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LES JUIFS

DANS L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE.

I

Les histoires et les chroniques sont généralement assez silencieuses pour tout ce qui concerne l'état des Juifs des temps anciens dans l'Afrique septentrionale, dans ce pays que Strabon généralise sous le nom de Libye. — Qu'auraient-elles eu à enregistrer? Quelques persécutions, quelques éclaircies de beaux jours de paix, de tranquillité et de tolérance. Pour les Arabes comme pour les chrétiens, en Afrique aussi bien qu'en Europe, les Juifs n'avaient pas assez d'importance pour qu'on prît note de tous les événements qui les concernaient. Ce n'est que de loin en loin qu'on trouve quelques faits, quelques réflexions et idées à leur sujet : les faits sont généralement défigurés, les réflexions et les idées le plus souvent erronées et fausses. - Et cependant, en Afrique, aussi bien que dans les autres pays, ils ont apporté leur contingent dans le mouvement des affaires et des idées. Ils ont pris part aux événements publics dans bien des circonstances. Si nous en parlons dans ce Recueil, spécialement affecté aux grandes questions d'archéologie et d'histoire, c'est

que nous les trouvons souvent jouant un rôle sur la scène politique, servant presque toujours d'intermédiaires entre l'Europe et l'Afrique, soit quant aux idées et aux sciences, soit quant aux affaires commerciales. D'ailleurs, les quelques grandes immigrations des Juifs dans ce pays ont chaque fois amené à leur suite certains faits importants à signaler. Enfin, ne serait-ce que par les services que les Juifs ont rendus au commencement de la conquête de ce pays par nos troupes, en acclamant avec bonheur l'arrivée des Français, leurs libérateurs, et en leur servant toujours d'intermédiaires et d'interprètes, ils mériteraient encore qu'on s'occupât d'eux. Bien que les faits connus. soient assez rares, ils n'en prouvent pas moins qu'ils n'ont pas toujours été dans l'abaissement et dans l'ignorance qui existaient au moment de notre arrivée en Algérie.

II

On a voulu faire remonter l'origine des Juifs de l'Afrique à l'époque de la dispersion des dix tribus formant l'ancien royaume d'Israel; mais le voile, qui a toujours couvert cette migration extraordinaire, n'a pas été déchiré jusqu'ici, et les différentes opinions qui veulent retrouver les vestiges des dix tribus, soit en Abyssinie ou dans la Cafrerie, soit dans l'Afrique septentrionale, soit enfin en Chine ou dans les Indes, n'ont jamais été que de pures suppositions, sans aucune preuve certaine et historique à l'appui.

Mais si l'on ne peut sans arbitraire faire remonter à une

aussi haute antiquité l'arrivée des Juifs en Afrique, ils n'y existaient pas moins déjà plusieurs siècles avant l'ère chrétienne. Lorsque Ptolémée Soter, fondateur de la dynastie des Lagides, s'empara de Jérusalem (vers l'an 320 avant J.-C.), il transporta plus de cent mille Juifs de Palestine en Afrique. Une partie s'établit en Égypte, et surtout à Alexandrie, de récente fondation; une autre partie fut envoyée dans la Cyrénaïque et dans la Libye (1). Ils s'étendirent dans tout le pays environnant et y jouirent, comme en Égypte, des mêmes droits que les Macédoniens ou Grecs. C'est ce qui engagea plus tard beaucoup de leurs compatriotes à émigrer volontairement vers ces pays (2).

Lorsqu'après la mort d'Apion, dernier roi de la Cyrénaïque et de la Libye, ces provinces passèrent sous la domination romaine, les Juifs, jusqu'alors paisibles et tranquilles, n'eurent pas à se plaindre du changement de gouvernement. Rome et ses représentants les protégeaient contre certaines tendances des Grecs à les maltraiter et à les tourmenter. Plusieurs documents, qui sont indubitablement de l'époque qui précède la destruction du temple. de Jérusalem par Titus (70 ans ap. J.-C.), nous en donnent des preuves.

Le premier est une inscription grecque gravée sur une colonne de marbre blanc. Cette colonne, trouvée en Cyrénaïque, demeura pendant longtemps à Tripoli, en Barbarie, et fut ensuite transportée à Aix, en Provence. Voici la traduction de l'inscription, telle qu'elle est généralement donnée :

(1) Josèphe, contra Appio., II, 4.

(2) Josèphe, Antiquités, XII, 1.

L'an 55, le 25 de Paophi, en l'assemblée de la fête > des Tabernacles, sous l'archontat de Cléanthe, fils de › Stratonicus, d'Euphranor, fils d'Ariston, de Sosigène, > fils de Sosippe, d'Andromaque, fils d'Andromaque, de » Marcus Lelius Onasion, fils d'Apollonius, de Philonide, » fils d'Agémon, d'Autoclès, fils de Zénon, de Sonicus, > fils de Théodote, et de Joseph, fils de Straton;

» D'autant que Marcus Titius, fils de Sextus, de la tribu > Emilia, personnage excellent, depuis son avénement à » la préfecture, s'est comporté dans les affaires publiques » avec beaucoup d'humanité et d'intégrité, et qu'ayant › marqué dans sa conduite toutes sortes de bontés, il > continue d'en user de même, et non-seulement se mon> tre humain dans les choses générales, mais aussi à

l'égard de ceux qui recourent à lui pour leurs affaires > particulières, traitant surtout favorablement les Juifs » de notre synagogue, et ne cessant de faire des actions > dignes de son caractère bienfaisant ;

» A ces causes, les chefs et le corps des Juifs de Béré» nice ont ordonné qu'il serait prononcé un discours à »sa louange, et que son nom serait orné d'une couronne > d'olivier avec le lemnisque, à chacune de leurs assem» blées publiques et à chaque renouvellement de lune; » et qu'à la diligence desdits chefs, la présente délibéra» tion soit gravée sur une colonne de marbre de Paros, » qui sera érigée au lieu le plus distingué de l'amphi> théâtre.

» Voté à l'unanimité. »

M. d'Avezac (1), dans son Afrique ancienne, à la suite de la reproduction de cette inscription, dit : « Il s'agit, (1) D'Avezac, Afrique ancienne, p. 123, a. b.

comme on voit, d'actions de grâces décernées par les Juifs de Bérénice au gouverneur romain Marcus Titius, à raison de sa conduite pleine d'humanité envers eux. Fréret pense que la mission de Titius émanait d'Antoine, et se liait à la proclamation de la jeune princesse sa fille dans le royaume qui venait de lui être attribué (la Cyrénaïque). D'autres critiques ont opté pour une époque plus ancienne, et d'autres pour une date plus moderne la question dépend de l'ère à laquelle doit être rapportée l'année 55 inscrite en tête de ce décret; les uns optent pour le commencement de la domination romaine en Cyrénaïque, les autres pour la réforme législative de Lucullus, ceux-ci pour la réduction en province, ceux-là pour l'adoption du calendrier Julien à Alexandrie. Chaque hypothèse a ses arguments et ses difficultés, et il est difficile. de prendre un parti définitif au milieu de toutes ces incertitudes. D

Josèphe, dans ses Antiquités (1), parle de différents décrets émanés des empereurs ou des gouverneurs romains en faveur des Juifs de la Libye et de la Cyrénaïque. A cette époque, les Juifs de ces provinces envoyaient à Jérusalem de l'argent pour contribuer aux dépenses du temple et des sacrifices. Les Grecs voyaient cela d'un mauvais œil, et les accusaient d'accaparer l'argent et de l'exporter au détriment du pays même. Les Juifs, maltraités à ce sujet par les Grecs, se plaignirent à Auguste. Ce prince écrivit dans les provinces qu'il voulait que les Juifs fussent maintenus dans leurs priviléges. César Auguste, dans la lettre que Josèphe (2) nous a conservée,

(1) Josèphe, Ant., 1. XVI, ch. x.

(2) Josèphe, ibid.

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