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de leur influence, je veux au moins inscrire ici le nom de Si Hassen Abd el-Wahab, à qui je dois tant.

Quant au Maroc, où des entraves de même nature sont imposées à nos recherches, que ne peut-on attendre des travailleurs qui en ont entrepris l'exploration scientifique ! Là, l'archéologie musulmane marche à grands pas, et l'on s'essouffle à la suivre. Qu'il me suffise de rappeler les études si consciencieuses d'Alfred Bel sur les médersas de Fès, et les révélations que l'on doit à l'équipe de l'Institut des Hautes Etudes marocaines, à Henri Basset, LéviProvençal, Terrasse et Hainaut, à ces chercheurs passionnés pour nos études, qui nous ont fait connaître l'existence de la première Kotoubîya de Merrakech et les peintures du minaret. Je m'en voudrais de ne pas exprimer personnellement à ces amis ma gratitude pour le désintéressement avec lequel ils m'ont permis de reproduire les photographies prises dans la vieille mosquée almohade elle-même. Demain ils nous en donneront une description complète; puis d'autres édifices viendront enrichir leur belle série des « Sanctuaires et forteresses almohades ». Du train dont ils vont, il est à prévoir que le présent manuel sera d'ici peu périmé sur bien des points.

C'est l'inconvénient qu'il y a à tracer des tableaux d'ensemble quand tant de monographies seraient encore nécessaires. Mais il faut en prendre son parti. Les essais de synthèse même prématurés ne sont pas inutiles. Ils servent de cadres provisoires où viendront s'insérer les documents à venir. En faisant ressortir les lacunes de notre connaissance ils peuvent orienter des recherches nouvelles.

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La Tunisie musulmane (Ifrîqya) jusqu'au 1x siècle. Les royaumes du xe siècle les Idrissides de Fès. Les Rostemides de Tiaret. Les Aghlabides de Kairouan. - Eléments de la population. Les rési dences princières. Esclaves et clients. Documents archéologiques Les réquisitions de matériaux.

relatifs au rôle des clients.

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La Tunisie musulmane (Ifrîqya) jusqu'au IXe siècle. Les premières œuvres d'art musulman que la Berbérie ait conservées se trouvent en Tunisie, l'Ifriqya des auteurs arabes'. Le nom de l'Ifriqya reproduit, sans trop le défigurer, celui de la province romaine d'Afrique, et cette partie du pays berbère est, de beaucoup, celle qui garde le mieux la marque des civilisations antiques, celle que les procédés de culture de Carthage et de Rome avaient le plus heureusement transformée, celle où la vie urbaine était la plus active, celle où les villes les plus nombreuses se paraient des plus nobles monuments. Une telle constatation n'est certes pas indifférente au sujet qui nous occupe. Non seulement le prestige de l'Ifriqya pouvait attirer les regards des conquérants musulmans, mais ils allaient y subir mieux qu'ailleurs l'influence persistante des anciens possesseurs du sol. Cette extrémité orientale de la Berbérie était d'ailleurs le point par où des Orientaux, suivant la voie de terre, devaient aborder les pays d'Occident.

1 Plus précisément, l'Ifriqya comprend, outre la Tunisie, une bonne partie du département de Constantine. Le territoire de Bougie en marque la frontière occidentale.

L'histoire de cette conquête musulmane, que nous établissons à l'aide de chroniques très postérieures aux événements, est fortement mélangée d'éléments légendaires. Nous essaierons de la ramener à ses traits essentiels, qu'il nous paraît utile de connaître pour comprendre ce qui doit suivre.

C'est de 647 (27 de l'hégire) que daterait la première expédition des armées musulmanes contre l'Ifrîqya, province byzantine. Cette reconnaissance, que le Khalife 'Othmân avait laissé partir vers l'Occident perfide », en dépit des répugnances de son prédécesseur 'Omar, aboutit sans peine à un plein succès. La Berbérie était l'un des points les plus vulnérables de l'Empire de Constantinople. Les lignes de forteresses assez hâtivement édifiées et qui, suivant la tactique byzantine, devaient barrer la route aux agresseurs, les arrêtèrent bien peu. Dès le deuxième raid contre la province, cette ceinture était rompue.

Cependant les Musulmans s'étaient retirés sans rien laisser derrière eux. Une telle conquête n'était guère solide; les conversions des indigènes ne pouvaient être qu'éphémères, si l'on ne s'établissait dans le pays. C'est ce que fit 'Oqba ben Nâfi', le vénérable « Sîdi 'Oqba » des traditions populaires.

L'expédition conduite par 'Oqba en 670, au temps du premier Khalife omeiyade, apparaît comme plus méthodique que celles qui l'ont précédée.

La conquête s'affirme par la fondation de Kairouan. Le choix du site de cette ville, perdue au milieu de la steppe tunisienne, ne laisse pas de nous surprendre. Les archéologues n'y ont trouvé les vestiges d'aucun centre antique, qui aurait pu faciliter le premier établissement, comme la Babylone d'Egypte, ancêtre de Fostât. Un récit d'authenticité douteuse nous représente l'emplacement choisi par 'Oqba comme encombré de broussailles. Il se peut qu'une convergence relative des eaux y favorisât quelque végétation. Peut-être des routes s'y croisaientelles et les nomades s'y rassemblaient-ils déjà. Il semble bien que la ville se soit construite, comme la Mekke, auprès d'un

1 D'après les auteurs arabes un petit château bâti par les Grecs et nommé Qamounya ou Qoûnya s'élevait sur cet emplacement (En-Nowayri, ap. Ibn Khaldoûn. Hist. des Berbères. tr. 1, 330: sur Qamounya, cf. Fournel. Les Berbères. I. p. 153: sur Qounya, cf. Ibn 'Abd el-Hakam, éd. Torrey, p. 193. I, 12, p. 200, 1. 5. El-Bekri semble indiquer qu'une basilique chrétienne s'y trouvait à l'endroit nommé Qaïsariya, p. 57, tr. p. 52.

puits, Bir Baroûta, que la religiosité populaire entoure encore de vénération. Quoi qu'il en soit, Kairouan devint le camp permanent, le gîte d'étape des Orientaux venus par la Tripolitaine à la conquête des plaines du Nord et des hautes terres de l'Ouest, base militaire commode au seuil du pays à surveiller et à envahir, centre d'action pour les convertisseurs.

Dans les dernières années du vir° siècle, la résistance des Berbères était brisée, non sans peine ; des missionnaires musulmans pouvaient entreprendre l'oeuvre méthodique de leur conversion, et les néophytes étaient enrôlés pour pousser plus avant l'expansion de l'Islâm. En 710, une armée, dont les contingents berbères formaient la majeure partie, débarquait en Espagne et conquérait la péninsule pour le compte du Khalife de Damas. Ces Africains préludaient ainsi à leur rôle futur. A travers tout le moyen âge, l'Ifrîqya, et plus encore les deux Maghrebs, nous apparaîtront comme un réservoir inépuisable de forces combattantes; la guerre sainte est la fonction traditionnelle du peuple qui les habite et l'Espagne est par excellence la terre de ses martyrs.

Cependant, quelque précieux que fût leur concours, les Berbères restaient des vaincus. Ils supportaient le mépris des Arabes et payaient des impôts, dont leur qualité de musulmans aurait dû les exempter. Leur mécontentement se manifeste d'abord par quelques révoltes isolées, puis le mouvement s'aggrave. Il prend un caractère singulièrement menaçant quand les Berbères ont connu les principes du Khârejisme. Cette hérésie, née en Orient, représente un Islâm primitif et intransigeant; elle proclame l'égalité absolue entre tous les musulmans, arabes et non-arabes. On comprend son succès chez les Berbères opprimés. Le Khârejisme va leur donner la cohésion morale qui leur manque. Ils remportent des succès éclatants; la puissance arabe est mise en péril. Il faut mener contre eux une nouvelle guerre sainte.

C'est au milieu de difficultés toujours renaissantes, des querelles de la milice arabe, exigeante et factieuse, de l'agitation. berbère, qui les force un moment à évacuer Kairouan, que se succèdent, pendant le vin siècle, les gouverneurs venus de

1 Le Maghreb central, comprenant à peu près les départements algériens d'Oran et d'Alger, et le Maghreb extrême (Maghreb el-Aqçâ), qui correspond à peu près au Maroc.

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