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léguée ses prédécesseurs. La Porte ottomane, dont il relevait, aurait été en droit de lui en demander un compte rigoureux. Il fallait à tout prix ramener à l'obéissance ceux qui s'y étaient soustraits. Mais avant de tenter encore une fois le sort des armes et d'exposer ses troupes à un nouvel échec, il voulut s'assurer le concours du parti religieux qui, comme nous l'avons fait remarquer précédemment, avait toujours prêté son appui à la cause des conquérants.

A cet effet, il s'adressa aux principales familles qui tenaient le sceptre de la noblesse religieuse, et voici la lettre qu'il écrivait, dès le commencement de l'année 1641, à ce même Mohammed Sessi de Bône dont le fils avait été le correspondant d'Aïssa ben Tsâalebi (1) :

De la part du serviteur de Dieu, du fort, du vain› queur par sa toute puissance, Abou el-Djemal Youssef > pacha, que Dieu lui facilite l'entier accomplissement » de tout ses désirs !

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A sa seigneurie, le jurisconsulte, le pieux, le pur, » l'ouali, etc., Abou Abdallah Sidi Mohammed Sessi,» que Dieu accroisse ses ressources! qu'il multiplie le > nombre de ses amis et de ses enfants!

Salut à vous, ainsi que la miséricorde de Dieu et sa « bénédiction!

Nous vous informons que nous étions fermement » résolu d'aller à Oran entreprendre la guerre sainte, » pour retirer cette place des mains des légions du dia»ble, la délivrer de la perdition de l'impiété et de l'er»reur, et y faire briller le flambeau de la foi islamique,

(1) Nous extrayons cette correspondance d'un recueil de pièces, écrit un siècle après, par un des petits-fils de ce même Mohammed Sessi.

» quand nous avons été détourné de nos projets et em» pêché de mettre fin à ce mal, par le bouleversement › survenu dans les affaires musulmanes de ce pays-ci, où, > ainsi qu'il est à votre parfaite connaissance, les oppo»sitions contraires et les déchirements se sont accrus > au point qu'il s'est produit toute espèce de désordres » que repousse la justice et que répudie la nature. On a > effacé jusqu'aux traces de la soumission due au prince, » qui est la même que celle due à Dieu, et on a élevé à » la place des colonnes d'iniquité. On a suivi les inspi› rations du démon et on en a tiré jactance. On a nié la » vérité et on a affirmé le mensonge. On a exalté ce qui » était vil et on a avili ce qui doit être exalté.

«Alors, nous avons laissé en repos dans leur arsenal » les armes de la guerre sainte, remettant à des temps > plus propices l'accomplissement de nos desseins, et › avons suivi ce principe écrit dans le livre de Dieu : » qu'en toute chose il faut faire d'abord le plus néces»saire, et qu'ainsi on atteint le but de ses désirs. C'est » pourquoi nous avons renouvelé les préparatifs que > nous conseillaient les circonstances et, après avoir prié » et consulté Dieu, nous avons, en notre qualité de gou>vernant, résolu de nous porter sur le territoire de Cons> tantine et des pays qui en dépendent, et de pousser » ensuite jusqu'à Biskra et au-delà, pour examiner par › nous-même ce qui convient au bonheur des sujets, » étouffer les feux de la guerre, repousser les maux ▸ qu'elle entraîne, entendre les plaintes, y faire droit » suivant l'équité, rallier les opinions, rapprocher en > faisceau les membres de la nation musulmane, rétablir la justice, effacer l'iniquité, honorer le savant, ins

truire l'ignorant, redresser les bases renversées, con» solider les institutions, favoriser les intérêts publics,

réparer les torts, surveiller l'assiette de l'impôt, les › agents de l'administration et leurs employés, faire > briller ceux qui remplissent fidèlement leur devoir et » destituer ceux qui s'en montrent indignes.

« Nous avons reconnu que, pour accomplir la mission > dont Dieu nous a investi sur ses créatures, nous devions prendre en personne la conduite de telles affaires, et »notre but est de lui être agréable et de rester ferme » dans ses voies.

« Nous vous écrivons tout ceci, afin que vous sachiez » la vérité sur nos desseins et que vous pénétriez dans » la sincérité de nos pensées secrètes. Informez les ha> bitants de votre pays de nos intentions et des prépa> ratifs que nous faisons pour ramener la pacification » parmi les peuples de l'islam. Publiez-les partout et, >> en les divulgant, joignez-y les conseils que vous dictera votre sagesse, ainsi qu'il appartient aux hommes de votre rang; car la nation islamique ne saurait se » maintenir dans sa religion et dans sa vie civile, sans le sabre de ses gouvernants et les exhortations de ses chefs spirituels. Ramenez à Dieu, par la prière et les › supplications, ceux qui se sont éloignés de lui. Par là, › vous imiterez le Prophète. Que sur lui soit le salut! « ..... Certes, si je m'adressais à tout autre qu'à vous, » je m'efforcerais de lui prouver de point en point cette » thèse et la lui développerais avec tous les arguments de

logique et de bien dire qu'elle comporte; mais avec vous » ce serait peine superflue. Vous êtes à cette heure, dans > votre contrée, le premier des musulmans et le doc

teur autour duquel gravitent tous les gens de la › Sonna.

Que Dieu vous conserve pour le pays dont vous êtes › la bénédiction, et pour ses créatures dont vous êtes › le refuge.

« Écrit dans la première dizaine de doul-hidja, mil cinquante de l'hégire (14-23 mars 1641). »

A cette lettre, dans laquelle le pacha Youssef exposait à Sidi Mohammed Sessi les mesures qu'il projetait pour ramener sous son autorité la province révoltée, et le pressait vivement de l'aider de son influence dans cette œuvre de pacification, le marabout de Bône répondit en implorant pitié et grâce pour les rebelles. Il chercha à calmer la colère du pacha et à le détourner de son entreprise, en lui faisant entendre que les populations reviendraient bientôt d'elles-mêmes à l'obéissance, sans qu'il fût nécessaire de les y contraindre par la force. Mais le pacha ne partagea pas ces espérances; car deux mois après il lui adressa la nouvelle lettre que voici :

« Louange à Dieu !

A Sidi Mohammed Sessi de Bône, etc.

« Nous avons reçu votre lettre, dans laquelle vous im>plorez le pardon des coupables et demandez qu'il soit › fait grâce aux fauteurs de troubles et de crimes. Mais, > sachez-le bien, la multitude ignore les vérités de la > doctrine et ne tient nul compte des menaces de répres>sions et des leçons de l'expérience. Or, il est des > maximes édictées par les sages qui disent: Avant de marcher, assure-toi que le terrain sur lequel va › poser ton pied est ferme, et avant d'agir, réfléchis aux

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» conséquences de ton action. Qui se fait l'hôte du

» lion, se fait l'hôte de ses griffes.

Qui veut boule

» verser le temps, le temps le bouleverse.

La révolte » contre le monarque, retire la faveur et nécessite à son >> auteur un châtiment exemplaire.

« Vous n'ignorez pas les propos séditieux dont ils se » sont rendus coupables et qui méritent un blâme sévère ; >> car, qui parle d'une manière inconvenante, entendra » ce qui ne saurait lui plaire, et qui fait ce qu'il veut, » trouvera ce qui lui nuit. Ceux-là même auraient mérité » une répression terrible, si, par considération pour votre > personne, nous n'envisagions la bonté de Dieu.

D

Aujourd'hui donc, nous vous renouvelons ce que > nous vous avions déjà dit de l'expédition (contre Oran), ▸ que nous avons abandonnée momentanément et que >> nous avons remise à plus tard. Pour vous, ce que vous » avez à faire, c'est de réfléchir à la position dans laquelle nous nous trouvons, de ne point nous négliger » et surtout de ne point oublier, dans le calme de la » solitude et de la prière, de faire des voeux de bonheur » pour les serviteurs du Prophète, et de leur répéter sans » cesse ce qu'ils doivent au sultan car la soumission >> au sultan, c'est la soumission à Dieu. C'est à vous tous, » maîtres de la science, qu'il appartient principalement » de répandre les vrais principes; à vous, qui êtes les » plus versés dans les règles de la législation et l'étude » de ses commentaires.

« Écrit dans la première dizaine de safar, l'an mil >> cinquante-un de l'hégire (11-20 mai 1641 de J.-C.). «De la part du serviteur de Dieu, Abou Djemal Youssef » pacha. Que Dieu lui ouvre la victoire et le conduise » au but de ses désirs! >>

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