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neaux à entrelacs rectiligne d'agencement très ingénieux, mais qui n'éveillent pas encore l'idée de la géométrie proprement musulmane. Celle-ci se caractérise par l'emploi du polygone étoilé, où les angles rentrants alternent avec les angles sortants, ces polygones étant composés par l'entrecroisement de galons continus, qui vont, suivant un rythme régulier, former plus loin des figures identiques.

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L'étoile la plus simple est l'étoile à huit pointes, dont tous les angles sont droits. Cette étoile, du reste, n'est absente des boiseries de la Grande Mosquée de Kairouan, mais elle n'y est pas engendrée par un entrecroisement de lignes continues. A la Qal'a des Beni Hammâd, elle apparaît avec ce caractère indispensable pour constituer l'arabesque géométrique; nous l'y trouvons taillée dans des plaques de faïence. Dans les pavages du Dâr el-Bahr, des croix à branches égales terminées en pointe se combinent avec des étoiles (fig. 70, à gauche); et

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Fig. 101.

mad.

Qal'a des Beni HamEntrelacs géométrique

sculpté en plâtre.

cette forme, ainsi que la technique qui la traduit, s'affirme comme une importation égyptienne ou persane. Aux lambris du même palais elle apparaît sculptée dans le plâtre, formée par les entrecroisements d'un galon orné de pastilles (fig. 101). On déterminerait sans trop de peine les modèles d'Egypte qui ont ici inspiré le décorateur hammâdite 1.

A l'élément géométrique s'apparente un genre de décor qui met également en oeuvre des galons de largeur constante, mais dont l'épure procède des formes architecturales, en particulier de l'arc festonné. Souvent un galon accompagne ces arcs, les circonscrit et les relie au cadre par un noeud circulaire. L'emploi de ce galon est très ancien et très général dans l'art musulman. L'époque aghlabite le connaît déjà et, dès le x1° siècle, on le

1 Cf. supra, fig. 73. Voir aussi la voûte en berceau du Borj ed-Dafar, reproduite par Creswell, ap. Bulletin de l'Institut français du Caire, XVI, pl. X.

rencontre en Espagne comme en Egypte. On le trouve également vers le même temps à la Qal'a des Beni Hammâd. Des fragments conservés au Musée de Bougie nous le montrent entrant dans des combinaisons très compliquées.

IV. LA SICILE MUSULMANE ET NORMANDE.

La domination musulmane et la domination normande en Sicile. La Favara. La Cuba. La Zîza.

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même époque.

La Cubola.

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Autres édifices de Les grandes formes de l'architecture sicilienne.

en

La domination musulmane et la domination normande Sicile. De très bonne heure, les gouverneurs musulmans d'Ifriqya avaient dirigé contre les côtes de Sicile des expéditions de pillage. Mais ce fut l'Aghlabide Ziyâdet Allah qui en 212/827 entreprit d'enlever la grande île à ses maîtres byzantins. Les Fatimides, s'étant substitués aux Aghlabides, achevèrent d'en faire une province de la Berbérie musulmane. Cette province devait au reste manifester souvent à l'égard de la métropole une certaine indépendance. Etablis dans les vieilles cités siciliennes, les musulmans immigrés, issus de cette fameuse milice arabe dont nous avons vu la turbulence à l'époque aghlabite, y avaient constitué une aristocratie municipale, jalouse de ses droits. prompte à la révolte contre les gouverneurs envoyés d'Afrique. Leurs villes étaient d'ailleurs florissantes. Le géographe Ibn Hawqal nous représente alors Palerme comme une agglomération d'environ 300.000 habitants, et qui, pour le nombre des mosquées, ne le cédait qu'à Cordoue.

Lors du départ des Fâtimides pour l'Egypte, la Sicile fut exclue de la part des émirs Çanhâjiens et laissée à une famille d'origine arabe, qui y représentait déjà le gouvernement des Khalifes de Kairouan.

Sans doute, au XIe siècle, la Sicile, n'eut pas à souffrir, comme la Berbérie voisine, de la ruineuse invasion des Arabes et elle profita même du sauve-qui-peut qui dépeuplait les campagnes d'Ifriqya; mais une autre circonstance devait, outre les guerres civiles persistantes, entraver son développement économique : l'apparition des Normands enleva aux Musulmans, négociants et pirates, la maîtrise de la Méditerranée occidentale. Les coups de main audacieux de ces aventuriers se terminèrent en 1061

par leur débarquement en Sicile et, vingt-huit ans après, par la conquête intégrale du pays.

On connaît l'extraordinaire roman des fils du seigneur normand Tancrède de Hauteville, devenus Grands Comtes de Sicile de Roger er et de ses successeurs, Roger II, Guillaume Ire et Guillaume II. Tout est surprenant dans cette aventure: le théâtre et les acteurs. Cette Sicile, si profondément hellénisée, où survit une nombreuse population byzantine, où des Arabes ont implanté l'Islâm et où s'est développée la civilisation musulmane, tombe aux mains de condottieri normands qui vont se laisser gagner à la douceur méditerranéenne et témoigner une sympathie inattendue au monde étrange dans lequel les hasards de la conquête les ont brutalement introduits. « Vers cette même fin du x1° siècle, d'autres Normands, ceux d'Angleterre, n'avaient su qu'écraser les Saxons vaincus. Les Normands de Sicile agirent d'autre sorte. Entre les catholiques, les Grecs, les Musulmans, ils voulurent ne mettre aucune différence; comme leurs frères, les Normands de Syrie, devaient le faire un peu plus tard, ils surent s'accommoder aux mœurs, aux habitudes de leurs nouveaux sujets, traitant chacun avec ménagement, partageant également entre tous leurs faveurs et leurs libéralités. Tout en restant Normands, ils surent se faire Byzantins et Arabes et donner, en plein x1° siècle, un bel et rare exemple de tolérance politique et d'impartialité religieuse). Il faut lire dans Ibn Jobaïr, le voyageur espagnol du XIe siècle le récit du séjour qu'il fit dans l'île à son retour de la Mekke 2. Ce pèlerin soupçonneux et prompt à se scandaliser marche d'étonnement en étonnement. Sans doute, il déplore que les Chrétiens soient venus « se placer entre les Musulmans et la richesse, sur le sol dont ces derniers tiraient jadis une subsistance aisée »; mais il se réjouit d'entendre tomber des minarets l'appel à la prière sur cette terre chrétienne et de voir ses coreligionnaires des deux sexes si nombreux dans l'entourage immédiat de Guillaume II. Il nous peint celui-ci, pendant un tremblement de terre, parcourant son palais où ses pages et ses femmes invoquent Allah et le Prophète, et qui, les trouvant un peu effrayés à son approche, leur dit : « Que chacun de vous

1 Diehl, Palerme el Syracuse, pp. 62-63.

2 Amari, Extrait du voyage... de Mohammed ebn-Djobair, ap. Journal Asiatique, 1845, II, 1846, I.

prie le Dieu qu'il adore; quiconque aura foi dans son Dieu sentira la paix dans son cœur ». Il nous montre enfin l'organisation musulmane du gouvernement, les mœurs musulmanes installées à la cour; il nous cite les titres arabes des dignitaires et les noms arabes des palais. Il nous laisse entrevoir les ouvriers musulmans travaillant encore, suivant leurs traditions propres, pour complaire à leur maître chrétien.

Même si les monuments encore debout ne révélaient assez clairement l'influence persistante de l'Islâm, un tel témoignage autoriserait à faire entrer en partie l'art de la Sicile normande dans le cadre de la présente étude.

Il n'y a pas lieu, semble-t-il, de distinguer ici les différents genres d'architecture, religieuse, civile, militaire, selon le plan adopté pour les époques successives de l'art en pays musulman. La Sicile qui doit nous occuper n'appartient plus à l'Islâm. On ne saurait y étudier d'édifices consacrés au culte d'Allah. Quelques restes hypothétiques d'une mosquée, près de l'église Saint-Jean-des-Ermites, sont insuffisants pour nous faire connaître l'architecture religieuse. L'architecture civile des maîtres musulmans de l'île n'est guère mieux représentée. La Sicile monumentale qui nous intéresse est presque exclusivement une terre chrétienne. Les fondations des rois normands portent d'ailleurs la marque assez reconnaissable du style que nous venons d'étudier en Berbérie. J'essaierai du moins de le démontrer, par l'examen des édifices les plus significatifs du xno siècle.

La Favara. Il n'est presque rien resté de la Favara de Palerme, que l'historien Amari croit pouvoir dater de l'époque arabe et attribuer à l'émir Ja'far (998-1019) 1. Les auteurs arabes nous la représentent comme un ensemble de bâtiments se développant autour d'une cour à portiques et entouré, sur trois de ses faces, par un vaste bassin. De là le palais aurait reçu le nom de Castello di mare dolce. On pense au Dâr el-Bahr de la Qal'a et aux lacs artificiels des demeures de Raqqâda et de Çabra. Le nom de Favara (fawwâra : jet d'eau) évoque aussi l'idée du rôle que les eaux descendant de la montagne voisine tenaient dans le décor de cette résidence princière. Une façade en ruine con

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1 Amari, Storia dei Musulmani, III, 848-849. Cf. Extrait du voyage... d'Ebn Djobaïr, tir. à p. du Journ, Asiatique, p. 76.

serve encore quelques-unes de ses arcades aveugles, motif caractéristique des édifices siciliens que nous avons à étudier.

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A part la Favara, dont la date n'est pas certaine, ces édifices sont l'œuvre des rois normands. Dans Palerme même, ils avaient un palais. Roger II l'avait fait construire dans le quartier de la haute ville, dont le nom de Cassaro rappelle le Qaçr musulman. Nous ne le connaissons guère que par les descriptions des contemporains. « Avec ses robustes murailles faites de blocs soigneusement taillés, les hautes tours qui couronnaient son enceinte, les passages étroits et les couloirs souterrains par lesquels on y pénétrait, ce palais offrait, à l'extérieur, l'aspect d'une forteresse ». Aujourd'hui encore, la Torre di santa Ninfa (ancienne Tour pisane) et la construction voisine que l'on nommait Joharia (en arabe, le joyau) où, d'après Hugues Falcand, était enfermé le trésor royal, conservent bien ce caractère. Les trois étages du bâtiment s'accusent par trois étages d'arcades aveugles. De l'intérieur, dont les voyageurs nous ont vanté la richesse, où l'on trouvait notamment une fontaine aux lions comme à l'Alhambra de Grenade, il ne reste qu'une petite pièce datant, dit-on, de Roger II. Elle est couverte d'une voûte d'arête et décorée de marbres et de mosaïques.

Mieux conservés sont les pavillons élevés dans la plaine de Palerme et qui, enveloppés de jardins et de parterres d'eau, <« étaient, dit Ibn Jobaïr, disposés autour de la ville comme un collier qui orne la belle gorge d'une jeune fille ».

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La Cuba. La Cuba fut bâtie par Guillaume II. Elle est construite, comme tous ces édifices siciliens, en pierre calcaire de moyen appareil bien taillée. En plan, elle couvre un rectangle de 30 m. sur 18. Au milieu des quatre côtés font saillie des avant-corps barlongs, qui évoquent le souvenir des palais hammidites, du Fanal et du Dâr el-Bahr. Ce souvenir est précisé par des défoncements montant du sol jusqu'au sommet, qui divisent les façades en grands registres verticaux et portent des voussures brisées ou plein cintre. Une moulure en gorge les entoure comme au porche fâtimite de Mahdiya. Le fond de ces arcades aveugles est lui-même meublé de quatre étages de défoncements. Le rapprochement s'impose avec le minaret de la Qal'a des Benî

1 Diehl, Palerme et Syracuse, p. 99.

2 Kiddin, mot couramment employé en Tunisie. Cf. Amari, J. As 1816, II.

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