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quent en partie l'influence orientale si frappante dans les œuvres du XI° siècle.

Toutefois plusieurs points demeurent obscurs dans ce chapitre d'histoire de l'art. Faute de documents, la transition reste peu perceptible entre l'art du 1x et l'art du x1° siècle. Des œuvres comme le porche de la Mosquée de Mahdîya, comme la Grande Mosquée de Monastir et la petite mosquée funéraire de la Saïyda, nous laissent supposer que cette transition existe, que les formes nées en Orient ne se substituent pas d'un bloc aux formes de l'art roman d'Afrique. Il semble que ces dernières ne se soient éliminées que peu à peu et peut-être jamais complètement.

Une question moins facile à résoudre est celle que je formulais au début de ce chapitre. Jusqu'à quel point l'art des Fâtimides résidant en Ifrîqya annonce-t-il l'art des Fâtimides du Caire? Il ne nous est pas encore possible de répondre. Il semble qu'on doive considérer le style fâtimite d'Egypte comme issu du style toûloûnite, nourri d'influence persane et d'éléments syriens. L'apport de la Berbérie, s'il existe, apparaît comme assez mince. On notera cependant, à titre d'indication, l'emploi du décor inscrit dans un carré posé sur la pointe. Ce thème courant des décors fâtimites égyptiens peut être né en Ifrîqya, où son emploi est attesté au 1x siècle (Grandes Mosquées de Kairouan et de Sousse 1).

La transmission au x° siècle de quelques formules d'Occident en Orient n'est pas impossible; la transmission au xr de formules d'Orient en Occident est incontestable. Il resterait à déterminer quel pays oriental - j'entends oriental pour la Berbérie - a le plus fourni à l'Ifrîqya çanhâjienne l'Egypte ou la Mésopotamie? Il est raisonnable de supposer que l'Egypte, avec laquelle les rapports étaient plus faciles et plus réguliers, eut une influence plus directe. Certains décors de la Qal'a nous ont paru procéder d'œuvres créées au Caire. Cependant nous avons pensé que parfois la transmission s'était faite directement de Mésopotamie en Ifriqya. Nous avons cru reconnaître dans certains motifs (nids d'abeille, conques de niches à nervures

1 H. Saladin (Manuel, p. 192) considère que la mosquée à large nef cen trale fut portée de Tunisie en Egypte par les Fàtimides (El-Azhar). Cela n'est pas impossible. Mais il convient de rappeler que les deux mosquées de Samarra présentent aussi ce trait. (Cf. Sarre-Herzfeld, Archäologische Reise, III, pl. XIV et XX).

emboîtées, incrustations céramiques) des apports directs des grands centres 'abbâssites, en particulier de Raqqa. L'étude des inscriptions a conduit Flury à affirmer que le coufique tressé de Kairouan était de même une création purement asiatique et que rien ne permettait de supposer ici l'intervention de l'Egypte fâtimite.

Toute cette question, comme bien d'autres, devra être reprise quand on connaîtra mieux l'art d'Egypte et l'art de Perse contemporains. De même il nous est encore difficile de suivre une évolution durant cette période de deux siècles et demi que nous venons d'étudier. Trop de lacunes nous empêchent de marquer avec netteté les étapes que devaient représenter Mahdîya, Çabra-Mançoûriya, la Qal'a des Benî Hammâd, Bougie et Tunis. Il semble cependant qu'on pourrait caractériser de la manière suivante l'art décoratif des différents centres étudiés ici l'art de Monastir nous apparaît robuste, avec des gaucheries qui rappellent l'âge antérieur ; l'art de Çabra et Kairouan très élégant, nerveux, est d'une technique remarquable, soit qu'il s'exprime dans le marbre des chapiteaux et des stèles. dans le bois de la maqçoûra, ou dans la peinture des plafonds; celui de la Qal'a est plus lourd, de facture plus molle et, aut regard de l'art kairouanais, d'allure assez provinciale; l'art de Bougie, enfin, manifeste une tendance à la complication des formes; le décor y revêt un caractère moins pur et, si l'on peut ainsi s'exprimer, plus flamboyant.

Nous voudrions de même déterminer les limites géographiques exactes de cet art de la Berbérie orientale. Il serait logique de considérer que son extension vers l'Ouest coïncidait avec celle du domaine fâtimite et des états çanhâjiens. Un monument que l'on peut dater du x siècle, la mosquée du Vieux Ténès, nous montre, en plein Maghreb central, l'emploi de procédés constructifs évidemment importés d'Ifriqya1. Les plafonds des nefs, couvertes en terrasses, y reposent sur des colonnes par l'intermédiaire d'arcs en fer à cheval déformé et d'impostes à tirants de bois. En revanche, quelques morceaux de sculpture deux chapiteaux recueillis à Achir2, au Sud d'Alger, un chapiteau trouvé à

1 Cf. A. Dessus-Lamare et G. Marçais, La Mosquée du Vieux Tenès, ap. Revue africaine, 1925, pp. 538, ss.

2 Cf. mon article: Achir, ap. Rerue africaine, 1922, pp. 218, ss.

Bougie', semblent révéler, sur ces confins du royaume hammâdite, la pénétration de l'influence maghrebine ou andalouse.

Il est regrettable que l'art de Bougie nous soit si mal connu. La seconde capitale des Benî Hammâd fut en son temps, c'est-àdire après l'écroulement de tous les centres politiques de l'ancien domaine fâtimite, le refuge de la culture et de la vie artistique. En elle survivait la splendeur de la Qal'a, que l'on avait dépouillée à son profit. Il ne paraît pas absurde de supposer que par elle l'art de Berbérie orientale put se transmettre à la Sicile normande. L'auteur qui a le mieux exprimé l'importance économique de Bougie est Edrisi, le géographe du roi Roger. Bougie est pour lui la grande ville de Berbérie.

Nous avons indiqué les points multiples composition des façades, ordonnance des plans, détails du décor par où les palais siciliens rappelaient les palais de la Qal'a. Paul Blanchet avait déjà indiqué plusieurs de ces analogies. Saladin, tout en reconnaissant la légitimité de tels rapprochements, exprimait l'opinion que « le style des monuments de la Qal'a ne peut en aucune façon être dérivé de celui des monuments siculo-arabes, puisque ceux-ci sont postérieurs 2. » Et cela est de toute évidence; mais il considérait l'architecture sicilienne et l'architecture hammâdite comme sans rapports directs entre elles et isolément inspirées l'une et l'autre de l'art asiatique. Sans doute faut-il tenir compte de l'influence possible de l'Egypte fâtimite sur la Sicile normande; cependant les conditions historiques rendent on ne peut plus vraisemblables les relations directes entre la Berbérie çanhâjienne et la Sicile, et la transmission de formules de la première à la seconde. A l'époque où s'élevaient la Ziza et la Cuba, les palais de la Qal'a étaient abandonnés et la ville en partie dépeuplée, mais les palais de Bougie, l'Etoile, Amimoûn, la Perle, étaient encore dans tout l'éclat de leur jeunesse, et « l'œil des Etats hammâdites », comme dit Edrîsî, pouvait projeter sur la grande île voisine le reflet de l'art çanhâjien sur le point de disparaître.

Au reste, les maîtres éclectiques de Palerme n'empruntaient pas à la Berbérie orientale seule les modèles de leurs décors.

1 Dessiné par Delamare, Exploration scientifique de l'Algérie. Archéologie. 2 H. Saladin, Deuxième note sur les monuments arabes de la Kalaa des Beni Hammad, ap. Bulletin archéologique, 1005, p. 186.

J'ai signalé que quelques arabesques portent la marque de l'influence maghrebine ou andalouse. Et ce n'est pas une des moindres originalités de la Sicile normande d'avoir réalisé, outre bien d'autres accords, celui de deux provinces très différentes de l'art musulman.

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Lorsqu'en 139 de

Les Omeiyades en Syrie et en Espagne. l'hégire (756 de notre ère) le fondateur de l'empire de Cordoue l'Omeiyade 'Abd er-Rahmân débarqua sur la côte d'Espagne, il y avait quarante cinq ans que la première armée musulmane, composée d'Arabes et surtout de Berbères, avait fait son apparition dans la péninsule et l'avait conquise sur les Wisigoths. La dynastie fondée par 'Abd er-Rahmân « l'Immigré » subsistera jusqu'au début du x1° siècle; son histoire occupe une période de deux cent cinquante ans, qui compte pour une des grandes époques de l'Islâm et, en particulier, une des époques les plus fécondes de l'art musulman.

Avant de régner sur l'Espagne, la famille à laquelle devaient appartenir les Khalifes de Cordoue avait déjà fourni une brillante carrière de quatre-vingt-dix ans à l'autre extrémité de la Méditerranée; les ancêtres des Khalifes omeiyades de Cordoue sont les Khalifes omeiyades de Damas, et l'on trouverait déjà, chez ces princes syriens, plus d'un trait qui devait se marquer chez leurs descendants. Succédant aux Khalifes « de la bonne voie », compagnons de Mahomet, les Omeiyades avaient donné au pouvoir suprême du Commandeur des Croyants un caractère nouveau ;

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