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défaut essentiel, à nos yeux, est de manquer avant tout de critique. Aussi ne saurait-on apporter trop de réserves en les consultant (1).

Il reste, il est vrai, l'assertion d'Haedo; mais elle est bien faible, bien isolée, si nous lui retirons l'appui d'un document, qui, seul jusqu'à ce jour, pouvait lui donner le cachet d'une certitude historique (2).

En tout état de cause, l'occupation de Constantine, dans les circonstances où la place cet historien, ne nous semble pas admissible (3), et nous pensons plutôt que cette ville, devenue indifférente à la lutte engagée entre Ahmed ben el-Cadi et Kheir ed-Dine, continua à se gouverner sous un chef librement accepté par elle (4).

(1) Voir, à ce sujet, une note de M. Berbrugger, insérée à la suite du travail de M. Féraud dans la Revue africaine, même volume, p 196.

(2) Cette assertion a été reproduite, mais avec quelques variantes, par Pierre Davity, dans sa Description générale de l'Afrique. « Cheredin ou » Hairadin, dit-il, s'empara l'an 1522 du port de Collo et de la ville de » Constantine, qui vivait eu liberté, ayant secoué le joug des rois de Tunis. » (Edition de 1660, p. 205).

(3) On sait d'ailleurs qu'Haedo se trompe souvent sur les dates; témoin l'expédition de Diego de Vera contre Alger, arrivée en 1516, qu'il place en 1517, la prise du Pégnon, arrivée en 1529, qu'il place en 1530, la mort de Hassen Agha, arrivée en 1545, qu'il place en 1543; toutes erreurs qui ont été relevées par M. Berbrugger et autres.

(4) Bien qu'il résulte de cette manière de voir une opposition avec ce qu'a écrit à ce sujet dans la Revue Africaine (année 1856-57, p. 401), M. Berbrugger, ce savant dont l'Algérie s'honore et pour lequel nous professons personnellement la plus grande estime, nous n'avons pas cru devoir pour cette fois nous ranger à son opinion, tant les dates posées cidessus et admises d'ailleurs par lui-même, nous paraissent rigoureusement vraies. Ce qui nous confirme encore davantage dans nos idées, c'est que, dans ce même acte, point commun de départ des appréciations, il est dit : « Il y a peu d'années on a restauré quelques jardins détruits, » près de la Kniciya. Si donc la restauration avait commencé déjà quelques années avant 1528, il faut admettre forcément que le renversement de la puissance ottomane qui avait entraîné l'abandon du Hamma, remontait au-delà de 1520.

Nous ne suivrons donc pas cette lutte du pays contre les Turcs, qui se prolongea jusque vers l'année 1529, et dans laquelle Kheïr ed-Dine, tour à tour chassé d'Alger, trahi par son ami, Kara Hassen, forcé de se retirer à Djidjeli, berceau de sa première fortune, ne parvint à récupérer définitivement le pouvoir, qu'en profitant des mésintelligences de ses ennemis, et en employant tout ce qu'il avait d'énergie et de force pour les vaincre et les soumettre.

Le théâtre sur lequel se passaient ces événements, était d'ailleurs dans la grande Kabilie (1), et rien ne nous dit que Constantine y ait pris aucune part. Ses rapports politiques étaient tout entiers avec Tunis, et elle dut suivre bien plutôt les destinées de cette capitale, sa véritable suzeraine, que celles d'Alger à laquelle aucun lien ne la rattachait encore.

Elle avait alors pour chef le kaïd Ali ben Farah, ainsi que nous l'apprend l'acte de notoriété précité (2), où on lit Cet état de dévastation, continua jusqu'au temps

(1) Voir les Epoques militaires de la Grande Kabilie, par M. Berbrugger, p. 64 et suivantes.

(2) Bien que nous ayons émis un doute au sujet de l'expression puissance ottomane, que contient la copie de cet acte, nous n'en considérons pas moins cette pièce comme parfaitement authentique, quant aux autres faits qu'elle nous révèle. Nous en trouvons même la confirmation dans un acte daté de la fin de Doul Hidja de l'an 926 (fin décembre 1520), portant constitution de habous par Yahia ben Mohammed ben Lefgoun, le second des témoins signataires de ladite pièce, au profit de ses enfants, et constatant l'existence de deux autres témoins dénommés dans cette même pièce, qui sont Abboud et El-Ouadi. Un quatrième témoin, Aboul Fadel el-R'aribi, nous est connu par une note biographique qui le représente comme un des jurisconsultes les plus en vogue de Constantine à cette époque. Vers la fin de sa vie, ajoute cette note, il fut atteint d'aliénation mentale et on fut forcé de l'enfermer dans une prison où il mourut,

» du gouvernement du kaïd très-illustre, très-sage, très> auguste, Aboul Haçan Ali ben Farah. Et quelques lignes plus bas « Le kaïd encourage et partage l'espoir » de relever le Fahs, par la culture convenable aux be» soins de l'époque (que Dieu lui fasse atteindre l'objet › de son espérance et de son désir, qu'il fasse croitre » de plus en plus le respect et la vénération qu'il ins› pire!) »

Ce qui prouve que les troubles, causes du désordre qui avait amené la dévastation dudit Fahs, avaient cessé. Mais qu'était cet Ali ben Farah?

A ce sujet, voici ce que nous lisons dans Marmol (1). ⚫ Constantine fut longtemps sans vouloir recevoir de » gouverneur, jusqu'à ce que l'un des princes, Mouley › Mohammed, père de Mouley Hascen, y envoya son fils › Mouley Nacer, qui fut tué en la première entreprise » qu'il fit contre les Azuagues. Il en depescha un autre » après, Abdarrahaman, qui fut assassiné par un de ses » gens, et enfin un troisième, Mouley Abdul Mumen, que » le peuple voulut tuer, à cause de ses débauches; de > sorte que son père fut contraint de le faire arrester

prisonnier, et amener à Tunis pour le sauver de leurs » mains. Il leur donna pour gouverneur, en sa place, ▷ un renégat, Ali ben Farax, fort expérimenté, dont le » peuple parut fort content.

Après sa mort, sous le règne de Mouley Hascen, la » ville se rendit aux Turcs, qui y mirent garnison, » comme dans une des plus importantes places de ce » royaume; mais ils y régnèrent si insolemment, qu'elle > s'est voulu révolter plusieurs fois, et le mit à exécu1 Traduction de d'Ablancourt, vol. II, p. 439.

» tion l'an 1568, qu'elle tua le gouverneur et la gar» nison et se mit en liberté. Mais le gouverneur d'Alger, › Aluch Ali Fartâce, la vint assiéger, et l'ayant prise par » la force, la saccagea et obligea les bourgeois à fortifier » le chasteau à leurs dépens, et à lui payer cinquante » ou soixante mille escus; après quoy il les désarma, et ils sont demeurez plus esclaves qu'auparavant. »

Nous avons tenu à citer tout le passage, bien que la fin nous éloigne de l'époque à laquelle nous sommes arrivés, parceque nous aurons bientôt à y revenir.

Ainsi cet Ali ben Farah ou Farax, d'après l'orthographe espagnole, ne serait autre, suivant Marmol, qu'un renégat qui aurait été envoyé comme gouverneur à Constantine, par Moulaï Mohammed, roi de Tunis, et dont la nomination serait forcément antérieure à 1526, puisque ce sultan mourut le 25 du mois de rebiê-et-tani de l'année 932 de l'hégire, qui correspond au 10 février 1526, de notre ère. (Voir El-Kaïrouani, traduction de MM. Pellissier et Remusal, p. 270).

Cette opinion, qui semble au premier abord contredire ce que nous avons avancé plus haut de la situation politique de Constantine qui se serait constituée, depuis la fin du quinzième siècle, indépendante de la dynastie hafsite de Tunis, n'a rien cependant au fond de contradictoire avec nos dires; et nous croyons ici Marmol parfaitement renseigné et digne de toute créance. D'ailleurs, Léon l'Africain, dont on a dit que Marmol n'était que le plagiaire, ce qui est vrai en partie, confirme lui-même le fait. Ce célèbre voyageur, qui se trouvait à Bougie vers la fin de 1514, lors de l'entreprise d'Aroudj contre cette place, et qui de là s'achemina vers Constantine,

pour se rendre à Tunis, ainsi qu'il nous l'apprend luimême, raconte que le sultan de Tunis pourvut successivement du gouvernement de Constantine trois de ses fils, qui y moururent ou en furent chassés, et il ajoute: Puis il renvoya, sous gouverneur en Constantine, un » chrétien renié, sur lequel le roi, pour avoir expéri› menté en lui une infidélité grande, et connu suffisant

en choses de grande importance, se reposait totale› ment, comme aussi pour son bon gouvernement fut » très satisfait et content le peuple de la cité. › (Léon l'Africain, édition de 1830, 1er v. p. 624, et 2e v. p. 13).

Nous voyons donc, par les trois princes envoyés successivement à Constantine, que si, d'un côté, les Hafsites n'avaient pas encore renoncé à toute suprématie sur cette ville, d'un autre côté, cette dernière ne se faisait pas faute de secouer le joug, quand les gouverneurs ne lui plaisaient point, et que si elle accepta Ali ben Farah, ce fut plutôt à cause de ses qualités personnelles, que comme envoyé d'un gouvernement qui, d'ailleurs, touchait à son déclin.

Nous pouvons donc sans trop préjuger croire que, sous l'administration d'Ali ben Farah, Constantine jouit de quelque tranquillité. Ses habitants purent librement se livrer à la culture de leurs terres, et les jardins du Hamma furent restaurés. Cet état se continua jusqu'à sa mort qui arriva, nous dit Marmol, sous le règne de Moulaï Hassen, monté sur le trône de Tunis, au commencement de l'année 1526 (1). Mais comme il ajoute qu'alors

(1) Cet Ali ben Farah dut contracter des alliances dans le pays et y faire souche; car nous voyons par deux actes publics, datés, l'un du 10-20 août 1622, et l'autre du 1er-10 septembre 1631, que le magnifique, le très-élevé, l'écrivain, Aboul Fadel Kassem ben Farah, avait acquis de la famille

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