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A l'encontre de presque toutes les mosquées de la Berbérie, celle-ci présente des nefs, non perpendiculaires au mur de la qibla, mais parallèles à ce mur, des nefs transversales, dirigées approximativement Est-Ouest. On connaît quelques plans de ce genre en Orient en Egypte, la mosquée d'Ibn Toûloûn, qui n'a pu servir de modèle, puisqu'elle est postérieure à la première Qarawîyn; en Syrie, la mosquée de Baalbek et surtout la mosquée de Damas, où l'ordonnance à trois nefs transversales fut imposée par celle d'une basilique préexistante. Toutefois il ne semble pas qu'il faille considérer le grand temple syrien comme ayant directement inspiré la première Qarawîyn. Celle-ci, ainsi que sa contemporaine, la première Mosquée des Andalous, qui comptait pareillement, d'après El-Bekrî 2, six nefs « dirigées de l'Est à l'Ouest », devait sans doute procéder de la Mosquée des Chorfâ bâtie à Fès par le fondateur de la ville, Idris ben Idris, entre 806 et 814. Ce sanctuaire local vénéré entre tous avait « trois nefs s'allongeant de l'Est à l'Ouest ». Il est permis de supposer que cette mosquée des Chorfâ s'inspirait d'un modèle oriental et que ce modèle était la Grande Mosquée de Damas comptant le même nombre de nefs semblablement disposées 1.

La première Mosquée Qarawîyn aurait été la fondation d'une pieuse femme, Fâtima, fille de Mohammed el-Fihrî, venue de Kairouan avec les siens. Commencé en 245/859, l'édifice était construit en pierre calcaire (kiddân) et en pisé. La tradition veut que tous les matériaux en aient été tirés du sol même, ce qui assurait à l'œuvre un caractère de pureté absolue. Elle ne mesurait que 150 empans en profondeur, soit environ 30 m., et comptait quatre nefs transversales. D'après la Zahrat el-âs, le mihrab était placé en avant du grand lustre actuel; une petite cour s'étendait en arrière de la salle de prières et, en arrière de cette cour, s'élevait le minaret, où se trouve aujourd'hui la << 'anaza 5 ».

1 Cf. Dussaud, Le temple de Jupiter Damascenien et ses transformations eux époques chrétienne et musulmane, ap. Syria, 1922, III, p. 219, ss.

2 Bekri, éd. de Slane, p. 118, tr. 227-228.

3 Bekri, ibid.

4 La petite mosquée du Vieux Tenès mentionnée supra, p. 200, présente des dispositions analogues. Sur ce plan et les hypothèses qu'il nous a suggérées, cf. A. Dessus-Lamare et G. Marçais, La Mosquée du Vieux Tenès, ap. Revue Africaine, 1924, p. 530, ss.

5 Cf. infra, p. 313

Ces renseignements sont assez précis pour nous permettre de déterminer l'espace de la mosquée actuelle occupé par la mosquée primitive, au moins dans le sens de la profondeur 1. Une

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Bâb el-Khalwa; B: Bâb es Sba 'I owiyâ; C Båb Ben Haiyoûn; D Bâb Ibn 'Omar (nom ancien); E: Bâb El-Khaçça (n. ancien); F: Bab El-'Omyân (?) (n. ancien); G. Bâb el-Houfat (Porte des Pieds-nus); H: Bab El-Mouattaqin (n. ancien); I: Bâb el-Chemma'in; J: Bâb el-Koutoublyn (?) (n. ancien); K: Bâb El-Aoûliya (?) (n. ancien); L: grand lustre; M: minaret: N Bâb el-Guenâiz; O Bâb el-Ktoub; P tribunal du qådi; Q: boutiques: R: oratoire pour la prière des funérailles; S: bibliothèque; T maison du qâdî; U oratoire des femmes; V et V: pavillons abritant des fontaines (xvi et xvII s.); X: emplacement présumé de l'ancien mihrab; Y: 'anaza.

1 La largeur reste à déterminer. M. Pauty (Hesperis, 1923, pp. 515, ss.) indique comme limites latérales les deux arcades qui, enjambant les nefs, bordent les 12 travées moyennes. Il faut cependant rappeler que, d'après les chroniqueurs, la mosquée comptait 10 arcs de l'Est à l'Ouest et non 12.

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nef Nord-Sud, plus haute que le reste de l'édifice, était établie en avant du mihrâb, comme à la Grande Mosquée de Damas. Cette nef surélevée existe encore 1. Les nefs qui s'étendent au Nord ont dû recouvrir l'aire de la cour primitive. Quant au minaret, il était placé sur la façade de la mosquée opposée au mihrâb de même que les minarets de Kairouan et de Cordoue et le minaret de la Fiancée, à la Grande Mosquée de Damas.

Cette première mosquée fut agrandie en 345/956, c'est-à-dire un siècle après la fondation, par le chef berbère qui reconnaissait tenir le pays du Khalife omeiyade. Celui-ci 'Abd er-Rahmån III envoya de fortes sommes d'argent qui permirent d'étendre les bâtiments vers l'Est, l'Ouest et le Nord. De cette époque daterait le minaret qui subsiste encore. Il devait être placé à l'angle Nord-Est de l'enceinte, ce qui nous indique les limites de cette seconde extension. Le Qirtâs lui attribue un carré de base de 27 empans ( il a environ 5 mètres) et une hauteur quadruple « selon les règles de l'architecture ». Ce minaret fut construit en pierres de taille; l'appareil en resta visible un certain temps. Il fut ensuite garni de plâtre et de chaux que tenaient de grands clous de fer plantés dans les joints de distance en distance. Ce revêtement fut soigneusement poli. Plusieurs travaux furent exécutés à la mosquée du temps d'El-Modhâfir. le fils d'el-Mançoûr, notamment la « citerne allongée » et la «<fontaine ». Peut-être faut-il entendre par là le jet d'eau abondant qui sort au-dessus d'une vasque au centre de la cour.

A l'époque des Almoravides, la population de Fès s'était très sensiblement accrue, au point qu'une partie des fidèles était obligée, à la prière du vendredi, de se tenir dans les rues et les soûqs avoisinants. Le qâdî de la ville obtint de l'émir 'Alf ben Yousof l'autorisation d'agrandir le temple. Les fonds furent réunis, grâce à la rentrée exacte des revenus de la Mosquée frauduleusement détournés par les gestionnaires. On acheta à l'amiable ou l'on expropria les terrains nécessaires et on les déblaya. La mosquée put ainsi s'étendre vers le Sud, l'Est et l'Ouest. Aux environs de 1135, elle avait atteint ses limites actuelles.

La cour est très peu profonde; elle mesure à peine la moitié de la salle de prières. C'est là un trait qui distingue la Qarawiyn

1 Cf. la vue perspective, fig. 169.

de la Grande Mosquée de Cordoue primitive, mais qui la rapproche de la même mosquée après ses agrandissements successifs et d'autre part de la mosquée almoravide d'Alger. De même que dans cette dernière, des nefs multiples prolongeant les parties extrêmes de la salle de prières règnent le long des côtés latéraux de la cour. Au milieu de ces côtés des pavillons très élégants font saillie. Ce sont des œuvres très postérieures que j'étudierai par la suite. Derrière le pavillon de l'Ouest s'élève le minaret du x siècle. Une sorte de porche faisant légèrement saillie interrompt, ici comme à Alger, la façade de la salle de prières. C'est la 'anaza, qui sert de mihrâb aux fidèles priant dans la cour. Elle marque l'axe de l'édifice, qui est sensiblement à l'Ouest de l'axe géométrique.

Les nefs de la salle de prières sont bordées par des pieds droits portant des arcs en fer à cheval plein-cintre. Ces nefs sont couvertes de toits de tuile à deux pentes. J'ai dit quelle en était l'orientation très particulière.

La Grande Mosquée de Tlemcen 1. - Une inscription cursive nous apprend que la Grande Mosquée de Tlemcen fut bâtie en 530/1135. Le nom du fondateur, qui figurait aussi dans le plâtre, a été gratté. Tout fait supposer que les Almohades sont responsables de cette mutilation. La date suffit d'ailleurs à établir que le nom disparu est celui de l'Almoravide 'Alî ben Yoûsof, le même sous qui furent faits les derniers agrandissements de la Qarawîyn.

La Mosquée mesure environ 60 m. de profondeur sur 50 de large. La cour est un carré à peu près parfait. Elle est bordée du côté Nord par deux galeries qu'interrompt un minaret carré. Ce minaret est de soixante-dix ans plus jeune que la Mosquée. Une partie certainement ajoutée au Nord, en masque la base à l'extérieur. Sa face Nord s'alignait avec le mur d'enceinte de la Mosquée suivant la disposition des Grandes Mosquées anciennes. Sur les côtés Est et Ouest, la cour est encadrée par des nefs prolongeant celles de la salle de prières. On en compte trois à l'Est et quatre à l'Ouest. Cette multiplicité de galeries latérales, déjà rencontrée aux mosquées d'Alger et de Fès, apparaît comme un trait proprement almoravide.

1

Cf. W. et G. Marçais, Les monuments arabes de Tlemcen, pp. 140 ss.

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