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jusqu'à Sowaïqat Ibn Madhkoûd (sur les frontières de la Tripolitaine) 1. » Mais trois villes surtout s'enrichirent alors de monuments incomparables: Séville, Rabat et Merrakech. Toutes trois eurent leur Grande Mosquée. Les trois tours sœurs la Giralda, la tour de Hassân et le minaret de la Kotoubîya, dominant les trois villes comme trois pylônes d'une voie triomphale, attestent à la fois l'étroite liaison réalisée entre le Maghreb et l'Espagne et la splendeur des Moùminides.

Une tradition d'ailleurs peu recevable veut que ces trois minarets soient l'œuvre d'un artiste nommé Guever (Jâbir) originaire de Séville 2. Cette légende exprime du moins la commune inspiration andalouse des trois édifices. « On ne peut nier, écrit Ibn Sa'id, que Merrâkech soit le Baghdad de l'Ouest, la plus grande cité de la région, celle où abondent le plus de monuments publics, d'édifices splendides, de palais et de jardins. Il est également avéré que cette capitale du Maghreb ne fut jamais aussi florissante que sous le règne des Moùminides qui firent venir maints artistes et artisans de toutes les parties de leur domaine andalou 3. »

Que cette splendeur ait rayonné jusqu'aux confins de la Berbérie, c'est ce que le mihrab de Tozeur établit d'une manière irréfutable. Dans une oasis du Sud tunisien, au pays lointain du Djerîd, une œuvre subsiste, créée à l'époque où les Moùminides étendaient jusque là leur activité; et cette œuvre est de style purement maghrebin. Par les Hafcides de Tunis, rameau sorti, comme les Moûminides, de la souche almohade, ce style se perpétuera en Ifrîqya. Je rechercherai par la suite la part qui revient au Maghreb et à l'Andalousie dans les édifices tunisiens à partir du x° siècle. Mais une autre question se pose, qui doit être examinée dans le présent chapitre.

La conquête almohade, qui allait répandre sur la Berbérie l'art du Maghreb et de l'Espagne, exposait cet art à subir par contre-coup l'influence des arts préexistant en Ifriqya. A défaut de Kairouan, bien déchue, et de la Qal'a des Benî Hammad, qui végétait à peine, Bougie, d'où 'Abd el-Moùmin avait fait fuir

1 Qirtás, 143, tr. 190.

2 Elle a été donnée par Beaumier, dans sa traduction du Qirtás (Kartas), p. 324.

3 Maqqârî, fr. Gayangos (The history of the Mohammedan dynasties in Spain) I, p. 120.

en 1151 le dernier Hammâdide, s'enorgueillissait encore de ses palais; Mahdîya, que le grand Khalife arracha en 1160 aux Normands de Sicile, devait conserver plus d'un bel édifice datant des Fâtimides et des Çanhâjiens; Tunis enfin, la Tunis des Benî Khorâssân, apparaissait déjà comme la nouvelle capitale de 'Ifriqya. Par ces centres, les Maghrebins devaient entrer en contact avec un monde nouveau, tout imprégné d'influence égyptienne et mésopotamienne.

Au reste, on ne saurait prétendre, ici encore, que la conquête almohade mît en présence deux mondes qui s'ignoraient jusque là. Nous avons vu que, du temps des Omeiyades, les emprunts étaient probables de Kairouan à Cordoue. De même, entre les deux parties de la Berbérie il ne pouvait exister de cloison étanche; la conquête almoravide avait tracé des avenues du Maghreb vers l'Est. Les Moûminides cependant poussèrent ces avenues jusqu'au cœur de l'Ifrîqya. En réalisant pour la première fois l'unité politique de l'Islâm, des frontières de la Castille à la Tripolitaine, ils contribuèrent à l'élaboration d'une sorte de syncrétisme de l'art musulman occidental.

II. L'ART DU Maghreb et DE L'ESPAGNE AUX XI ET XII° siècles

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La Grande Mosquée d'Alger.
La Grande Mosquée de Tlemcen.
Charpentes et coupoles.

La Mosquée Qarawiyn de Fès
Construction, contreforts, supports
Chronologie des premières mos-

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-

La Mosquée de La Mosquée de Le minaret La Mosquée de la Qaçba de

et arcs.
quées almohades. La Kotoubiya de Merrâkech.
Tinmål. Les mosquées de Ya'qoûb el-Mançoûr.
Hassan à Rabat. Les minarets hispano-maghribins.
de Hassân. La Giralda de Séville.
Merrâkech.

Sans doute les Reyes de taïfas, qui se partagèrent en Espagne les dépouilles du Khalifat de Cordoue, firent-ils peu de place dans leurs fondations à l'architecture religieuse. Il nous faut arriver à l'époque des Almoravides pour trouver des documents utili

1 Le petit oratoire du palais de l'Aljaferia à Saragosse, avec sa salle à coupole, ses niches d'angles et son décor, que j'examinerai par la suite, est insuffisant pour nous renseigner sur les édifices religieux de cette époque.

sables. Encore la Grande Mosquée de Tlemcen, qui seule peut nous fournir des données certaines, appartient-elle à la fin des Almoravides.

Des nombreux sanctuaires qu'Ibn Tâchfin avait créés, presque rien ne nous est resté, rien de la mosquée de Merrâkech, à laquelle il travailla de ses mains, rien (à ma connaissance) de tous les oratoires qu'il fit élever dans Fès. Un panneau de cèdre provient de la chaire qu'il donna à la Grande Mosquée de Nédroma (département d'Oran). Peut-être cette mosquée date-t-elle de lui. Enfin une tradition très recevable veut que la Grande Mosquée d'Alger soit son œuvre 1.

La Grande Mosquée d'Alger. - Visiblement cette mosquée a été fort remaniée. Au XIVe siècle elle fut pourvue d'un minaret : de nombreuses retouches en modifièrent l'aspect à l'époque turque. L'ordonnance primitive semble cependant avoir été conservée. L'analogie frappante que présente la salle de prières avec celle de la Grande Mosquée almoravide de Tlemcen autorise à le supposer. Toutefois la cour, qui paraît avoir conservé ses dimensions primitives, diffère de celle de Tlemcen en ce qu'elle a une profondeur moindre de moitié que celle de la salle de prières. Elle est flanquée, du côté Nord-Ouest, par une seule galerie, sur chacune des faces latérales, par trois nefs prolongeant celles de la salle de prières.

Cette salle est formée de onze nefs parallèles allant du NordOuest au Sud-Est, bordées par des piliers maçonnés, de plan rectangulaire ou cruciforme, et couvertes de charpentes apparentes et de toits de tuiles à quatre versants. Quatre rangées de piliers parallèles au mur de la qibla divisent la salle de prières en cinq travées. La nef médiane est sensiblement plus large que les autres. La travée qui longe le mur du fond est de même largeur que cette nef médiane. Nous avons déjà rencontré, à la Grande Mosquée de Kairouan, cette disposition dont on a montré l'origine chrétienne probable. La niche du mihrâb est à fond plat et à pans coupés. La cour communique directement avec la

1 Elle est vraisemblablement contemporaine de la chaire à prêcher qui est de 590/1006. Il faut ainsi rectifier. la date que j'ai donnée ap. Hesperis, 192, p. 359.

2 Cf. Devoulx, Les édifices religieux de l'ancien Alger, ap. Revue africaine, 1866, p. 221; Id., Alger-Icosium, même Revue, 1875, p. 522.

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salle et les galeries par des baies que ne ferme aucune porte '. L'arc qui termine la nef médiane fait légèrement saillie sur la

cour.

Chaque pilier porte quatre arcs. Les arcs qui relient les piliers parallèlement au grand axe et limitent les nefs sont des fers à cheval déformés. Les arcs bandés en travers des nefs sont découpés en lobes circulaires ou affectent un tracé mi-rectiligne mi-curvi

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ligne. Je reviendrai sur ces formes. Qu'il suffise d'indiquer qu'elles se retrouvent à la Grande Mosquée de Tlemcen dans les mêmes emplois. Il y a là plus qu'une coïncidence. Une telle similitude atteste le caractère almoravide de la Grande Mosquée d'Alger.

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La Mosquée Qarawiyn de Fès 2. Il semble légitime de placer ici l'étude de la Mosquée Qarawîyn de Fès, car ce grand sanc

1 Des murettes bâties entre les piliers ne sont évidemment pas primitives. 2 Ibn Abi Zar', Roudh el-Qirtás, éd. Tornberg, p. 29, ss., tr. p. 42, ss.; El-Jaznáï, Zahrat el-ás, éd. et tr. A. Bel, texte, p. 34, ss. tr. 84, ss.

tuaire, illustre surtout par la vieille université musulmane, qui en fait une sorte d'El-Azhar maghrebin, a pris, à l'époque des Almoravides, l'ampleur et les dispositions générales qu'elle conserve jusqu'à nos jours. Son histoire, quoique fortement mélan

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Fig. 167. Alger. Grande Mosquée. Une travée.

gée d'éléments légendaires, nous est assez bien connue. On y distingue trois étapes: la première mosquée, bâtie en 859, aurait été agrandie en 956, puis en 1135. Il paraît établi que l'accroissement se fit par cristallisation autour du noyau initial, circonstance importante, car elle peut expliquer une particularité fort remarquable de l'édifice actuel.

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