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Miyanech, on élève l'eau de la même manière jusqu'à un réservoir, d'où elle s'écoule par les tuyaux dont nous avons parlé 1. »

La situation choisie pour les villes çanhâjiennes, Achîr, la Qal'a, Bougie, rendait facile cette adduction des eaux. Les hauteurs auxquelles elles s'adossaient et qu'englobait en partie leur enceinte servaient de réservoir naturel alimentant des sources dans la ville ou déversant leurs eaux dans des conduits artificiels. Le premier cas était plutôt celui d'Achîr (on y compte encore plusieurs sources); le second celui de la Qal'a et de Bougie.

Plusieurs canaux amenaient l'eau des hauteurs voisines aux réservoirs de la Qal'a. Certains de ces canaux sont en partie creusés dans le roc et à ciel ouvert. Quant aux réservoirs, ils sont répartis sur plusieurs points de la ville. Outre le grand miroir d'eau du Dâr el-Bahr, nous avons trouvé des bassins de décantation et des réservoirs de puisage dans l'enceinte du palais, une citerne voûtée en arc de cloître dans la cour de la mosquée. Pourvoir la mosquée d'eau est une œuvre pie qui s'impose aux musulmans bâtisseurs; s'il est méritoire d'abreuver les passants et les habitants d'une ville, il ne l'est pas moins de permettre aux fidèles de faire leurs ablutions. Un troisième réservoir est encore connu à la Qal'a sous le nom de Fontaine du Sultan 2. C'est un rectangle de 9 m. sur 6 entouré d'épais murs de blocage et épaulé sur sa face aval par quatre contreforts demi-cylindriques. La forme de ces contreforts n'est pas sans nous rappeler les réservoirs aghlabites de la campagne kairouanaise. Rien de surprenant si les traditions locales ont survécu dans les travaux hydrauliques, alors que partout ailleurs elles faisaient place à des formules étrangères. De ce bassin, l'eau s'écoulait par un conduit dans une vasque en marbre dont les bords sont découpés en huit lobes circulaires. Une vasque analogue mais à six lobes se voit au musée de Bougie 3.

La dernière capitale des émirs çanhâjiens eut aussi un grand nombre de réservoirs remplis par les eaux venant du Gouraya ou de la région de Toudja. Elle en compte encore plusieurs, surtout dans la partie Nord-Ouest de son enceinte. On s'accorde

1 Bekri, 30, tr. p. 67. Il faut corriger Menânech par Miyånech.

2 Cf. de Beylié, La Kalaa des Bent Hammâd, p. 36, voir aussi ibid. pp. 109 et 110.

3 On en rapprochera certaines cuves baptismales chrétiennes.

4 Delamare, Exploration scientif. de l'Algérie.

Archéologie, pl. IV, à droite.

Gsell, Atlas archéol., feuille 7, n° 12, 15; de Beylié, La Kalaa, ch. IV, pl. VI.

à attribuer la plupart d'entre eux aux Romains; mais ils ont été utilisés et réparés par les Musulmans. Il en est même qui doivent être en grande partie des œuvres musulmanes et dater

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de la ville, tout près du Dâr el-Bahr, montre encore l'amorce d'une de ses voûtes (fig. 67). La double rangée des claveaux indique un tracé nettement persan. Le petit segment de cercle de la naissance se prolonge par une droite oblique. On reconnaît là la silhouette si familière aux constructeurs irâniens. Elle est exceptionnelle en Occident.

III. LA DÉCORATION DES MONUMENTS.

Les techniques et les matières du décor. Leur emploi. La pierre et e marbre. Le plâtre. Le bois. La polychromie. La céramique. La peinture. Les grandes formes décoratives les niches. Les arcs. Les colonnes. - Les chapiteaux. Les consoles. - Les ensembles décoratifs. La façade de la Grande Mosquée de Monastir. - Le minaret de la Qal'a des Beni Hammâd. - Le minaret de la Grande Mosquée de Sfax. Les éléments linéaires du décor: l'élément épigraphique. L'élément floral. La tige. Le fleuron et la palme. La faune. Le décor humain. L'élément géométrique.

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Comparé au décor des monuments aghlabites ou à celui des ruines de Sedràta, le décor des fondations fâtimites et çanhâjiennes nous apparaît comme plus complexe. Il nous le semble

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rait beaucoup plus encore, sans doute, si nous le connaissions mieux. Au reste, il n'est guère surprenant qu'il ait moins d'unité. La période que nous envisageons étant plus longue, le style pouvait s'y renouveler complètement, soit par une évolution spontanée, soit par des influences successives. Le jeu des événements politiques suffirait à expliquer ces variations. A plus d'un siècle de distance, l'art des Fâtimides et des premiers Zîrîdes diffère naturellement de celui des Hammâdides de Bougie. La variété des techniques contribue également à enrichir le répertoire des formes; or cette époque voit des techniques jusqu'alors peu ou point employées concourir à la décoration des édifices.

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Les techniques et les matières du décor. Leur emploi. pierre et le marbre. Le décor sculpté sur pierre ou sur marbre ne nous est parvenu que par fragments rarement en place. Nous n'avons pas à étudier d'ensembles aussi étendus que la façade de la Mosquée des Trois portes ou le mihrâb de la Grande Mosquée de Kairouan. Nous doutons qu'il en ait existé. Par la place même assignée au bas-relief décoratif, par le rôle qu'il joue dans l'édifice s'affirme une conception nouvelle, très différente de la conception « romane » du 1x siècle.

Au-dessus de la porte du minaret de la Qal'a est un beau panneau sculpté dans la pierre rose; bien que rongé par le temps et malaisément déchiffrable, il peut, faute de mieux, nous aider à préciser notre connaissance du décor fâtimite et çanhâjien. Il se compose d'un entrelacs à répétition étalé dans le sens de la largeur et encadré par un chapelet de pastilles perforées et par un rinceau. L'enduit qui devait recouvrir les faces du minaret est tombé. Nous devons le rétablir par la pensée, et imaginer le panneau isolé au milieu d'une surface unie, sans contact avec aucun décor du même genre, comme un carré de broderie tendu sur un mur blanc. De loin il compte dans l'ensemble comme une tache grise, de proportions heureuses et bien à sa place; de près il nous séduit par la finesse de ses reliefs, que fait valoir la nudité des surfaces environnantes. Cet exemple me semble assez caractéristique du rôle attribué au décor de pierre à l'époque qui nous occupe. Des panneaux analogues, d'ailleurs plus beaux,

1 Voir fig. 90 et fig. 94 E, où j'en ai reproduit un fragment.

et mieux conservés se voient au Caire, à la mosquée fâtimite de Hâkim 1.

Au regard de la façade des Trois portes ou du mihrâb de la Grande Mosquée de Kairouan, une telle ornementation apparaît beaucoup moins fournie, moins riche, moins vigoureuse et peutêtre moins bien adaptée à la parure d'un extérieur, mais plus discrète, d'une élégance plus sobre et d'un goût plus raffiné.

Le marbre, comme la pierre, est traité avec une finesse que les sculpteurs du 1x siècle ne semblent pas avoir connue. Nous possédons d'assez nombreux fragments taillés dans le marbre blanc, bandeaux, fûts de colonnes et stèles funéraires. Le décor très dense laisse une place réduite au fond; parfois même nous trouvons ici quelque chose d'analogue à ce décor « à défoncements linéaires », qu'avaient pratiqué les artistes de Samarra et qui, de Mésopotamie, était passé à l'Egypte des Toûloûnides 2.

A la Qal'a des Benî Hammâd, le marbre blanc est rare. Plus fréquent est le marbre gris, en dalles découpées, dont des galons assez lourds circonscrivent les bords. L'art de la Qal'a s'affirme dans ces décors sculptés peut-être plus qu'ailleurs, moins délicat moins riche, et, pour tout dire, marqué d'un caractère provincial qui le distingue de l'art ifrîqyen.

Le plâtre. Une place importante doit être réservée à la sculpture sur plâtre, technique vraisemblablement importée de Mésopotamie, dont j'ai signalé l'apparition au 1x° siècle à Kairouan et le triomphe à Sedrâta, dans le courant du x° siècle. Le mihrâb de la Saïyda de Monastir est décoré de reliefs de plâtre. Les ruines de Cabra et de la Qal'a nous ont livré un grand nombre de fragments de plâtre sculpté, souvent rehaussés de peinture. Ce sont des revêtements, dont l'épaisseur est variable et peut dépasser 10 centimètres dans les reliefs vigoureux. On y taille non seulement des panneaux d'arabesques mais des fûts de colonnes d'angle, des chapiteaux et des coupolettes côtelées. On y découpe aussi des claustra, où s'enchassent de petits verres colorés.

Le bois. La Grande Mosquée de Kairouan conserve encore

1 Voir notamment Flury, Die Ornamente der Hakim- und Ashar Moschee, Heidelberg, 1912, pl. XIX.

2 On peut considérer comme se rattachant à ce genre les motifs reproduits fig. 94 A et H et la sculpture du chapiteau fig. 82.

une collection de consoles de bois sculptées et peintes soutenant les entraits du plafond et qui datent du x1° siècle. Elles sont d'une facture large et elles présentent des silhouettes bien adaptées à la matière comme à la place qu'elles occupent. On ne peut douter d'ailleurs que cette époque n'ait traité le bois avec une remarquable maîtrise, quand on étudie, dans la même mosquée, la maqcoûra du Zîrîde El-Mo'izz et la porte de la petite salle où se trouve la bibliothèque. Bien que ces œuvres appar

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tiennent plutôt à l'art mobilier, on ne peut se dispenser de les mentionner ici. Le décor en est d'une exubérance excessive, d'une densité qui rappelle parfois les bois toûloûnites. Les reliefs vigoureux se détachent sur des fonds plus amenuisés. formant arrière-plan. Des lignes simples et bien ordonnées en circonscrivent les surfaces nettement différenciées par leur valeur. Le rapprochement fortuit, dans le même édifice, du beaut minbar aghlabite et de la maqçoûra çanhâjienne fait sentir la dissemblance des deux styles. Ces deux meubles procèdent l'unet l'autre de la sculpture-broderie; mais, tant dans le détail que dans l'ensemble, ils diffèrent profondément, et il est de toute évidence que le second style ne dérive pas du premier (Cf. fig. 36, G, H).

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