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c'est tout d'abord dans les textes mentionnant des noms de fondateurs et des dates de fondation que le cursif trouve son emploi, le coufique restant réservé aux formules religieuses; soit que le prince ait préféré, pour proclamer ses œuvres, une écriture d'un déchiffrement plus accessible au vulgaire, ou qu'une association se soit établie dans les esprits entre le texte sacré et le coufique, écriture savante, hiératique, et qui avait servi pour les premiers Corans.

De même que l'écriture cursive apparaît presque simultanément en Ifriqya et en Maghreb, de même un synchronisme curieux se marque, pour l'évolution de l'écriture coufique, dans les deux parties du monde musulman occidental.

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Le x1° siècle voit, en Maghreb et en Espagne comme en Berbérie orientale et en Asie, les artistes s'appliquer à la solution du même problème. J'en ai déjà posé les termes: il s'agit d'adapter, principalement dans les bandeaux, le caractère monumental, avec les masses de sa partie inférieure et les espaces vides de sa partie haute, aux exigences du décor musulman. Des artifices déjà décrits interviendront ici: 1° les vides seront meublés par des motifs floraux; 2° les branches montantes seront développées et enrichies de formes ornementales.

1o Des tiges souples s'enlacent aux hampes des lettres longues dans les inscriptions de l'Aljaferia. La Grande Mosquée de Tlemcen présente un bandeau coufique où le procédé s'accuse avec une remarquable franchise (fig. 232). Un filet rigide courant sur le fond divise ce fond en deux zones superposées. La zone inférieure, égale aux deux cinquièmes du bandeau, est occupée

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Fig. 233, A: Grande Mosquée de Tlemcen << A Allah ».
Bâb Aguenâou. - « Je me réfugie auprès d'Allah ».

Tozeur : longues.

B: Merrakech.

C: Mosquée de

<< Louange à Allah!». Noter les tresses symétriques des lettres

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par le corps des lettres; le fond n'y porte aucun décor. Les hampes et les branches montantes s'allongent dans la zone supérieure sur un champ meublé de rinceaux. Aux portes almohades, le décor du fond est très sobre et n'admet guère que des rameaux isolés (fig. 233 B).

2° L'enrichissement des formes terminales, sans atteindre l'ampleur qu'il connaît en Ifrîqya, donne lieu à des solutions. intéressantes et dont il est assez difficile de déterminer les rapports avec celles de l'Ifrîqya. Nous avons vu qu'un des procédés adoptés à Kairouan, dans les stèles et les monuments çanhâjiens de la première moitié du x1° siècle, était la substitution au biseau

Saragosse. Formule « A

Fig. 234.

Oratoire de l'Aljaferia. Allah [appartient] ce qui est dans le ciel et sur la terre. >>

sectionnant les hampes d'un fleuron à trois lobes surmontant un angle aigu hardiment silhouetté. Il est utile de rappeler aussi que le fleuron à trois lobes figure déjà en Es

pagne à Medinat ez-Zahrâ (fin du xe siècle). A Tlemcen (1135) on trouve des fleurons à deux lobes surmontant l'angle des biseaux, tout comme à Kairouan. Il semble bien que l'importation d'Ifriqya ait contaminé une forme déjà existante dans l'art andalou. Nous manquons des documents épigraphiques nécessaires pour suivre le développement de ce motif. Les sculpteurs des portes de Rabat et Merrakech, de même que les peintres du minaret de la Kotoubiya, paraissent être fidèles au biseau et n'avoir pas fait usage du fleuron terminal.

Quelques inscriptions de Saragosse présentent des lettres longues assez arbitrairement brisées pour former un entrelacs géométrique et s'épanouissant en palmes au sommet (fig. 235). Ainsi s'indique, en Espagne, au cours du x1° siècle, la liaison entre les trois éléments: épigraphique, géométrique et floral. On ne croit pas d'ailleurs que cette fantaisie d'un décor monumental extrêmement touffu ait passé directement de là dans d'autres édifices occidentaux. Le traitement imposé aux lettres longues dans la Grande Mosquée de Tlemcen et dans les portes almohades est d'ordinaire beaucoup plus sobre. Seul le groupe

lâm-alif donne parfois lieu à des entrelacs. Parmi les lettres finales, le noûn presque seul est affecté d'un prolongement important vers le haut du bandeau. On y remarque notamment le redans en arc, importation orientale dont Flury a signalé la présence dans une inscription çanhâjienne (fig. 233 B'). Dans les portes almohades apparaît la brisure à angle droit des hampes, si fréquente également en Ifriqya.

Les inscriptions du mihrab de Tozeur mériteraient d'être étudiées avec soin. Quand nous disposerons de documents plus nombreux, il conviendra de les examiner en fonction de l'épigraphie ifriqyenne et de l'épigraphie maghrebine d'époque almohade. On y notera le rôle dévolu au cursif, qui sert pour l'inscription historique, le rôle plus modeste accordé au coufique, nous offre d'intéressants exemples de hampes tressées.. L'influence des modèles ifrîqyens est toute naturelle dans cette œuvre almohade d'Ifriqya. Elle est probable pour les inscriptions maghrebines du même temps.

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qui

L'élément floral. — L'élément constructif de l'entre

Fig. 235.

1

Saragosse. Fragment

de la formule donnée fig. 234.

lacs végétal, la tige, est fréquemment, dans les plâtres de l'Aljaferia comme il était à la Grande Mosquée de Cordoue, un filet refendu par une rainure médiane, tradition héritée de la sculpture chrétienne. Au minbar d'Alger, qui présente avec l'Aljaferia d'évidentes analogies, la tige refendue existe également. Elle a disparu à la Grande Mosquée de Tlemcen (1135); mais on y trouve encore une tige formée d'un chapelet de pastilles perforées, dont le prototype se reconnaîtrait au mihrab de Cordoue dans une stylisation du stipe de palmier.

L'époque almohade n'a connu que la tige simple, le galon sans détail intérieur. Cette tige est, dans les portes de Rabat et de Merrâkech, singulièrement robuste et participe de la largeur de facture qui caractérise l'art almohade tout entier. Il y a plus :

dans un panneau formant pendentif à la porte des Oudâïa et dans quelques autres, la tige est complètement éliminée. Des palmes et diverses autres formes végétales s'enchevêtrent en s'ordonnant autour de palmettes ou de fleurons sans laisser apparaître le fond (fig. 237). J'ai signalé, au mihrâb de Tozeur,

Fig. 236.

Mosquée Panneau à décor floral compact.

de Tozeur.

un autre exemple de ce qu'on pourrait appeler le décor floral compact. Assez différent de l'arabesque proprement dite, ce genre de décor disparaîtra des murs; il ne subsistera que dans les chapiteaux, où l'arabesque n'a pas la place de se développer.

L'Aljaferia de Saragosse offre. pour l'utilisation de la tige, des diagrammes de types très variés. Comme à la Grande Mosquée de Cordoue et plus systématiquement, le décorateur a fait alterner dans les panneaux l'ordonnance soit symétrique, à tige médiane ou à double tige, soit asymétrique avec tige principale brisée en zigzag ou ondulée en rinceau. Tels sont notamment les claveaux du mihrab (fig. 138). Dans des panneaux carrés, le minbar d'Alger présente des variations analogues sur les mêmes thèmes constructifs. Rarement les décorateurs musulmans ont fait preuve d'une telle souplesse d'invention, d'une ingéniosité aussi disciplinée dans la construction de leurs épures. Pour les panneaux de surface naturellement asymétrique, comme les écoinçons, on a eu recours à des entrelacs dérivés du rinceau.

A la Grande Mosquée de Tlemcen, où le décor végétal apparaît particulièrement abondant, on trouverait encore les mêmes genres de diagrammes. Les décors symétriques ou équilibrés de part et d'autre d'une tige rigide sont fréquents (claustra de la niche (fig. 239), arcatures (fig. 244). D'autres, également symétriques, comportent deux tiges partant de la base. Le thème asymétrique du rinceau, dont la tige principale ondulée porte des rameaux qui en garnissent les courbes concaves, remplit les

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