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décantation. Le texte d'El-Bekrî est, ici encore, d'une précision remarquable 1.

« Le plus grand et le plus utile de ces bassins est situé près « de la Porte de Tunis et doit sa construction à Aboù Ibrâhîm « Ahmed, fils de Mohammed l'Aghlabide. Il est de forme cir«culaire et d'une grandeur énorme. Au milieu s'élève une tour « octogonale, couronnée par un pavillon à 4 portes... Immé«<diatement au Nord du même bassin s'en trouve un autre de «< petite dimension nommé El-Fisqiya « le réservoir », qui reçoit «<les eaux de la rivière, quand elle coule, et amortit la violence « de leur cours. Quand les eaux le remplissent jusqu'à la hau«teur de 2 toises, elles s'écoulent dans le grand bassin par <<< une ouverture que l'on a nommée Es-Sarh, « la décharge »>. «La Fisqiya est un ouvrage magnifique et d'une construction << admirable. >>

Quelques détails suffiront pour compléter la description du

contrefort

intérieur.

Fig. 24. Kairouan.
Aghlabides.

1

contrefort
extérieur

Bassin des
Coupe.

vieux géographe. Cette belle construction subsiste toujours. Les murs des bassins sont épaulés à l'intérieur comme à l'extérieur par des contreforts arrondis. Le tour et les contreforts extérieurs sont en moellons, les contreforts intérieurs en pierres de taille bien appareillées. Un enduit épais recouvre le tout. Le grand bassin circulaire compte 48 doubles contreforts; il est orné, au centre, d'une pile formée d'un noyau cylindrique cantonné de quatre colonnes engagées. Cette base pourrait en somme supporter la lanterne octogonale dont parle El-Bekrî. Le bassin de décantation n'est pas circulaire : c'est un polygone à 17 côtés; chaque angle est occupé par un contrefort intérieur et un contrefort extérieur. Les deux bassins communiquent par une ouverture en plein centre située à quelques mètres au-dessus du fond. Du côté du grand bassin opposé au bassin de décantation, l'eau, s'écoulait dans un citerneau voûté. C'est là sans doute qu'aboutissait le conduit de Cherichera

1 Bekri, 26, tr. 59-60.

et l'eau des montagnes s'y mélangeait avec l'eau épurée des bassins, soit qu'elle s'emmagasinât dans le grand, soit qu'elle restât dans le citerneau pour y être puisée, ou qu'elle s'écoulât vers la ville.

1

Les bassins de Kairouan ont été réaménagés et, il y a peu de temps encore, contenaient de l'eau. Le bassin de Raqqâda 1 est maintenant à sec. Il était alimenté par un aqueduc qui y amenait l'eau des pentes voisines et celle de l'Oued Zeroûd après les pluies. Comme ceux de Kairouan, il présente des murs de blocage revêtus d'enduit et épaulés de contreforts arrondis. I en diffère par sa forme générale, qui est celle d'un quadrilatère trapézoïde dont le plus grand côté n'a pas moins de 160 m. et qui s'étale sur 1900 m. carrés. Les 180 contreforts sont disposés de part et d'autre des murs, en sorte que chacun d'eux est placé dans l'intervalle de deux contreforts de la paroi opposée. Vers le centre, un massif de blocage entourait un puits et était peut-être surmonté d'une pile analogue à celle du bassin de Kairouan. Les auteurs de l'Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie ont relevé un grand nombre de réservoirs du même genre. Les uns, dans les environs de Raqqâda ou de Qaçr el-Qadim, sont pour la plupart carrés et de dimensions réduites, de 2 à 12 mètres de côté. Les murs sont en blocage et consolidés par des contreforts extérieurs en demi-cercle ou rectangulaires. En dehors de la banlieue kairouanaise, on en a signalé d'autres dans l'arrière-pays du Sahel de Sousse à Sfax, notamment sur les routes qui rayonnent de Kairouan vers Sousse ou vers Gafça 2. Beaucoup sont circulaires et munis de contreforts arrondis. Ils présentent souvent le groupement déjà décrit : bassin de décantation, grand réservoir et citerneau voûté. L'un d'eux, la Fisqiya Henchir Maghfoûra, est polygonal et apparaît très semblable au bassin de décantation de Kairouan.

On les a naturellement attribués aux Romains. Cependant, une question se pose à leur sujet, analogue à celle que suggèrent plusieurs forteresses considérées comme byzantines. En présence de ces ouvrages anonymes et sans date, si pareils à des ouvrages datés et attestés par des inscriptions ou par des textes comme

1 Cf. Enquête sur les installations hydrauliques, dirigée par P. Gauckler, I, 265-266.

2 Cf. Enquête..., I, pp. 42-43, 44-45, 46-47, 77, 114, 265-266, II, 23, 59, 133.

œuvres musulmanes, n'est-il pas légitime d'en restituer tout ou partie aux gouverneurs arabes, aux émirs aghlabides et à leurs agents, qui utilisèrent pour leurs fondations la main-d'œuvre recrutée dans le pays ?

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Avant de clore cette étude des monuments de l'époque aghlabite, il paraît utile de présenter quelques remarques sur les matériaux et les procédés de construction qui y sont mis en œuvre. Les uns et les autres sont d'une assez grande variété. Les bâtisseurs du 1x siècle ont employé le pisé, la brique crue, la brique cuite et la pierre de taille.

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Pisé et briques crues. Le pisé (tâbîya), mélange de terre et de chaux pilonné entre deux panneaux de bois, paraît avoir été d'un usage courant dans les constructions civiles et militaires. On l'emploie seul, ou en combinaison avec la brique crue (toûb), qui n'est que de la terre dans laquelle a été incorporée de la paille hachée, comprimée dans un calibre et séchée au soleil. Des textes nombreux nous permettent d'affirmer que, presque partout où les Musulmans ne trouvèrent pas des fortifications préexistantes adaptées aux besoins de leur stratégie, ils bâtirent d'abord les murs des villes en pisé et en briques crues et que cette pratique se poursuivit jusqu'au x et au XIe siècle. A Sort, en Tripolitaine, à Qastilîya, dans le Djerîd, à Sfax, à Tunis malgré l'abondance de pierres taillées qu'offrait Carthage, à Tobna, à Msîla, à Belezma et ailleurs, les géographes mentionnent des remparts de pisé et de toûb, ou de pisé seul. Nous lisons dans El-Bekrî que le mur primitif de Kairouan, construit en 144/761, était en briques crues et mesurait 10 coudées de large 1. La base devait être en pisé. Elle apparaît

1 Bekrî, 24, tr. 57.

encore au niveau du sol, notamment, à l'angle Sud-Est de la ville. La brique crue et le pisé sont essentiellement les matériaux de la seule ruine qui marque l'emplacement de 'Abbâssiya, la résidence aghlabite. Trois ans avant la chute de la dynastie, le dernier des Aghlabides faisait reconstruire le mur de Raqqâda en briques crues et en pisé. Un texte d'histoire religieuse met en scène un saint personnage kairouanais du 1x siècle, dont le métier était de fabriquer des briques crues auxquelles il incorporait de la paille hachée 1.

Les fouilles de 'Abbassiya nous ont révélé l'aspect et le mode d'emploi de ces matériaux. Le pisé entre dans la composition

43

Fig. 25. 'Abbassiya. Appareil des murs de briques crues.

de la terrasse sur laquelle les bâtiments étaient établis. Fréquemment ils constituaient la base des murs de briques crues ou bien ces briques formaient parement et s'appuyaient sur un mur de pisé placé en arrière.

Les briques, qui constituent aussi des murs entiers ou tapissent l'excavation des silos, sont très exactement calibrées. Elles mesurent 42 cm. de long, 21 cm. de large et 10 cm. et demi d'épaisseur. Deux de ces dimensions sont donc respectivement la moitié et le quart de la première; et l'on est tenté de voir dans celle-ci la coudée en usage chez les maçons ifrîqyens.

1 Aboù 'l-Arab, Classes des savants de l'Ifriqya, éd. Ben Cheneb, p. 114, tr. p. 195.

L'identification de cette coudée de o m. 42 est corroborée par le texte d'El-Bekri relatif au minaret de la Grande Mosquée de Kairouan que nous avons précédemment rapporté. Cette coudée se rapprocherait plutôt de la coudée romaine (0,443) que de la coudée perse (0,52).

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Les murs de 'Abbassiya ont 70 cm. de large; chaque assise étant formée d'une rangée de boutisses (0,42) et d'une rangée de carreaux (0,21), avec 7 cm. pour le joint de mortier.

Il est difficile de décider si l'emploi de la brique crue et du pisé est un apport de l'Orient ou une survivance locale. La Mésopotamie les a employés depuis l'antiquité la plus haute et nous y trouvons encore la brique crue, dans les fondations 'abbâssites de Samarra et de Raqqa; cependant l'Afrique romaine ne les a pas ignorés, et l'on sait d'autre part que le toûb est d'un usage très général et vraisemblablement ancien dans tout le Sud de la Berbérie.

Semblable incertitude concerne l'origine de

la brique cuite, habituelle dans certains édifices romains, comme les thermes, et, d'autre part, constituant, en Mésopotamie, de grands édifices, comme ces minarets à rampes en hélice, prototypes probables de celui de 'Abbâssiya.

une singulière fortune, la brique cuite (ajoûr) dite aghalbi (l'aghlabite) est encore connue des ouvriers kairouanais; et c'est bien elle qu'on trouve, en assez faible quantité d'ailleurs, dans le

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tell de 'Abbâssiya. Son épaisseur est assez constamment de 45 mm.

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