadj-Ahmed, se trouvait alors un vieux bâtiment dit Dar el-Bechmat ou Dar el-Mouna, ayant servi autrefois, ainsi que son nom arabe l'indique, à emmagasiner des approvisionnements destinés aux janissaires de la garnison. Cette masure, utilisée ensuite comme écurie, fut enfin abandonnée à la destruction. L'apathie ou même l'incurie de l'autorité locale, et la négligence traditionnelle des habitants, laissèrent s'y former une cloaque dont les émanations nauséabondes infectaient le quartier.

Tant qu'il exerça les fonctions de Kaïd el-Aouassi, El-Hadj-Ahmed mena une vie excessivement active au milieu des tribus dont l'administration lui était confiée. Nommé khalifa du bey en 1818, et obligé de fixer alors sa résidence à Constantine, il reconnut la nécessité de déblayer et d'assainir les abords de son habitation. Il demanda et obtint facilement la propriété de la ruine de Dar el-Bechmat, pour laquelle il donna en échange une petite maison qu'il possédait dans un autre quartier de la ville. La masure et l'amas de décombres qui touchaient à sa demeure furent rasés et déblayés rapidement. Sur leur emplacement, qu'il entoura de hautes et discrètes murailles, il planta des orangers apportés de Mila, et créa le jardin qui se voit actuellement à gauche, en entrant dans le palais (logement particulier des généraux).

Nommé bey de Constantine en 1826, El-Hadj-Ahmed s'installa à Dar el-bey, vaste bâtiment affecté à la résidence officielle des gouverneurs de la province de l'Est.

La majeure partie de sa famille et surtout sa mère, ElHadja-Rekia, continuèrent cependant à habiter leur maison de Oum-en-Noun.

Les renseignements qui nous ont été fournis, nous mettent à même de faire remonter à cette époque la pensée, conçue par Ahmed bey, de se créer une demeure somptueuse. Pendant son pélerinage à la Mecque et son séjour en Egypte, il avait pu juger de l'effet séduisant des palais d'Orient; du reste, son prédécesseur, Salah-Bey, avait déjà introduit le luxe de ce genre d'habitations à Constantine, où plusieurs monuments d'utilité publique et différents embellissements sont dus à sa munificence éclairée.

El-Hadj-Ahmed, à son tour, ne voulut rien épargner pour se créer un logis dont la splendeur fût pour lui un objet d'orgueil. De gré ou de force, il commença par se faire céder, à l'aide de ventes ou par voie d'échanges, plusieurs maisons voisines de Dar Oum-en-Noun, afin de donner plus d'extension à son domaine.

L'exemple suivant, peut démontrer les moyens de pression, les expédients odieux qu'il employa à cette occasion. Une vieille femme, née dans la maison qu'elle habitait et qui tenait à y finir ses jours, ne voulait s'en défaire à aucun prix. En présence de cette obstination, le bey la fit enfermer chez lui, dans une étroite prison, et la priva progressivement d'air et de lumière. Elle résista quelque temps, mais dut céder à la violence: un taleb complaisant rédigea une déclaration par laquelle la cession de l'immeuble convoité était consentie. La vieille, exténuée par des privations de tout genre, n'obtint sa liberté qu'en promettant de ne plus remettre les

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