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fournir colonnes et chapiteaux Hadrumète, Sufetula, Djaloûlâ, durent être dépouillés au profit de Kairouan. Sa Grande Mosquée est un musée de l'art païen et chrétien. On y trouve des chapiteaux qui ont leurs analogues à Constantinople, à Ravenne, à Venise ou à Parenzo. Ces matériaux pouvaient être achetés aux importateurs d'outre-mer ou réquisitionnés dans le pays. On nous dit qu'une colonne de marbre vert avait été payée un gros prix par le gouverneur Yazîd ben Hâtim. Celles qui figuraient dans les anciennes basiliques en étaient naturellement retirées sans scrupule; mais on hésitait à prendre celles qui étaient déjà entrées dans la construction de mosquées. Ziyâdet Allah consulta un homme connu pour sa piété au sujet d'une colonne qui se trouvait dans une mosquée en ruine du Sahel et qu'il voulait apporter à la Grande Mosquée de Kairouan. Le saint personnage blama ce transfert. D'autres colonnes et chapiteaux provenaient de contributions volontaires, de dons faits aux mosquées par des Musulmans généreux, désireux de s'acquérir des mérites aux yeux de Dieu.

Un texte épigraphique se rapporte à cette quête des fûts de marbre par les agents des émirs aghlabides ou par les donateurs. Sur deux colonnes de la Grande Mosquée de Kairouan se lit, en beaux caractères du Ix siècle gravés en creux, les mots : « lil masjid pour la mosquée », consécration d'une pièce de choix au sanctuaire le plus vénéré de la Berbérie (fig. 3).

Fig. 3.
Mosquée.

Kairouan.

Grande Inscription gravée sur une colonne. « Pour la mosquée. >>

Tels sont les enseignements

que nous apportent, sur ces premières œuvres musulmanes de l'Ifriqya, les chroniqueurs, les géographes et les quelques textes épigraphiques relevés jusqu'à ce jour. Fondations d'émirs orienfaux vassaux de Baghdad, quelquefois entreprises la Grande Mosquée de Tunis en fait foi au nom de leurs maîtres euxmêmes, les édifices de l'époque aghlabite ont été exécutés avec

1 Les Musulmans s'empressèrent d'enlever à une basilique et de transporter

à la Mosquée de Kairouan deux splendides colonnes rondes tachetées de jaune, apprenant que l'empereur de Constantinople voulait les acheter au poids de for. Bekri, tr. 52-53

les moyens dont disposait alors le pays naguère chrétien. L'étude de ces édifices va nous permettre de reconnaître comment se marquent ces conditions historiques.

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La Grande Mosquée de Kairouan.

Organes essentiels de la

mosquée. Coup d'œil sur leur origine. Plan de la Mosquée de
Kairouan. La salle de prières. La cour. Les mîdhâ. Le minaret.
Construction : les organes de support et les arcs. Les portes.
Murs et contreforts.
La Grande Mosquée de

Les coupoles.

Tunis. La Grande Mosquée de Sousse.
Portes, à Kairouan.

La Mosquée des Trois

La Grande Mosquée de Kairouan. D'après les traditions, la Grande Mosquée de Kairouan est l'ancêtre de tous les édifices religieux du monde musulman occidental 1. 'Oqba ben Nâfi' aurait fait la prière sur son emplacement avant même qu'elle ne fut construite. Une révélation divine lui aurait désigné le point où devait s'élever le mihrab et aurait ainsi répondu aux vœux de tous en marquant la qibla, c'est-à-dire la direction de la Mekke. On prévoyait, en effet, que les habitants du Maghreb se régleraient sur la qibla de cette mosquée, quand ils en construiraient d'autres. Ce sanctuaire primitif aurait été, à l'exception du mihrab miraculeux, entièrement abattu et reconstruit par Hassân ben En-No'mân vers 695. Devenu trop petit pour les besoins de la population, il aurait subi un agrandissement vers le Nord au temps du Khalife Hichâm (724-743). L'ensemble de la mosquée aurait été dès lors amené à ses dimensions actuelles. Le minaret occupait la même place et sa base couvrait la même surface.

1 Sur l'histoire de la Mosquée, cf. El-Bekri, éd. pp. 22-24, tr. pp. 52-56; Bayán, éd. I, pp. 13-14, tr. I, p. 16; En-Nowayri, ap. Ibn Khaldoûn, Hist des Berbères, tr. de Slane, I, pp. 329-330, 385, 412, 420. Sur les mosquées de Kairouan qui auraient, d'après d'autres traditions, précédé la Grande Mosquée, cf. Ibn Naji, Ma'álim el-îmân, cité par Houdas et Basset, ap. Bull. de correspondance africaine, 1884, pp. 47-50.

En 157/774, le gouverneur Yazid ben Hâtim réédifia la mosquée '. Enfin, au mois de Jomâda II de l'an 221 (Mai-Juin 836), l'émir aghlabide Ziyâdet Allah démolit complètement la mosquée de Hassan et de Yazid et la rebâtit, y dépensant 86.000 mithqals, soit environ 800.000 francs. Il voulait qu'elle datât de lui, et on eut bien de la peine à lui faire respecter le mihrab de 'Oqba, auquel Hassan ben En-No'mân n'avait pas osé toucher 2. Ce détail appelle un commentaire que nous ferons plus loin.

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La Grande Mosquée ainsi complètement renouvelée par Ziyâdet Allah devait être agrandie par deux de ses successeurs : par Aboû Ibrâhîm Ahmed en 248/862 et par Ibrâhîm II vers 261/875. Celui-ci fit prolonger les nefs de la salle de prières vers l'Ouest et construire à l'extrémité de la nef médiane la coupole de la Porte du Pavillon (Qoubbat Bâb el-Bahoû). El-Bekrî nous donne de cette coupole une description qui prouve qu'elle a subi depuis de fâcheuses restaurations. D'autres remaniements devaient intervenir. Nous indiquerons les plus importants par la suite, dans la mesure où ils intéressent l'art des autres époques. Il suffit qu'à la fin du Ix siècle, à la suite des deux agrandisse

1 En-Nowayri, ap. Ikh., tr. I, 385.

2 Rapprocher de cette histoire de mihrab conservé, la mention faite par le Bayán, II, 98, tr. II, 156, du mihrab de la Mosquée de Saragosse. 3 Bayán, I, 106, tr. 146.

ments successifs, la mosquée présentait, dans ses parties essentielles, à peu près la figure que dépeignait El-Bekrî, deux siècles plus tard, et que nous lui voyons encore.

Organes essentiels de la mosquée. Coup d'œil sur leur origine. Comme les mosquées primitives de l'Islâm, comme la mosquée de Médine, comme la mosquée de 'Amr à Fostât, comme les grandes mosquées omeiyades de Damas et de Jérusalem, qui avaient précédé celles de Kairouan, comme les mosquées 'abbassites, ses contemporaines, la mosquée de Sîdî 'Oqba, devenue mosquée des Aghlabides, se compose d'une salle hypostyle rectangulaire précédée d'une cour entourée de portiques sur trois côtés.

Ce n'est pas ici le lieu de rechercher, avec tous les moyens dont nous pouvons disposer, d'où venait cette ordonnance des vieux sanctuaires de l'Islâm. Il suffit d'indiquer les analogies que présentait encore leur plan avec celui du lieu où, d'après les traditions, les premiers compagnons de Mahomet se réunissaient pour faire la prière commune. C'était une cour dans la maison du Prophète. A l'une des extrémités, une sorte de hangar abritait les fidèles, simple couverture de branchages reposant sur des troncs de palmiers. Il est permis de voir là les organes élémentaires du temple musulman 1. Les plus anciens textes nous représentent les premières mosquées comme conformes à cette ordonnance rudimentaire. Ils nous signalent les modifications successives qui la compliquèrent. On ne peut guère douter que les basiliques chrétiennes, dont plus d'une fut adaptée au culte des Arabes vainqueurs, aient inspiré certains dispositifs, qui se conciliaient sans effort avec le plan primitif de la mosquée. D'une manière générale, les mosquées devinrent plus riches et de structure plus soignée des colonnes de marbre remplacèrent les trones de palmiers ; des plafonds de bois décoré furent substitués aux rondins ; des galeries couvertes furent établies le long des murs qui bordaient la cour. Ces modifications laissaient d'ailleurs intact le plan général qu'avaient connu le Prophète et les premiers Compagnons. Il comportait, il comporte encore en Berbérie, la cour (çahn) carrée ou rectangulaire, bordée sur deux

1 Sur cette question, cf. Caetani, Annali dell'Islam, I, p. 433, ss.; Strzygowski el Van Berchem, Amida, pp. 323, ss.

ou sur trois côtés par les galeries (moujannabâl) et sur laquelle s'ouvre, dans toute la largeur du troisième côté, la salle de prières (beit eç-çalat), salle hypostyle, formée de nefs le plus souvent parallèles au grand axe du monument.

Une des innovations dont il est permis de croire que la mos

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quée fut redevable à la basilique était l'élargissement de la nef médiane. Parfois même le plafond de cette nef était surélevé, les « bas-côtés » restant en nombre variable, mais généralement plus grand que dans l'édifice chrétien 1. Ce n'est pas tout: parfois cette nef agrandie rencontra à angle droit une nef transversale de mêmes dimensions, qui longeait le mur du fond, le mur de la qibla de la salle de prières. Ces deux nefs affectèrent alors en plan la figure d'un T, disposition dont certaines basi

1 Signalons cependant à Carthage, la basilique de Damous el-Karita à 9 nefs. Sur le nombre des nefs en Afrique, cf. DIEHI, Manuel d'art byzantin, 2 éd., P. 124.

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