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d'acanthe, d'un modèle plus gras et mieux senti que la gravure uniforme du premier style (fig. 153 B).

Le troisième (fig. 153 C), d'origine indéterminée, est caractérisé par la profondeur et la multiplicité des défoncements. Le limbe

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Classification des décors floraux d'époque omeiyade, d'après Velazquez Bosco.

des feuilles et les tiges mêmes sont criblés d'anneaux ronds ou formés d'arceaux allongés. C'est à ce genre qu'appartiennent les grandes plaques, d'une opulence un peu barbare, qui forment soubassement au mihrâb de Cordoue (fig. 154). A titre d'indication, je noterai l'analogie que présente cette facture avec celle des ivoires dont nous possédons de nombreux spécimens contem

porains. Or, ces ivoires semblent bien, par le choix des thèmes qu'ils traitent, inspirés de l'art oriental.

Un quatrième style (fig. 153 D) affecterait une tournure plus naturaliste. On lui devrait les fleurettes présentées de face, qui parfois semblent introduire dans cette flore factice un élément un peu moins conventionnel. Il faudrait y voir une influence de l'art proprement byzantin.

Au reste, malgré la diversité des factures et des formes, on ne peut nier que l'amalgame ne soit déjà réalisé entre ces éléments hétérogènes. Les mêmes panneaux groupent sans disparate des palmettes peut-être wisigothiques à des feuillages plutôt romains. Une grande partie de cette flore, telle qu'elle est ici constituée, restera dans le style andalou et maghrebin et subira l'évolution générale d'où doit sortir l'art moresque. Sans s'attarder à la question encore insoluble de ses origines, il importe d'en préciser quelque peu les traits.

Un des éléments

La palme asymétrique. L'acanthe. végétaux les plus abondamment représentés dans le décor et celui auquel est réservé la fortune la plus brillante est l'acanthe inspirée des modèles païens et chrétiens. Les botanistes distinguent une dizaine d'espèces d'acanthes. L'art grec a surtout employé l'acanthe épineuse, facilement reconnaissable à ses lobes formés de trois digitations aiguës et que séparent entre eux un œillet. arrondi. Les ornemanistes romains et ceux de l'époque chrétienne ont adopté cette variété d'acanthe. Ils se sont également servis d'une acanthe conventionnelle, déformation de la première, dont les digitations, groupées par trois ou davantage, sont plus allongées et semblent des bouquets de feuilles de laurier ou d'olivier. C'est de cette acanthe conventionnelle que les ornemanistes andalous ont fait le plus constant usage. Comme les sculpteurs chrétiens, ils l'ont présentée parfois étalée et de face, plus souvent repliée suivant sa nervure principale. Ils ont aminci le limbe et l'ont allongé au point d'en faire une bordure sans fin de digitations et d'œillets. Le plus souvent, elle est adaptée à la tige, entendez à la tige-galon étroite et souple des rinceaux, et elle s'éloigne d'autant plus de la plante de nos jardins. Elle s'en éloigne aussi plus ou moins par les détails intérieurs et par la silhouette.

Les détails intérieurs n'ont pas d'autre point de départ que

les digitations des lobes et les œillets qui se creusent entre eux. Pour enrichir les surfaces en les divisant, le sculpteur donne une

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importance considérable aux fentes séparant les digitations et aux œillets. Les œillets affectent la forme régulière de trous faits au trépan. Ils deviennent des pastilles perforées et parfois ces pastilles se multiplient au point d'occuper le bord du limbe tout

entier (fig. 155 B). On en trouve même plusieurs rangs; et la feuille prend alors l'aspect d'une queue ocellée de paon.

Par une évolution contraire, l'œillet est parfois supprimé. Le limbe n'est plus meublé que par des digitations parallèles et juxtaposées (fig. 155 B').

Les silhouettes qu'affecte l'acanthe sont infiniment variées. La feuille étalée ou pliée s'allonge en queue de renard, s'étire en lanière, s'étale en ombelle. Groupée avec des éléments de même nature, elle prend la forme rayonnante d'une grande fleur. Les

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Fig. 155. Genèse de la palme à deux lobes. A: Tolède. Eglise de Sainte
Eulalie, caulicole d'un chapiteau (musee archéologique); A Eglise San
Roman; B, B': Grande Mosquée de Cordoue; C: Cuve de Merrâkech (1008).

panneaux qui constituent le soubassement du mihrâb de Cordoue permettraient à eux seuls d'en constituer un herbier opulent. Une silhouette notamment s'y rencontre, dont je dois signaler dès maintenant l'importance future, c'est celle de la feuille pliée, divisée en deux grands lobes pointus, inégaux et divergents. Cette présentation de l'acanthe n'est d'ailleurs pas inconnue de l'art antique. Il est des éléments du chapiteau corinthien où elle apparaît de très bonne heure. Ce sont les caulicoles, ou plutôt les bouquets qui accompagnent les caulicoles et envoient un de leurs lobes sous leur enroulement d'angle, l'autre sous leur enroulement de l'axe. L'art chrétien d'Espagne a hérité de ces

éléments classiques et a pu en fournir le modèle aux sculpteurs du Khalifat (fig. 155 AA'). Ils prennent, dans le soubassement du mihrâb de Cordoue, un développement remarquable. Leur évolution s'affirme dans une œuvre récemment découverte et d'une importance considérable pour l'histoire de l'art musulman. Je veux parler de la cuve de marbre datée de 1008, mise au jour dans une médersa de Merrâkech par M. J. Gallotti'. L'ensemble du décor (formes architecturales, épigraphie, faune et flore)

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Fig. 156.

Cuve trouvée à Merrakech (1008). Fragment (d'après J. Gallotti).

appartient sans conteste à l'art de la Grande Mosquée de Cordoue. Seule une large bordure à rinceau pourrait sembler un enrichissement postérieur, tant il se rattache étroitement au style du XII ou xIII° siècle (fig. 155 C, 156). Si l'on admet que cette partie du décor est bien contemporaine du reste, on doit la signaler comme le témoin d'une évolution singulièrement rapide du style dans la première moitié du xr siècle.

Les palmettes. Non moins riche que la collection des palmes généralement asymétriques, dérivés lointains de l'acanthe

1 Gallotti, Sur une cuve de marbre datant du Khalifat de Cordoue (991-1008 J. C. ap. Hesperis, 1923, pp. 363, ss.

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