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contre les Juifs. Ce Père de l'Église semble parler avec un grand dépit, lorsqu'il dit que, a sous l'empire de NéD ron, les Juifs étaient reçus dans toutes les terres de

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l'empire, et que les vaincus avaient donné la loi aux vainqueurs (1). » Il composa même un ouvrage spécialement consacré à sa polémique contre les Juifs. Dans ce travail, intitulé: Altercatio Ecclesiæ et Synagogæ, nous trouvons un passage qui peint admirablement l'état des Juifs de l'Afrique au commencement du Ve siècle :

« Je ne suis, dit la Synagogue, ni esclave ni servante » des chrétiens, puisque mes fils ne sont pas faits pri» sonniers, puisque, au lieu de leur faire porter les fers et les autres marques de servitude, on leur laisse la » liberté de naviguer et d'exercer leur commerce.

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› — Tu es obligée, répond l'Église, de payer le tribut » aux chrétiens; un Juif ne peut prétendre à l'empire, » ni devenir comte ou gouverneur de province; il ne > peut entrer dans le sénat, ni faire partie de la milice. » On ne le reçoit pas même aux bonnes tables; et s'il » conserve le moyen de gagner sa vie, c'est uniquement » pour l'empêcher de mourir de faim (2).

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D'après cela, saint Augustin dut voir avec regret, sur la fin de ses jours, la liberté d'exercer publiquement le culte juif, accordée par les Vandales qui s'emparèrent de l'Afrique, et qui, partisans du schisme d'Arius, faisaient plus la guerre aux chrétiens qu'aux Juifs. Aussi, pendant toute la durée de la domination vandale en Afrique, pendant un siècle environ, les Juifs jouirent de toute la tolérance possible pour l'exercice de leur religion; et, en

(1) De Civitate, 1. VI, ch. xt.

(2) Altercatio Eccles. et Synag., append.

payant un impôt, ils purent en toute liberté s'adonner au commerce et à l'industrie, sans aucune restriction, sans aucune crainte. Mais, dès que l'Afrique retomba sous le pouvoir des empereurs, les persécutions religieuses contre les Juifs recommencèrent. Les lois dures et sévères de Justinien durent être mises à exécution en Afrique, aussi bien qu'elles l'étaient dans tout le reste de l'empire byzantin. Aussi, dès le 1er août 535, Salomon, qui avait remplacé Bélisaire dans le commandement de l'Afrique, recevait les ordres de l'empereur, où, entre autres, se trouvait celui de retirer aux propriétaires toutes les synagogues, aussi bien que les églises des Ariens et les temples des païens, et de les approprier au service du culte chrétien (1). On cherchait autant que possible à les empêcher de pratiquer leur religion publiquement, et un grand nombre de défenses et de restrictions étaient, dans ce but, apportées à l'exercice de leur culte. Cependant on n'alla pas jusqu'à employer la force pour les obliger à sc convertir, comme on l'avait fait à l'égard des Samaritains. Une seule ville, à l'extrémité de la Pentapole, tout près des Syrtes, Borion, fut contrainte d'embrasser le christianisme. Les Juifs qui habitaient cette ville faisaient remonter leur arrivée dans le pays à l'époque du roi Salomon, et attribuaient même à ce roi la construction de leur synagogue; aussi bien que les autres habitants de la cité, ils avaient toujours vécu libres et indépendants, sans payer d'impôt; « et il n'y était jamais entré, dit Procope, aucun officier de finances ni percepteur de taxes, tant sous la domination romaine que sous celle des Vanda

(1) Nouvelles de Justinien, XXXVI.

les (1) ». Il faut, sans doute, que cette ville ait fait une résistance bien vigoureuse à la marche de Bélisaire, pour qu'on l'ait obligée, seule dans toute l'Afrique, à embrasser le christianisme. Les temples païens et les synagogues furent convertis en églises chrétiennes.

VII

A partir du moment où les indigènes commencèrent à lutter contre les Byzantins, jusqu'au moment de l'arrivée des musulmans dans le nord de l'Afrique, nous n'avons aucun renseignement précis sur la situation des Juifs dans le pays et sur leurs relations avec les tribus qui l'occupaient. On a prétendu que leur nombre avait considérablement diminué pendant ce laps de temps. Cependant il n'en serait rien, si nous en croyions un chroniqueur arabe au contraire, leur nombre se serait accru par l'arrivée d'une partie de la population juive de Khaibar, qui, lorsque Mahomet s'empara de cette ville en 628, l'avait sans doute abandonnée pour ne pas apostasier. L'ouvrage manuscrit du chroniqueur arabe dont nous parlons est

intitulé : Kitab cl-adouani (__ilgvall _L:S) (2), et

(1) Procope, De ædificiis, VI, 2.

(2) Ce manuscrit, inédit encore, a été envoyé par Si Ali bey, caïd de Tuggurt, à M. Féraud, secrétaire de notre Société, qui doit le publier prochainement, et qui, avec son obligeance habituelle, a bien voulu nous le communiquer et nous autoriser à prendre les extraits que nous donnons ici. Cet ouvrage, dont l'exemplaire en question n'est qu'une copie récente, doit avoir été composé à une époque assez reculée, qu'il ne nous est pas possible de préciser. Sa rédaction prouve que, comme celui de Kaïrouani, il est simplement un recueil des légendes et des traditions qui étaient répandues à cette époque parmi les Arabes du pays. Il cite, d'ailleurs, assez souvent, les personnes de qui il tient ses renseignements.

traite surtout de l'origine des peuples habitant l'Ifrikiah, ou la partie de l'Afrique depuis Bougie jusqu'à l'Égypte. L'auteur, à plusieurs reprises, attribue à des peuplades entières et à de grandes fractions de population une origine exclusivement juive. Voici quelques extraits de ce manuscrit concernant les Juifs :

« Les gens de Tripoli ou Khemn

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et leurs alliés

» Les gens du Sahara descendent de Adjoudj ben Tikran

» le Juif jab (1). Ils habitaient

اجوج

اليهودى
بن طفران

jadis Khaibar: c'est ce que m'a raconté Salem ben › Adman.

» La force des ksour du Sahara consistait dans les » chevaux; ils étaient Juifs, des Beni Abd ed-Dar.

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>> Tous ceux d'entre les Juifs, les Cophtes et les chré>> tiens qui embrassèrent la religion musulmane, devinrent

(1) Il est probable que ces peuples sont ceux que l'on désigne aujourd'hui sous le nom de TOUAREG, convertis depuis à l'Islam et qui font la guerre sainte aux Nègres; car El-Kaïrouani (p. 174 de la traduction Pelissier et Remusat) dit que « le premier qui régna dans le pays des Touaregs, dans le « désert, fut Biouloutan ben Tiklan. » En rapprochant de cette tradition celle que donne le Roudh el-Kartas, nous les trouvons presque identiques « Le premier, y est-il dit, qui régna au désert fut Tloutan ben Tyklån le «Senhadja, le Lemtouna; il gouvernait tout le Sabara. » (Trad. Beaumier, p. 164). Un peu plus loin, l'auteur ajoute que les tribus qui habitaient les environs de la ville de Teklessin (dans le désert) étaient arabes et pratiquaient la religion juive; que Teklessin est habitée par la tribu Senbadja des Beni Ouarith, qui sont gens de bien et suivent la Souna, qui leur fut apportée par Okba ben Talah el-Fehery, à l'époque de sa venue dans le Maghreb (Ibid., p. 165).

» les alliés des Koréïschites, surtout des Beni Hachem..

› Les ksour de Frikiah, en long et en large, étaient › habités par des Juifs et des chrétiens soumis aux Beni › Hachem

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› Quand les Troud s'établirent à Souf, il y existait des › redir (cavités pleines d'eau) du Nil. Il y avait là des › gens descendant du roi David (sur lui soit le salut!).

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Nous trouvons d'ailleurs, dans un autre ouvrage arabe, un fait qui prouverait assez que le nombre des Juifs n'avait pas diminué en Afrique. « J'ai entendu dire, raconte » El-Kaïrouani (1), qu'un Juif avait jadis commandé à > Ben Zert (Bizerte). Plus tard, lorsque cette ville eut été › réduite sous le joug, les habitants des environs, pour › la punir de l'insolence qu'elle avait montrée au temps » de sa prospérité, choisirent le samedi pour jour du » marché, afin que les citadins ne pussent y faire leurs > approvisionnements. »

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Ce fait par lui-même, et les derniers mots surtout, prouvent que la majeure partie des habitants de Bizerte, à l'époque de l'arrivée des musulmans en Afrique, appartenait à la religion juive.

Enfin, durant ce laps de temps, il y eut plusieurs immigrations de Juifs des autres pays, particulièrement celle de 612 ou 613, lorsque Sisebut, roi des Goths, s'empara d'un grand nombre de villes romaines en Espagne et en chassa tous les Juifs, qui se retirèrent alors sur les côtes d'Afrique.

(1) El-Kaïrouani, trad. Pelissier et Remusat, p. 42.

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