Images de page
PDF
ePub

des monuments siciliens avec les monuments du Caire, les mosquées d'Ibn Toûloûn ou d'El-Hâkim. On notera que l'arc brisé non outrepassé apparaît de même dans les fortifications de Mahdîya, au minaret de la Qal'a des Benî Hammâd et à la porte Sarrazine de Bougie.

Les murs de l'église San Cataldo sont couronnés d'une crête en pierre découpée, sorte de crénelage décoratif, se profilant en fines dentelures (Fig. 113). L'Egypte a connu des motifs analogues depuis l'époque toûloûnite. Nous les avons rencontrés au minaret de la Grande Mosquée de Sfax. Des fragments de marbre incrustés de stuc exhumés à la Qal'a paraissent avoir joué ce rôle (Fig. 112). Au haut de la porte de la bibliothèque de Kairouan nous en trouvons une traduction en bois découpé (Fig. 111). Le kiosque de la Cubola, Saint-Jean des Ermites, San Cataldo se signalent au loin par des coupoles hémisphériques surhaussées. Cette forme est peu fréquente dans l'art musulman. Les vieux tombeaux tlemceniens d'El-'Eubbâd présentent avec la Cubola une frappante analogie, mais leurs coupoles hémisphériques ne sont pas surhaussées. En existait-il dans la Berbérie orientale ? Nul ne peut l'affirmer. Je rappellerai seulement que le donjon du Fanal, si proche parent des palais siciliens', devait être surmonté d'une coupole visible de l'extérieur, ce qui laisse supposer un surhaussement assez sensible. Quoi qu'il en soit, le terme même de Cuba, dont on désignait un des palais, paraît établir l'origine musulmane de leurs coupoles. L'archéologue Saverio Cavallari et l'historien Amari ont souligné le fait que ces coupoles n'étaient pas portées par des pendentifs, suivant la formule byzantine, mais par des trompes suivant la formule persane 2. Bien que les architectes byzantins n'aient pas ignoré la trompe, il est certain que celles-ci semblent bien d'inspiration asiatique. A Saint-Jean-des-Ermites et au kiosque de la Cubola, ces trompes sont en demi-voûte d'arête, tout comme au Fanal de la Qal'a.

J'ai parlé des stalactites ou encorbellements en nids d'abeille des palais voisins de Palerme. La Chapelle Palatine offre aussi un plafond dont la corniche est composée de ces savantes combinaisons de trompillons et de plans incurvés; la partie centrale

1 Cf. supra, p. 122.

2 Amari, Storia, III, 844.

étant formée de coupolettes côtelées inscrites dans des étoiles à huit pointes. Ici l'inspiration musulmane n'est pas niable. Toutefois un doute subsiste quant à la province qui en a fourni le modèle aux architectes siciliens. Je l'ai déjà indiqué; j'ai mentionné les stalactites de la Cuba et les décors qui les accompagnent, si voisins de ceux de la Grande Mosquée de Tlemcen que, pour en comprendre la genèse, l'étude de cet édifice maghrebin est indispensable (Fig. 107).

[graphic][merged small][merged small][merged small]

Ce décor au reste constitue une exception dans les édifices normands. Les décors où l'inspiration musulmane se révèle se rattachent à l'Egypte ou à la Berbérie orientale. De l'Egypte peut venir le décor sculpté sur des portes de la Martorana, qui présentent une remarquable analogie avec les portes de la mosquée fâtimite d'El-Hâkim. On noterait également, dans certains panneaux, des figures très apparentées avec le décor peint des plafonds de Kairouan 1. Il en est de même pour les peintures de la Chapelle Palatine. La Perse, soit directement, soit par l'inter

1 Cf. nos Coupoles et plafonds de la Grande Mosquée de Kairouan.

médiaire de l'Egypte, voire de la Berbérie voisine, a fourni les scènes à personnages et animaux dont les artistes de la cour de Roger II ont revêtu toutes les surfaces du plafond

les joueurs

[graphic][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

d'échecs, les buveurs, les musiciens, les danseurs, les lutteurs et les chasseurs alternent avec «lions et griffons, faucons et chameaux, paons et perroquets, oiseaux à têtes d'hommes... Mais ce qu'on trouve de plus curieux peut-être dans cette décoration, c'est tout un cycle de sujets légendaires tirés des vieilles tradi

tions orientales, et qui nous montrent l'oiseau géant promenant un homme à travers les espaces 1.>>

Accompagnant cette décoration peinte d'inspiration musulmane, la décoration mosaïque est d'un tout autre caractère. Elle trahit l'intervention de la main-d'oeuvre grecque. La mosaïque

[graphic][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small]

est, comme on sait, une technique essentiellement byzantine. L'ordonnance des compositions à personnages religieux, le style des figures et la langue même des inscriptions montrent qu'ici les princes normands ont eu recours aux Chrétiens de Constantinople ou à leurs descendants établis en Sicile. Et cependant, ici encore, les bordures et les panneaux à entrelacs géométriques

1 Diehl, Palerme et Syracuse, p. 99.

sont comme des rappels de l'art musulman contemporain. Encadrant les effigies de prophètes ou de saints, voisinant avec les scènes de l'Evangile et les thèmes des contes orientaux, ils achèvent d'exprimer, dans un ensemble infiniment complexe mais non disparate, le monde extraordinaire qui les a vus naître.

CONCLUSION

Le Ix siècle a vu se développer un art que l'on a cru pouvoir désigner sous le nom d'« art roman d'Afrique », art assez profondément imprégné des traditions chrétiennes encore vivantes dans le pays. L'époque que nous venons d'étudier marque le triomphe d'un élément dont la part était restée jusqu'alors limitée l'influence de l'Orient. C'est surtout au x1° siècle que cette influence se révèle. Elle s'impose sous les émirs Çanhâja, famille berbère qui gouverne la Berbérie orientale au nom des Khalifes fatimides d'Egypte. En sorte que l'on peut formuler cette constatation paradoxale : l'art musulman, africain dans une large mesure tant que les maîtres de l'Afrique sont Arabes, devient asiatique avec l'apparition de la première dynastie autochtone. Le paradoxe n'est qu'apparent.

Il semble qu'au 1x siècle l'art musulman d'Asie n'ait pas une force d'expansion suffisante pour s'imposer à la Berbérie ; tandis qu'il triomphe en Egypte dans les monuments toùloûnites. L'Ifriqya d'autre part est encore en possession de traditions assez vivantes, les œuvres et les artisans, chrétiens ou convertis de fraîche date, sont assez nombreux pour fournir dans une large mesure aux besoins des nouveaux maîtres du pays.

Au x siècle, ces traditions sont oblitérées. Cependant les événements amènent au pouvoir une tribu berbère encore très près de la barbarie primitive; ces bédouins doivent se donner une culture. Représentant des princes orientaux, c'est à l'Orient qu'ils demandent les formes de leur art, comme ils en attendent l'investiture de leur dignité. C'est d'abord vers l'Egypte, siège du Khalifat, qu'ils tournent les yeux, vers Baghdâd ensuite; car Baghdad, dont ils reconnaîtront aussi la suzeraineté, jouit d'un prestige incomparable. Ainsi les conditions historiques expli

« PrécédentContinuer »