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Dans les parties hautes, plusieurs madriers émergent encore du mur et se sont brisés sous le poids de l'échafaudage qu'ils portaient, celui-ci n'ayant jamais été enlevé. Des trois grandes tours almohades, une seule nous apparaît dans son entier. C'est celle de la Kotoubîya de Merrâkech, la plus ancienne des trois, le premier minaret où s'expriment les dispositions classiques des minarets hispano-maghribins. J'examinerai plus amplement par la suite la composition de leur décor; il convient de donner ici quelques détails sur leur aspect général, leurs proportions et leurs dispositions intérieures.

Les minarets hispano-maghribins.

Les minarets d'Anda

lousie et du Maghreb ne sont pas sans analogie avec ceux que nous avons déjà rencontrés en Berbérie orientale, à Kairouan, à Sfax et à la Qal'a. Les uns et les autres sont des tours de plan carré et semblent bien dériver des tours syriennes, notamment du minaret de la Fiancée (El-Arous) et du minaret de Jésus de la Grande Mosquée de Damas. Comme le minaret de Jésus, ils s'ornent souvent de plusieurs étages de baies géminées. De même leur plate-forme est surmontée, non de deux tours en retrait l'une sur l'autre comme à Kairouan, mais d'un lanternon unique ('azrî) posé au centre. Cet édicule est, en Maghreb, de plan carré comme la tour elle-même. Il contient une logette et est couvert soit d'une coupole côtelée, comme à la Kotoubîya, ou unie comme au minaret de la Qaçba de Merrakech, soit d'un toit en pavillon ou de glacis de plâtre c'est la forme qui prévaudra dans les tours tlemceniennes. Une tige de métal portant trois boules enfilées sert d'épi de faîtage (jâmoûr). C'est de la plate-forme que le mueddin appelle cinq fois par jour les fidèles à la prière. Le parapet de la plate-forme et la crête du lanternon sont l'un et l'autre ornés de merlons en dents de scie.

Pour le rapport des proportions entre la largeur et la hauteur de la base à la plate-forme, entre la hauteur de la tour et la hauteur du lanternon, il semble que de bonne heure un canon se soit établi. On se souvient que le minaret de la Qarawiyn (qui est dépourvu de lanternon) aurait été, suivant une formule reconnue parfaite par les architectes, quatre fois plus haut que large.

Le minaret de la Grande Mosquée de Cordoue tel que nous le décrit Maqqari était à peu près conforme à ce type (18 coudées

de large, 3 de haut). L'architecte du minaret de la Qaçba de Merrakech paraît aussi avoir voulu s'y tenir. Ces proportions déterminent une masse robuste, mais un peu lourde. Le minaret de la Kotoubiya s'en écarte assez sensiblement la largeur est contenue plus de cinq fois dans la hauteur et ce rapport confère à l'édifice une élégance souveraine. Le faîte s'érige à 67 m. 50 et il mesure 12 m. 50 de côté. Il est construit en pierre d'un appareil assez grossier que dissimulait sans doute l'enduit. Des motifs peints sur cet enduit enrichissaient le décor des arcatures, qui encadraient les fenêtres. Comme les tours contemporaines de Séville et de Rabat, celle-ci n'a pas d'escalier, mais. une rampe qui tourne en spirale autour d'un noyau. Ce noyau compte six étages de salles superposées qui, par la variété de leurs voûtages, suffiraient à montrer l'ingéniosité remarquable des architectes du XIe siècle et les ressources qu'offrait à ce moment l'art de bâtir. Je dois à M. H. Terrasse les détails précis qui vont suivre.

La salle du rez-de-chaussée a une coupole conique sur trompes en cul de four appareillées par lits horizontaux. Celle qui vient au-dessus porte une coupole à côtes, dont le tambour est décoré de rubans entrelacés. On en voit une semblable à Bâb er-Rouâh de Rabat, mais celle de la Kotoubiya est plus belle.

La troisième salle est couverte d'une voûte d'arête engendrée par la pénétration de deux berceaux légèrement outrepassés. Les retombées portent sur des colonnes à chapiteaux ornés de feuillages.

Une couverture analogue a servi pour la quatrième salle, mais la voûte est remaniée et les chapiteaux empâtés et détruits.

La cinquième présente une pyramide octogonale couronnéepar une coupolette à côtes. Le passage de l'octogone au carré de la salle se fait au moyen de trompes en demi-voûte d'arête. La sixième salle la plus riche montre une coupole sur nervures minces, dont les retombées outrepassées portent sur un tambour octogonal décoré d'une frise à entrelacs. Des trompes à stalactites rétablissent le plan carré. Les nervures de la coupole limitent, au sommet, une coupolette également formée de stalactites.

Au septième étage, la rampe s'interrompt. Un escalier droit monte à la plate-forme. Deux chambres longues, voûtées et herceau, règnent de part et d'autre de l'escalier.

M. Gallotti a donné une étude très consciencieuse et très utile du lanternon qui termine le minaret et que surmonte l'épi de faîtage (jâmour) formé de trois boules de cuivre doré enfilées dans une tige de fer. Ce lanternon, dont le parapet crénelé de la plate-forme dissimule la base, est lui-même une petite tour carrée d'environ 6 m. 8o de côté. Il est couvert par une coupole à côtes (menoûna), dont l'architecture ifrîqyenne du 1x siècle nous a montré l'application à des dômes plus importants. Les murs sont de moellons avec quelques arases de briques et consolidés par des longrines de bois. Une petite pièce couverte d'une voûte à stalactites, s'ouvrant au niveau de la plate-forme, peut servir d'abri au mueddin. Un escalier droit monte de ce niveau à une salle carrée éclairée par huit baies et que couvre une coupole octogonale sur trompes en demi-voûte d'arête. La coupole à côtes est établie au-dessus; elle se présente à l'intérieur comme une coupole à huit pans; elle est consolidée par un système de madriers et par le pilier central où s'implante le jâmour.

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Les plus rapprochées des angles entament deux assises entaillées à cet effet et forment tenons. Toutes ont servi à poser l'échafaudage.

Une rampe de deux mètres faisant le tour d'un noyau central formé de salles superposées permet d'accéder au sommet. On compte six étages de salles. Ces salles présentent, comme celles de la Kotoubiya, une variété remarquable de voûtages. La salle du rez-de-chaussée, dont la porte s'ouvre en face de celle de la tour même donnant à l'intérieur de la Mosquée, est couverte

1 J. Gallotti, Le lanternon du minaret de la Kotoubya ap. Hesperis, 1923, p. 37, ss.

par une coupole à cannelures rayonnantes sur trompes en demivoûtes d'arête; le premier étage a une voûte en arc de cloître, le deuxième présente une coupole hémisphérique sur pendentifs, ces pendentifs étant déterminés par la pénétration de la calotte par les murs de la salle ; une voûte analogue figure aux quatrième et cinquième étages; la salle du troisième a une coupole à stalactites sur plan octogonal; le passage de l'octogone au carré de base se fait au moyen d'un plan horizontal de poutres jointives.

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La Giralda de Séville. Le minaret de la Grande Mosquée de Séville, cette tour fameuse à laquelle une statue de la Foi, servant de girouette, a fait donner le nom de Giralda, mesure 14 m. 85 de côté et elle est presque entièrement construite en briques. On notera cette diversité de l'appareil des trois minarets almohades. Les rampes faisant le tour de la pile de maçonnerie qui constitue le noyau central sont assez larges pour permettre à deux hommes à cheval d'accéder à la plate-forme. A partir de cette plate-forme, la tour cesse d'être musulmane; au-dessus du minaret découronné, l'architecte Fernand Ruiz éleva, en 1568, la galerie des cloches et le lanternon qui la surmonte. Une particularité notable de la structure est la suivante tandis que le noyau central reste de largeur constante de la base au faîte, les quatre murs deviennent de plus en plus épais, à mesure qu'on s'élève et rétrécissent l'espace intérieur 2. Cette structure concourt à la solidité du monument. La nécessité d'éclairer les rampes des quatre faces a fait varier, d'une face à l'autre, la hauteur des fenêtres et partant les panneaux qui en complètent le décor. J'étudierai ce décor en même temps que celui des autres tours.

La Mosquée de la Qaçba de Merrâkech. La Mosquée de la Qaçba de Merrâkech, qui aurait été terminée durant la féconde année 1196, a été fort remaniée à l'époque des Chérifs, et il ne nous est pas possible de savoir ce qui y subsiste des dispositions primitives. Une anecdote rapportée par le Qirtâs nous apprend qu'elle a huit portes, y compris la petite entrée de l'imâm. Elle est beaucoup plus modeste que la Kotoubîya et son

1 Cean Bermudez, Noticias de los Arquitectos, I, 27.

2 Le fait a été signalé par Girault de Prangey (Essai p. 105-106) qui avait fait un relevé complet de la Giralda.

minaret n'a pas la fière allure ni les grandes proportions de ses contemporains. La base, construite en moellons avec angles de briques, est surmontée d'un appareil entièrement en briques. Un beau revêtement céramique posé sur des parements de bois formait la frise et habillait les faces du lanternon. Je reviendrai sur ce décor, intéressant par l'évolution qu'il atteste et les imitations qu'il a pu provoquer.

B. L'architecture civile.

Les palais. Les bains publics. Le bain des Teinturiers à Tlemcen.

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Les palais. Si des monuments assez nombreux et assez exactement datés nous permettent de connaître l'architecture religieuse des x et x siècles, nous ne disposons, pour l'architecture civile du même temps, d'aucun document certain. Les palais construits par les Reyes de taïfas ont disparu, ou, s'ils nous sont parvenus, ils ont trop servi de demeure aux chrétiens pour ne pas porter surtout la marque de leurs derniers hôtes. La transformation en caserne de l'Aljaferia de Saragosse lui a enlevé presque toute sa valeur archéologique. Que peut-on espérer tirer de l'Alcazar de Séville, où on lisait, prétend-on, une inscription mentionnant l'architecte « Jaloubi » de Tolède, travaillant pour l'Almohade En-Nâcir? Ce palais fut trop profondément modifié par Pierre le Cruel pour qu'on le considère comme un édifice musulman. Si le plan des deux cours intérieures entourées de salles qui y prennent jour a conservé quelque chose des dispositions initiales, si la salle carrée dite Salon des Ambassadeurs, avec ses quatre ouvertures, à trois baies ses arcs en plein cintre outrepassé portant sur des colonnes à chapiteaux composites, rappellent l'art du x1 voire du xe siècle. les inscriptions à la gloire de Don Pedro, la composition de la façade principale et de la grande cour, dite Patio de las doncellas,

1 Celle inscription rapportée par Cean Bermudez (Noticias, 1, 67, 238) et qui se serait terminée, d'après la traduction espagnole, par: « Yo el Rey Nazar por la gracia de Dios » est naturellement très suspecte. Cf. Amador de los Rios, Insc. de Séville, p. 46, n.

2 Cf. supra, p. 247.

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