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VIII

Dès l'arrivée des Arabes en Afrique, les Juifs qui habitaient le pays eurent toute liberté pour l'exercice de leur culte; d'autant plus qu'un grand nombre de leurs coréligionnaires d'Arabie accompagnaient l'armée d'invasion et élisaient domicile dans les différentes villes conquises. Sous les premiers gouverneurs arabes, lieutenants des khalifes en Afrique, ils purent demeurer paisibles et tranquilles, et exercer toutes sortes d'industries et de commerces. Nous les trouvons traités à peu près sur le même pied que les Arabes aux temps de Moaviah ben Hodeïdj, d'Okbah ben Nafé, de Hassan ben el-Noman, de Moussa ben Nossaïr, de Mohammed ben Yezid, de Yezid hen Ali Moslem et des autres gouverneurs. - Ils purent aussi s'adonner en toute liberté à l'étude de leur religion et de toutes les autres sciences. Aussi, à peine Kaïrouan fut-elle fondée, qu'elle devint le centre d'un grand mouvement intellectuel parmi les Juifs, et le siége d'une école très-célèbre de médecins, de grammairiens et d'autres savants. C'est ainsi que nous trouvons deux célèbres médecins portant le même nom, Ishaq ben Amram (probablement le grand-père et le petit-fils), attachés à la personne de Ziadet Allah I et à celle de Ziadet Allah III. Celui qui vécut sous ce dernier prince est surtout célèbre comme fondateur de la fameuse école de médecine de Kaïrouan, et attira à ses leçons de nombreux élèves des pays les plus éloignés. Il est cité avec beaucoup d'éloges par les auteurs arabes, et a une belle page dans les dictionnaires.

des médecins célèbres d'Ibn Abi Osaïbi et de Léon l'Africain. A la mort de ce médecin, son disciple, Ishaq ben Suleiman Israéli lui succéda à la cour de Ziadet Allah III, dernier prince des Aghlabites, et fut aussi attaché à la personne d'Abou Abd Allah, fondateur de la dynastie des Obéïdites ou Fathimites [on prétend même que ce prince était le fils d'une femme juive (1).] « Sa mort, dit M. Cher

bonneau, fut causée par une potion de colchique éphé> mère. Un Juif, nommé Isaac (c'est notre médecin Ishaq › ben Suleiman Israéli), l'en dissuadait en lui disant qu'a› près le repos que ce breuvage lui procurerait, les dou› leurs devaient redoubler et l'emporter au tombeau. Il > refusa de le croire, et la mort succéda au calme qu'il › avait obtenu (2). »

Quelques auteurs prétendent que ce médecin vivait encore sous le règne du troisième prince Fathimite Ismael al-Mançour, et qu'il fut le médecin de ce prince (3). Ibn Abi Osaïbi dit, en effet, que ce médecin aurait dépassé l'âge de cent ans (4). Ishaq ben Suleïman eut une école très-suivie, et de nombreux disciples lui durent leur instruction, entre autres une des plus grandes autorités médicales arabes, Abou Djaffar Ibn Adjezzar. Il composa un grand nombre d'ouvrages de médecine en arabe (5), et

(1) V. Abulféda, Ann. moslem., ed. Reiske, I, 231.

(2) Journ. asiat., an. 1855, p. 541.

(3) Ibn Alathir et Ibn Khaldoun, cités par M. Munk, dans sa Notice sur Ibn Djannah et quelques grammairiens du Xe siècle, etc., p. 44.

(4) Ibn Abi Osaïbi, ch. XIII, 2.

(5) V. Carmoly, Histoire des médecins juifs, qui cite :

10 Traité des fièvres;

Traité des médicaments simples et des aliments;

presque tous sur la demande du prince Abou Abd Allah. On regarde son Trailé des fièvres comme supérieur à tout ce qui avait été fait jusqu'à lui, et aussi comme le meilleur de ses ouvrages. Lui-même en avait cette opinion, car, des amis lui ayant fait des reproches de ce qu'il ne se mariait pas et de ce que, par suite, son nom ne serait pas perpétué, il leur répondit que ses ouvrages de médecine, et particulièrement le Traité des fièvres, conserveraient mieux sa mémoire que ne le feraient des enfants. Ses ouvrages furent, en effet, traduits en hébreu, en latin et en espagnol. Sept de ces traités, traduits par le moine bénédictin Constantin, de Carthage, au milieu du XIe siècle, ont été publiés à Leyde en 1515-16, avec le titre d'Opera Isaci. L'éditeur reproche à Constantin de s'être approprié plusieurs autres travaux de ce médecin qu'il n'avait fait que traduire. On sait, en effet, que le célèbre Viatique de Constantin, sur lequel Gérard de Solo fit un commentaire, n'est autre qu'un cours pratique sur presque toutes les

3 Traité des aliments et des remèdes;

40 Traité de l'urine;

o Introduction à la mé lecine;

6o Traité du pouls;

7° Traité de la thériaque ;

8 Traité de l'hydropisie.

Les quatre premiers sont cités dans le Dictionnaire des Savants de Zanah ben Ahmed el-Kurthubi :

كتاب الحمات

كتاب الاستفضات

کتاب اغذيات كتاب البول

maladies composé par Ishaq ben Suleïman Israéli (1). Il fit aussi plusieurs ouvrages de philosophie et de logique (2) et un commentaire sur le premier chapitre de la Genèse, assez renommé et souvent cité, mais dont il n'existe plus que quelques fragments.

IX

Pendant que les Aglbabites régnaient sur la partie de l'Afrique qui s'étend depuis Tlemsen jusqu'aux confins de la Tripolitaine, la dynastie des Édrissites s'établissait dans l'ouest du Maghreb ou Maghreb el-Aqsa. Édris, dès qu'il fut proclamé émir, persécuta les Juifs et les chrétiens, qui, au dire d'Abul Hassan (3), étaient fort nombreux dans ce pays, et les força à embrasser l'islamisme; puis il chercha à s'emparer de ceux qui se trouvaient en Mauritanie. Là, Juifs et chrétiens occupèrent des forteresses et des châteaux-forts, et tentèrent de résister à l'émir; mais ils furent vaincus et forcés de se convertir. Ceux qui ne voulurent pas accepter l'islamisme furent en partie tués, en partie jetés en prison.

(1) Carmoly, ibid.

(2) Carmoly, ib. On cite de lui:

Traité des éléments;

Traité des définitions et des prescriptions ;

Traité de la philosophie;

Le Jardin de la philosophie;

Introduction à la logique.

V. aussi Munk, Notice sur Ibn Djannah, etc., I. c.

(3) Abul'Hassan, Hist. des rois de Mauritanie, trad. Dombay. Agram, 1794, t. I, p. 18.

Lorsqu'on fonda la ville de Fez, qui devint la capitale des Edrissites, comme Kairouan fut celle des Aghlabites, le prince accorda des quartiers dans la nouvelle cité aux différentes nationalités. Il donna aux Juifs la permission de s'établir dans la ville, et leur assigna le quartier Aglun ou Aghlen, jusqu'à la porte Hisn Sadou. Sa générosité en cette circonstance n'était pas tout à fait désintéressée, car il leur imposa une redevance annuelle assez lourde, qui ne pouvait pas être moindre de trente mille dinars (1).

Fez devint, pour les Juifs de cette partie de l'Afrique septentrionale, un autre centre, où de brillantes écoles s'établirent et d'où sortirent un grand nombre de savants et de rabbins, qui firent connaître le nom de cette ville. dans le monde israélite.

C'est dans le royaume d'Édris que vécut le grammairien lehouda ben Karîsch, né à Tahort, au Maroc (peutêtre bien Tiaret). Il fut le premier grammairien qui appliqua à l'étude de la langue hébraïque la comparaison des autres langues. Il fit de nombreux rapprochements avec l'arabe, l'araméen, le persan et même le berbère (2). Il adressa à la communauté juive de Fez une lettre dans laquelle il recommande l'étude de l'araméen; il y explique plusieurs mots difficiles de la Bible par des racines berbères et arabes (3), et cite un certain nombre de passages du Coran.

(1) Ibid., p. 52; Routh el-Karias, trad. Beaumier, p. 55.

(2) On cite de cet auteur le Livre de relations ou de rapports. V. Munk, notice déjà citée, p. 60.

(3) V. quelques fragments donnés par Schnurrer dans Allgemeine Bibliothek der biblischen Litteratur d'Eichhorn, le année, p. 951-980. L'abbé Bargès et Goldberg ont publié cette Jettre en entier. Paris, 1857.

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