Images de page
PDF
ePub

le palais proprement dit, étaient à peu près achevés et couverts de peintures. El-Hadj-Ahmed, fier de son œuvre, voulut la faire admirer à ses sujets et jouir de leur surprise. Quand les femmes eurent été reléguées dans les appartements les plus reculés, on ouvrit au public les portes du palais.

Toutes les galeries étaient splendidement illuminées, on s'y promenait librement, on s'y reposait sur des tapis; du café, des gâteaux et des sorbets étaient distribués à tout venant; des musiciens, placés par groupes dans les cours et les jardins, faisaient entendre alternalivement leurs symphonies. Cette fête, présidée par le bey et par les hauts dignitaires de son gouvernement, dura trois jours et trois nuits. Mais ce fut la seule fois que des étrangers mirent le pied dans le harem, et furent admis sans distinction à le visiter.

Après la prise de la ville, en 1837, les Constantinois professaient encore pour ce lieu un respect qui allait jusqu'à la superstition. Les personnages les plus influents, dit M. le docteur Baudens, s'efforçaient de nous faire partager ce culte bizarre. Ils nous détournaient de pénétrer dans le palais, persuadés que la colère céleste ne tarderait pas à châtier les profanateurs.

IV.

Passant de l'ensemble aux détails, nous allons mainnant parcourir l'édifice et essayer de décrire tout ce qui mérite d'être signalé. Mais, afin de rompre la monotonie

que présentent ordinairement les descriptions de cette nature, nous aurons le soin de raconter les épisodes dont chaque partie que nous visiterons aura été le théâtre; on verra que ce palais est peuplé de souvenirs, d'une époque relativement toute récente, il est vrai, mais qui n'en sont pas moins dignes d'intérêt.

Aux renseignements que j'ai pris moi-même sur place, en interrogeant des personnes initiées aux mystères du harem d'El-Hadj Ahmed, je joindrai plusieurs faits authentiques, que j'ai eu la bonne fortune de trouver dans une ancienne brochure, publié par M. le docteur Baudens, médecin en chef de l'armée expéditionnaire, en 1837 (1). Je relaterai également une série d'anecdotes curieuses, dues à la plume féconde de M. Félix Mornand (2), d'après les récits d'Aïcha, favorite du bey, dont nous aurons souvent l'occasion de parler.

Tous ces renseignements, dont il m'a été facile de vérifier l'exactitude, ne sauraient mieux trouver leur place que dans cette monographie, et j'ose espérer que les écrivains nommés plus haut ne me sauront pas mauvais gré d'avoir mis leurs travaux à contribution, en y puisant des documents utiles.

Les démolitions exécutées depuis une quinzaine d'années pour l'agrandissement de la place ont fait perdre au palais une grande partie de ses dépendances. Au moment de notre arrivée à Constantine, plusieurs corps de logis masquaient presque entièrement la façade actuelle et atténuaient un peu sa lourdeur et sa rigidité.

La porte d'entrée principale du Derb se trouvait alors,

(1) Relation de l'expédition de Constantine, par le docteur Baudens, 1838. (2) El-Hadj Ahmed bey, par M. Félix Mornand, Revue de Paris, 1844.

ainsi que nous l'avons déjà dit, à hauteur de l'escalier qui aboutit actuellement de la place à l'église. Après avoir franchi celte porte, on pénétrait dans une ruelle mal pavée et encadrée par plusieurs maisons de médiocre tenue servant au logement des mameluks préposés à la garde du bey, des nègres, ses esclaves, et d'une foule d'autres serviteurs des deux sexes, dont le kaïd Driba, sorte de majordome, avait la haute surveillance. La vie des beys était une existence d'alarmes perpétuelles. Ils n'avaient de valeur politique et de sécurité personnelle qu'autant qu'ils étaient entourés d'un personnel de gardes et de serviteurs suffisamment nombreux pour les rendre respectables.

Un couloir à droite conduisait à la mahakma, salle d'audience, où le bey recevait les dignitaires et les plaignants.

A gauche, la ruelle tournait à angle droit, et aboutissait à Dar oum en-Noun, dans laquelle habitaient la mère et les quatre femmes légitimes du bey.

En face du point où les deux passages dont nous venons de parler, se bifurquaient, existait la porte qui aujourd'hui encore donne accès au palais. C'était l'entrée du harem. Cette porte n'a rien de monumental; elle est encadrée d'un chambranle et d'une corniche cintrée en marbre, que surmonte un fronton à écusson dans le genre italien, sans nulle inscription. Elle donne accès dans un vestibule, qui a lui-même deux portes à peu près parallèles, ouvrant dans les cours intérieures.

La première cour, dans laquelle on entre après avoir traversé ce vestibule, se lie de trois côtés différents aux autres cours, par la suppression, dans la longueur des

lignes communes, des murs de séparation, qui sont remplacés par des colonnades; d'un point de vue central et par les échappées, qui sont ménagées d'une cour à l'autre, l'œil peut, suivant différentes directions, rencontrer dans un même plan trois ou quatre colonnades de file.

Les trois cours principales portent aujourd'hui des dénominations, indiquant leur affectation celle du logement des généraux commandant la province, des bureaux de l'état-major et de la direction du Génie. Ces différentes désignations serviront à nous reconnaître au milieu de ce dédale de constructions et de cette forêt de colonnades.

Je vais, maintenant, entraîner le visiteur à ma suite, et lui faire parcourir le pavillon du commandant de la province, qui, en entrant, se présente d'abord devant

nous.

A gauche, se voit le logement dit des. généraux inspecteurs. Il a trois entrées sur les galeries qui entourent les jardins. Ses portes, couvertes de sculptures dans le genre oriental, méritent de fixer l'attention. Mais, comme il serait fastidieux de décrire la forme et les ornements de chacune de celles devant lesquelles nous passerons, nous allons, dès à présent, dire quelques mots à leur sujet :

S'étant arrogé la faculté de prendre à autrui tout ce qui lui convenait, le bey put faire son choix à loisir, et n'employer que ce qu'il y avait de mieux. De cette manière, il amassa dans son palais les échantillons les plus curieux et les plus riches de la menuiserie et de la sculp

ture indigènes (1). On y remarque des panneaux en vieux chêne ou en cèdre, ajustés avec art les uns aux autres, et que relèvent des arabesques assez bien fouillées, s'enchevêtrant avec beaucoup de goût, et offrant des motifs d'ornement que nos artistes ne dédaigneraient certainement pas. Ce sont autant de travaux de patience, qui ont dû être payés très cher par leur véritable propriétaire. D'autres portes sont formées par une série de petites plaques carrées, toujours en chêne ou en cèdre, contenant des rosaces élégantes ou des losanges disposés alternativement en échiquier. Des baguettes en cèdre couvertes de vives couleurs, vert, rouge ou jaune, circonscrivent les sculptures et les rehaussent encore davantage. Quelques portes sont ornées de moulures peintes, jadis, vert et or, d'un très bel effet. Les chambranles, en rapport avec le reste, forment un encadrement festonné et ogival, très gracieusement découpé.

Ces portes sont généralement à un ou deux battants, fortes et massives; des verrous en bois, d'un agencement très-original, les ferment intérieurement. Ce qui est surtout curieux, ce sont les serrures des chambres affectées au logement des femmes par un raffinement de prévoyance, on y avait adapté un timbre très-vibrant qui résonnait à la moindre rotation de la clef, de manière à signaler au jaloux satrape l'étranger téméraire qui aurait tenté de pénétrer dans le gynécée... Où les précautions allaient-elles se nicher?

(1) Un nommé El-Biskri, dont le dévouement pour El-Hadj Ahmed bey ne faillit pas jusqu'au dernier moment, possédait à Constantine la maison où loge actuellement l'Intendant divisionnaire. Le bey voulant, dit-on, récompenser sa fidélité, lui fit cadeau des belles portes sculptées et des autres objets de prix qui ornent encore cette maison.

« PrécédentContinuer »