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DU

PALAIS DE CONSTANTINE

Peu de biographies présentent un plus vif intérêt, sont plus nourries de faits et renferment autant d'événements curieux et piquants que celle de El-Hadj-Ahmed, dernier bey de Constantine (1). Je n'aurais esquissé que d'une façon incomplète la vie de cet homme extraordinaire, si j'avais négligé de parler du palais dans lequel il fixa sa résidence.

De tous les monuments qui existent en Algérie c'est celui qui offre le plus d'attrait, sinon sous le rapport de l'antiquité et des souvenirs qui s'y rattachent, du moins, au point de vue de l'architecture barbaresque. Ce n'est pas qu'il soit d'un aspect imposant, d'un fini de détails et d'une parfaite harmonie dans son ensemble; mais comparé aux autres résidences somptueuses de l'époque

(1) La monographie du palais est précédée d'une notice historique sur El-Hadj-Ahmed-Bey, dont je suis obligé d'ajourner la publication, afin de la rendre aussi complète que possible par des documents indigènes trèsimportants, dont la communication m'a été promise.

turque, il présente des proportions élégantes et grandioses on y trouve tout ce que le goût de l'ostentation et du luxe algérien peuvent réunir de plus séduisant: c'est, en un mot, le type indélébile du genre, le modèle le plus achevé de l'architecture, appliquée à la fois et avec logique aux impérieuses nécessités des mœurs et du climat du pays.

Le rôle qu'à joué ce palais du temps des Turcs, s'il a changé depuis la domination française, n'en a pas moins toujours une grande importance. Le souvenir du bey El-Hadj-Ahmed, joint à son affectation actuelle, qui en fait la résidence des généraux commandant la province de Constantine, lui donne une sorte de consécration qui, aux yeux des populations indigènes, est un emblême du pouvoir.

Souvent les artistes et les voyageurs l'ont signalé comme l'un des plus beaux et des plus curieux monuments arabes qu'il soit possible de rencontrer en Algérie. Pour l'étranger, dont il a rassasié la curiosité, si ce n'est excité l'admiration, il a toujours été un but agréable de visite et d'étude; mais il attend encore les bonneurs d'une mise en lumière plus complète par un travail d'ensemble uniquement consacré à sa description. Le sujet est, certes, assez vaste et assez fécond pour mériter une attention spéciale.

Afin d'apprécier cet édifice au point de vue de l'art, il faudrait être du métier, c'est-à-dire architecte ou érudit. Or, comprenant tout ce qu'il me manque de connaissances techniques pour une semblable étude, à Dieu ne plaise que j'entreprenne de combler la lacune que j'ai signalée plus haut; mon but est plus modeste, car,

tout en décrivant sommairement le palais, je n'ai d'autre prétention que de contribuer pour ma petite part à faire mieux connaître son origine et son histoire, trop peu scrutées jusqu'ici et, par suite, racontées d'une manière plus ou moins exacte.

Cet édifice offre un admirable coup-d'œil, aussi varié dans ses détails qu'original dans son ensemble; mais tout cela passe habituellement devant le visiteur comme autant d'images fugitives, faute de renseignements historiques qui en gravent le souvenir dans la mémoire. C'est surtout pour obvier à cet inconvénient, que j'ai essayé de coordonner tous les documents les plus certains qu'il m'a été donné de recueillir. Puissent d'autres les mieux compléter que moi!

Cette étude a, je crois, sa raison d'être dans un moment où, par suite de l'élargissement des voies publiques et de l'alignement des rues, le cachet primitif et pittoresque de la ville s'efface devant les empiétements plus utiles de la civilisation.

I.

En arrivant aujourd'hui sur la place dite du Palais, on aperçoit une lourde et sévère masse de maçonnerie qui blesse, au premier coup-d'oeil, le regard le moins exercé. Rien n'annonce, rien ne dit que ce soit là un palais. Ces grands murs, en retraite les uns sur les autres, ressemblent plutôt à une clôture insipide de monastère ou de prison, qu'à l'enceinte d'un monument

majestueux. Ils rappellent les constructions d'une époque où chacun, étant forcé de se garder soi-même, se mettait à l'abri des coups de main et des efforts de la multitude.

Leur profil incorrect, leur ensemble inerte, s'élève à quinze mètres environ au-dessus du niveau de la place; en largeur, la façade n'a pas moins de 80 mètres de développement. Une toiture grisâtre, en tuiles creuses, hérissée de grotesques tuyaux de cheminées modernes, complète cet aspect singulièrement triste.

Toute la décoration de cette muraille se réduit à quelques fenêtres également modernes, irrégulèrement percées ça et là ; elle ne présente donc pas plus d'intérêt que la façade de la plus médiocre maison de la ville, et n'est guère propre à faire soupçonner ce qu'elle renferme de curieux.

On ne doit cependant pas s'arrêter devant ce masque froid et lugubre; il faut franchir le seuil du palais et pénétrer à l'intérieur. Là seulement se trouve le mérite réel et la véritable beauté de l'édifice. Le contraste est alors frappant, et l'on oublie rapidement ce que le dehors a de triste et de disgracieux.

Il est impossible, en effet, d'imaginer rien de plus original et en même temps de plus élégant. Le visiteur, pénétré d'un sentiment instinctif d'admiration, est saisi agréablement par le spectacle pittoresque et éblouissant qu'il a devant lui, et auquel il s'attendait si peu en traversant la place. Attiré de tous côtés à la fois, il passerait des heures entières à le considérer. L'œil s'égare dans cet ensemble merveilleux tout inondé d'air et de lumière; cette infinité d'arcades aux colonnades si légères et si

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