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nefs furent prolongées de 95 coudées, (la coudée étant comme précédemment évaluée à 50 centimètres, cela donne un total de 47 m. 50, qui correspond assez bien à la profondeur de la nouvelle addition). Le passage couvert de l'émir 'Abd Allah fut naturellement supprimé et il fallut établir un mihrab nouveau. Une discussion curieuse s'éleva, au sujet de l'orientation de ce mihrâb, entre les architectes et les astronomes. Ceux-ci soutenaient que le mihrab devait, pour indiquer la direction de la Mekke, être incliné vers l'Est. Ceux-là voulaient s'en tenir à l'orientation Sud, (ou plutôt Sud-Ouest) des mihrabs précédemment construits en Espagne, et qui avait l'avantage de s'accommoder à la direction générale des nefs existantes et de l'édifice entier. Un pieux jurisconsulte mit fin à leur débat en donnant gain de cause aux architectes, pour des raisons qui n'avaient d'ailleurs rien d'esthétique. Il dit à l'Emir des Croyants que tout le monde s'était jusqu'alors tourné vers le Sud en faisant la prière, que les vénérables Successeurs des Compagnons du Prophète avaient orienté vers le Sud les oratoires qu'ils avaient construits dans ce pays. Cet argument convainquit le Khalife; la crainte des innovations dangereuses empêcha de désaxer malencontreusement le mihrâb de la Grande Mosquée.

Le mihrab et les parties avoisinantes forment un ensemble décoratif d'une grande beauté. En avant du mihrâb, des arcs enjambent la nef centrale, qui est un peu plus large que les autres, et les deux nefs adjacentes. Ces arcs sont portés par 20 colonnes, isolées, groupées ou accolées au mur de la qibla. Les espaces qu'ils délimitent sont couverts de coupoles que j'étudierai plus loin. La coupole du milieu, la plus riche, précède la niche du mihrab; les deux autres coupoles précèdent des portes donnant accès à des salles annexes de la Mosquée. Le cadre de ces ouvertures et les coupoles sont garnis de marbre sculpté et de mosaïques.

Ces mosaïques ont une place dans l'histoire du grand sanctuaire andalou. De même que son ancêtre El-Wâlid avait fait appel à l'Empereur de Constantinople pour se faire envoyer des mosaïstes afin de décorer les mosquées de Damas, de Médine et de Jérusalem, de même El-Hakam s'adressa à l'Empereur alors régnant pour obtenir de lui un artisan expert dans ce genre de technique proprement byzantine. Au reste voici comment s'exprime Ibn 'Adharî. Après avoir relaté en 965 la construction

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de la coupole précédant le mihrâb, il poursuit: «On commença les incrustations de mosaïque. El-Hakam avait écrit au roi

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des Roûm à ce sujet et lui avait ordonné (sic) de lui expédier un ouvrier capable, à l'imitation de ce qu'avait fait El-Walid

1 Bayán, II, 253, tr. II, 392. Phocas.

1

L'empereur qui régnait alors était Nicéphora

ben 'Abd el-Malik, lors de la construction de la mosquée de Damas. Les envoyés du Khalife lui ramenèrent le mosaïste, ainsi que trois cent vingt quintaux de cubes de mosaïque, que le roi des Roûm lui adressait à titre de présent. Le prince hébergea et traita largement le mosaïste, auprès de qui il plaça plusieurs de ses esclaves en qualité d'apprentis, et ces esclaves, travaillant avec lui, acquirent un talent d'invention qui leur fit dépasser leur maître; ils restèrent ensuite à travailler seuls, quand le maître mosaïste, de qui l'on pouvait dorénavant se passer, eut quitté le pays, non d'ailleurs sans avoir reçu du prince de riches cadeaux et des vêtements. Les ouvriers habiles venaient à l'envi et de toutes parts travailler au monument. »>

De ce texte important on retiendra, et l'emploi de la maind'œuvre serve, donc non-musulmane, à la décoration de la mosquée, et la formation de ces artisans par un chef d'équipe venu de Constantinople, et, semble-t-il, l'évolution rapide des thèmes décoratifs qu'il avait apportés avec lui.

Aux pieds-droits du nouveau mihrâb furent placées les quatre colonnettes de marbre qui soutenaient déjà l'arc d'ouverture de l'ancien. Deux mois après, on adossait au mur de la qibla l'ancienne chaire à prêcher et l'on installait l'ancienne maqçoûra. Elle était en bois, entièrement sculptée, intérieur et extérieur, et couronnée d'un crénelage comme celle de Kairouan; mais elle dépassait de beaucoup les dimensions de la future maqçoûra çanhâjienne elle mesurait 75 coudées sur 22 (soit 37 m. 50 sur 11); elle enserrait en profondeur six travées et en largeur cinq nefs 2. Une porte sur chacune des faces latérales, une autre en avant permettaient d'y accéder de la salle de prières.

Une autre entreprise utile d'El-Hakam fut de pourvoir la Mosquée de nouveaux réservoirs et de vasques à ablutions. Quatre (ou huit) réservoirs furent établis à l'Est et à l'Ouest deux grands pour les hommes, deux plus petits pour les femmes. L'eau amenée de la Sierra y coulait jour et nuit après avoir passé dans un vaste bassin de décantation. Le trop plein était conduit par des canaux dans deux énormes cuves de pierre. L'extraction et le transport de ces cuves fut un travail mémorables. Les deux blocs,

1 Bayân, texte, II, 254.

2 Maqqârî, texte, I, 362, tr. Gayangos, I, p. 221.
3 Maqqari, texte I, 365; tr. Gayangos, I, 226-227.

choisis dans une carrière de la montagne et travaillés sur place, furent disposés sur un plateau de bois, enveloppés dans une forme arrondie renforcée d'armatures de fer, ou placés sur un charriot que traînèrent soixante robustes boeufs sur une route établie à cet effet. Au bout de douze jours, le convoi parvenait à la Mosquée et les cuves étaient encastrées dans les excavations préparées pour les recevoir.

Enfin, d'après Ibn 'Adharî, non content d'avoir déplacé l'ancien minbar, El-Hakam II en fit construire un neuf1. Il était incrusté de bois de santal, rouge et jaune, d'ébène, d'ivoire et d'aloès. Il coûta 35.705 dînârs et l'on mit cinq ans à l'exécuter.

L'agrandissement par El-Mançoûr. En 377/987, on entrepre nait de nouveaux agrandissements, qui devaient accroître la Mosquée de plus d'un tiers. Cordoue avait reçu un surcroît de population assez considérable du fait de la venue des Berbères, attirés par le ministre El-Mançoûr pour briser la puissance des Slaves. La Grande Mosquée parut insuffisante. Or il n'était possible de l'étendre, ni de nouveau vers le Sud, où la rive du fleuve était proche, ni vers l'Ouest, où elle devait être peu éloignée du Palais, ni vers le Nord, où il eût fallu abattre le minaret. Restait le côté Est. El-Mançoûr procéda aux expropriations nécessaires et l'on bâtit 8 nouvelles nefs, de largeur un peu inférieure à celle des nefs déjà existantes. Le mur occidental de la salle de prières et de la cour pareillement agrandie fut repoussé de 50 mètres. El-Maqqârî prétend que, pour s'acquérir de plus grands mérites, El-Mançoûr y fit travailler des captifs chrétiens de Castille chargés de leurs chaînes. Nous joignons ce renseignement sur l'emploi d'une main-d'œuvre non-musulmane à ceux que nous avons déjà enregistrés. « Dans ce travail, nous dit l'auteur du Bayân, ce fut par dessus tout la solidité et le fini, mais non la richesse de la décoration que rechercha El-Mançoûr, bien que la portion qui lui est due ne soit pas inférieure en qualité à aucun des agrandissements successifs qui furent faits à l'édifice". » Telle est bien l'impression qui s'en dégage. Cette partie de la Mosquée est plus simple, elle offre plus d'unité et aussi plus de mono

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1 Bayán, II, 268, tr. II, 413; Edrisi, tr. Dozy de Goeje, p. 260; Maqqârt, texte I, 362.

2 Maqqâri, texte, I, p. 359.

3 Bayán, II, 307-308, tr. II, 477-478.

tonie que le reste du monument. Elle a le désavantage de le désaxer et d'en rompre la symétrie.

La Grande Mosquée de Cordoue ne devait pas recevoir d'agrandissements nouveaux; elle était telle que la vit Edrîsî, au milieu du XII° siècle, lorsque l'ancienne capitale des Khalifes « était écrasée sous la meule de la discorde ». Lui et les autres auteurs qui nous en ont parlé ont accumulé les détails destinés à nous en exprimer la grandeur. Ils ont dénombré les colonnes, fait

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le compte des lampes, estimé l'huile et les mèches que l'on y consommait, le poids des cierges et des parfums qu'on y brûlait surtout pendant le ramadhân. Ils ont énuméré ses desservants, imâms, lecteurs du Coran, intendants, mueddins, portiers et allumeurs. Son ampleur et sa beauté ont frappé l'esprit des Chrétiens comme des Musulmans. Mutilée en 1523 par l'architecte Hernan Ruiz, elle parut encore splendide 1. Quand Charles

1 Il fut alors question de la démolir. La démolition fut empêchée par le Cabildo municipal et par son président, Luis de la Cerda. Cf. Miguel Angel Orti, Oposicion del Cabildo municipal de Cordoba a la construccion del crucero de la Mezquita, ap. Revista de Archivos, mai-juin 1917, pp. 400 ss.

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