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La polychromie. La polychromie, obtenue par le concours de diverses techniques, ajoutait au charme de cette ornementation. Les décorateurs du x et du x1° siècle ont employé les marbres colorés; ils les ont évidés pour y inscruster des motifs découpés dans des marbres de couleurs différentes ou des plaques de terre émaillée. Ces marqueteries figuraient déjà à la Grande Mosquée de Kairouan, dans le pavage de la cour ou à la porte de la vieille midhà du Nord-Ouest; mais elles se sont singulièrement généralisées et les procédés employés sont très divers.

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Une technique surtout est venue enrichir la polychromie: c'est la céramique, dont les produits sont visiblement fabriqués dans le pays même. Çabra-Mançoûriya comme la Qal'a et Bougie eurent leurs fours de potiers, d'où sortaient non seulement des vases décorés, mais des pièces d'architecture.

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des Beni Hamémaillés incrustés dans les arcatures du minaret.

måd.

Des motifs émaillés, régulièrement disposés, émergent de l'enduit au minaret de la Qal'a suivant un procédé analogue à celui qu'à connu l'ancienne Chaldée (ruines de Ouarka) et qui reparaît au Ix° siècle dans la ville 'abbâssite de Raqqa. D'autres motifs, découpés sui

vant des silhouettes géométriques et reliés entre eux par des goujons de métal, formaient des claustra. Semblables grilles céramiques se remarquent dans les vieux édifices musulmans de tradition byzantine, comme la Qoubbat eç-Çakhra de Jérusalem. Les fouilles de la Qal'a ont amené la découverte de parallélépipèdes de terre cuite partiellement émaillés de blanc, dont j'indiquerai l'emploi en m'occupant des formes décoratives.

A Çabra-Mançoûrîya, des carreaux découpés suivant diverses formes garnissaient, en se juxtaposant, le sol des salles et des cours. C'est l'apparition de la « marqueterie de terre émaillée », dont le rôle sera si remarquable dans les monuments maghri

bins et andalous. Quelques mètres carrés de ces pavages ont été trouvés en place dans le Dâr el-Bahr de la Qal'a '. Les combi

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naisons géométriques font intervenir le blanc et le vert, plus rarement le violet et le jaune. Quelquefois le fond blanc ou vert est peint de motifs à reflets métalliques. Des croix ainsi décorées

1 Des pièces de marqueterie de même forme et de même couleur, mais moins épaisses ont été trouvées récemment à Bougie par M. Vel.

se combinent avec des étoiles à huit pointes émaillées d'un autre ton 1.

Cette technique si particulière de la faïence à reflets est attestée comme d'origine orientale. Toute la céramique berbère de cette époque vient de Mésopotamie, directement ou par l'intermédiaire de l'Egypte.

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Gra ade Mosquée de Kairouan.

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Restitution des plafonds. - A, frise

Fig. 71. à inscription; B, consoles; C, soffites; D, entraits; E, fausses consoles découpées; F, solives; G, caissons.

gneusement polies étaient souvent couvertes d'un seul ton ou décorées de motifs peints. La plupart des reliefs étaient rehaussés de couleur : les artistes fâtimites ou çanhâjiens ont peint le marbre, le plâtre et le bois. Un texte nous parle de substances colorées qui avaient servi pour les palais de Bougie; il mentionne une poudre obtenue avec une pierre écrasée et le jus

1 On a même trouvé à la Qal'a quelques tuiles peintes sur émail stannifère ou sur engobe. Le « carreau de faïence » n'y était pas inconnu.

2 Ms. arabe cité par de Beylié. La Kalaa, p. 99.

d'une plante. La couleur a subsisté surtout dans les fonds. On note le vermillon, la laque et le brun rouge, l'outremer et le vert olive. Les parties saillantes étaient peut-être dorées. Un fragment de décor peint hammâdite présente un fleuron formé d'un ton rouge posé à plat et cerné de noir (fig. 95, 9).

Des poutres et des planches peintes provenant des plafonds de la Grande Mosquée de Kairouan refaits à l'époque zîrîte sont conservés dans un magasin de la mosquée ou ont été remployées, soit dans les nefs, soit dans les annexes. Il n'est pas impossible d'en reconstituer l'ensemble et d'en imaginer l'effet. Une frise à inscriptions portant des formules pieuses en blanc sur brun courait au haut des murs ; des consoles sculptées faisaient saillie au-dessus. Elles soutenaient les entraits sur lesquels étaient établis les solives et les caissons. Ces caissons étaient à fond rouge et garnis d'ornements à répétition. Les entraits offrent une remarquable variété de motifs, que nous examinerons plus loin. La palette en est assez riche le brun rouge, la laque, le vert olive, l'ocre, le jaune, le bleu sombre, le gris bleu y figuraient. Il faut y ajouter le noir cernant les motifs et le blanc, qui les enrichissait de détails intérieurs. L'effet de ces peintures décoratives devait être d'une harmonie opulente et chaude (fig. 71 et 96).

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Les grandes formes décoratives. Les niches. Parmi les grandes formes décoratives que pratiqua l'art fâtimite et çanhâjien, il n'en est pas, je crois, qui s'impose plus immédiatement à l'attention que les défoncements en niches. Il y a bien là ce qu'on peut appeler un principe décoratif. Pour meubler les vastes surfaces de leurs façades, les artistes de cette période n'ont pas imaginé qu'il y eût moyen plus sûr que d'y ménager des creux allongés, à fond plat ou demi-cylindrique, terminés à leur sommet en voussure ou en demi-coupole; procédé un peu paradoxal pour notre goût, qui ne conçoit guère la niche que comme le logement d'une statue. Que ce soit au porche de Mahdiya, à la façade de la Mosquée de Sfax, au minaret ou dans les palais de la Qal'a, les défoncements remplissent leur office purement ornemental. Il n'y a d'ailleurs pas là une véritable nouveauté. Les coupoles de Kairouan et de Tunis nous ont montré l'application du même principe par les architectes du Ix siècle, et nous avons noté, à ce propos, la ressemblance de ces premières niches ifrîqyennes avec celles du Qaçr el-'Achîq

près Samarra. Toutefois l'époque fâtimite et çanhâjienne semble en avoir généralisé l'emploi sous l'influence accrue de l'Orient. Une analyse des variations les plus notables auxquelles le thème a donné lieu va préciser son origine.

Des arcatures aveugles ou niches à fond plat occupent les étages supérieurs du minaret de la Qal'a. Le fond en est entiè rement garni de motifs modelés dans la terre émaillée (fig. 69) ou de briques également émaillées sur la tranche, incrustés dans l'enduit et formant des semis de croix. On relève à la porte Sud-Ouest de Raqqa un défoncement analogue dont le champ est pareillement tapissé de motifs de terre cuite.

Les niches demi-cylindriques sont plus fréquentes. La façade

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de la Mosquée de Sfax en présente de fort étranges, dont le fond est lui-même défoncé, depuis le bas jusqu'à la demi-coupole, par des rainures ou par de petites niches longues à arc trilobé. Je n'en connais pas de semblables; mais le palais de Raqqa a des niches étroites, dont les découpures à trois lobes forment l'arc de tête et qui se creusent à l'intérieur de défoncements plus larges (fig. 78). Il n'est pas impossible que le motif ifrîqyen soit sorti d'un décor apparenté à celui-là.

Les mêmes ruines de Raqqa peuvent nous aider à comprendre l'origine de curieuses niches en coquille qui ornent le minaret de la Qal'a. L'arc de tête de ces niches est un plein cintre

1 Sarre et Herzfeld, Archäologische Reise, II, p. 358. fig. 331, III, pl. LXV.

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