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le Khawernaq'. Nous ignorons si les Salons du Myrte et du Camphre doivent être considérés comme des palais entiers ou des parties de palais. Cette énumération est peu explicite. Toutefois deux noms au moins semblent à retenir et, faute de mieux, apportent un indice sur les modèles possibles de ces édifices. Celui de Khawernaq, célèbre dans les traditions musulmanes, fut porté par un palais construit au v° siècle pour les princes Sassanides, 150 kilomètres au Sud de Baghdâd. En souvenir de cet édifice, « une des trente merveilles du monde », le nom de Khawernaq devait être donné à une partie d'El-îwân el-kabîr, palais fâtimite du Caire. Quant au nom d'El-îwân, que nous rencontrons au Caire après l'avoir trouvé à CabraMançoûrîya, on sait qu'il est aussi d'origine persane et qu'il désigne généralement, dans les monuments mésopotamiens ou dans ceux qui en sont inspirés, une salle voûtée s'ouvrant par un grand arc sur l'extérieur.

Certes on ne doit rien conclure d'absolu de telles indications; toutefois, l'emploi de noms persans en Ifrîqya, et le fait que ces noms réapparaîtront en Egypte, peut laisser supposer, dès cette première période, l'ébauche d'une sorte de tradition fâtimite, qui déjà porte la marque de la civilisation mésopotamienne.

Les Zîrîdes travaillèrent eux aussi à Mançoûriya. Le Zîrîde Mançoûr y eut son palais. On nous nomme le secrétaire qui conduisit les travaux et l'on nous dit qu'en 376/986 les dépenses s'élevaient à 100.000 dinars et la construction n'était pas achevée. Le total devait atteindre 800.000 dinars. Des arbres entouraient de tous côtés cette somptueuse demeure 2. Enfin le prince ElMo'izz, de la même famille, celui dont nous avons vu la magnificence, y édifia plusieurs palais « comparables à ceux qu'éleva en Iraq En No'mån ben Mondir ».

Dans quelle mesure ces palais fâtimites et çanhâjiens imitaientils les palais orientaux dont ils évoquaient le souvenir chez les contemporains? Il semble douteux que nous le sachions jamais.

Le site de Çabra-Mançoûriya est parfaitement connu. A 1.500 mètres au Sud de Kairouan, des tumuli très considérables émergent de la plaine. Ils sont malheureusement fréquentés depuis

1 Ibn Hammåd, tr. Cherbonneau ap. Journal asiatique, 1852, II, p. 480. Manuscrit d'Alger, p. 39, r° et v°.

2 Ibn Abi Dînår (El-Qairwânî), p. 132.

3 Cf. ma note, ap. Bulletin archéologique, 1922, p. xxiv-XXV.

des siècles par les terrassiers kairouanais qui en tirent des briques pour bâtir ou réparer les murs de la ville encore vivante. Quelques tronçons de colonnes énormes en marbre rougeâtre gisent à demi enterrés vers le centre de ce qui fut Mançoûriya. « Les Colonnes de sang », comme on les appelle, sont cylindriques et mesurent près de 2 m. de diamètre. A une soixantaine de mètres vers le Sud s'étend une dépression rectangulaire, qui mesure environ 130 m. sur 50, et où il est facile de reconnaître un vaste bassin. Un autre bassin se creuse au Nord-Ouest de la ville. Les rares sondages qu'on y a tentés n'ont pas encore permis de déterminer un plan quelconque d'édifice. L'activité des chercheurs de briques laisse peu d'espoir aux archéologues. Quelques notions cependant se dégagent des premières recherches.

Ces constructions étaient faites de briques plus petites et moins bien cuites que les briques d'époque aghlabite. Elles étaient couvertes de terrasses. On employait aussi la brique séchée au soleil. Les textes nous apprennent que le premier rempart de la ville était ainsi bâti 2. Certains murs semblent formés de pisé.

Les palais de la Qal'a des Benî Hammâd. En attendant que les ruines d'Achir nous aient livré les plans d'édifices civils qu'on peut espérer, l'Algérie nous fournit deux documents de premier ordre avec la Qal'a des Benî Hammâd. J'ai indiqué comment se présentait la topographie du lieu. Au centre de la ville, à 150 mètres de la mosquée précédemment décrite, s'élevait le Dâr el-Bahr, base d'un vaste ensemble de constructions. A l'Est de la ville, sur le rebord du plateau qui domine le ravin profond de l'Oued Frej, se dresse encore le donjon du Fanal, Qaçr el-Manâr (fig. 54, 59). Vers le Sud-Ouest de l'enceinte, on désigne l'emplacement possible du Palais du Salut. Mais aucun sondage n'y a été pratiqué.

A part le Manâr, ces palais sont détruits à ras du sol et il faut descendre jusqu'aux fondations pour en reconnaître le plan. Les murs sont bâtis« de pierres choisies pour leur taille dans les éboulis de la montagne 3. On a un peu dégrossi celles qui

1 Les briques çanhâjiennes ont 200 m/m x 92 m/m x 39 m/m ̧

2 Ibn Hammâd, loc. cit., p. 479.

3 Blanchet ap. Nouv. arch. des Missions, t. XVII, p. 11.

devaient se trouver aux angles et on les a posées, telles quelles, en lits irréguliers, en remplissant seulement de mortier et de cailloux les vides qu'elles laissaient entre elles. » Un enduit de plâtre dissimulait partout les irrégularités de cet appareil.

Les deux palais reconnus par Blanchet et par A. Robert, ont été fouillés en 1908 par le général de Beylié.

Le palais du Fanal (Qaçr el-Manâr). Le donjon du Fanal qui se rattachait, semble-t-il, à tout un système de constructions se compose d'un édifice carré de 20 mètres de côté flanqué sur deux de ses faces par deux avant-corps de 1 m. 50 de saillie. Les murs et les avant-corps étaient, à l'extérieur, décorés de grandes. cannelures verticales, ou mieux de longues niches demi-cylindriques montant de la base et terminées par une demi-coupole écrasée. Des contreforts alternaient avec ces défoncements. Je reviendrai sur ce motif caractéristique.

Une porte s'ouvrant sur la face Ouest donne accès dans une rampe en pente douce voûtée en berceau, qui, faisant le tour des aménagements intérieurs, aboutissait aux terrasses (fig. 59). Au centre de l'espace ainsi encadré sont deux salles superposées. Plus bas que le sol de la ville, au niveau du pied des murs du côté du ravin, se trouve une salle carrée, basse et obscure, couverte par une voûte en arc de cloître. A ce caveau, qui pouvait servir de magasin ou de prison, l'on ne pénétrait que par un couloir étroit et une poterne qui donnait, non dans l'intérieur de la ville, mais à l'extérieur, sur le ravin du Frej. Ce couloir passait sous la rampe intérieure ou plutôt interrompait cette rampe. Un pont volant était, suivant les besoins du moment, posé sur cette coupure de la rampe ou en était enlevé, et l'assiégeant qui s'était engagé dans la rampe se trouvait alors devant un trou de 3 m. 50 de profondeur, un haha qui l'empêchait d'aller plus loin. Si le chemin était praticable, il arrivait au rez-dechaussée. Le noyau du donjon était ici constitué par une salle sur plan cruciforme, qui mérite de retenir l'attention. La salle proprement dite est un carré de 5 mètres de côté. Au milieu de chaque côté, s'enfonce une niche à fond plat et couverte en berceau; ces quatre niches dessinent en plan les quatre branches d'une croix. Les angles du carré central sont surmontés de trompes en demi-voûte d'arête. Ces trompes supportaient une calotte hémisphérique, soit directement, soit par l'intermédiaire

d'un tambour octogonal ou cylindrique, qui pouvait être percé de fenêtres; car la salle ne recevait aucun jour dans les parties basses. La coupole couvrant cette salle devait être assez élevée. Bien qu'elle fût entourée de toutes parts de larges terrasses, elle apparaissait à l'extérieur. On peut du moins le supposer. Dans un

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Fig. 59. Qal'a des Ben! Hammad. Le donjon du Fanal.
Vue perspec-
tive, coupe et plan. A, salle cruciforme; B, magasin en sous-sol; C, rampes.
Toute la partie au-dessus du niveau r est une restitution hypothétique.

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poème d'Ibn Hammâd (mort en 628/1230), où l'auteur célèbre le Manâr de la Qal'a, dont le décor encore subsistant est d'une beauté proverbiale, il dit : « Reverrai-je les arcades d'El-Manâr sur des parterres touffus aux joues en fleurs; on dirait que les coupoles, se levant sur son horizon, sont des étoiles apparues

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dans le signe du Verseau ». Pour imaginer qu'on pouvait les voir, malgré l'épaisseur du massif qui les entourait, il faut admettre qu'elles étaient très surhaussées. Quelques colonnettes de marbre ont été trouvées à l'intérieur de la salle leur rôle était évidemment décoratif. Je les verrais volontiers accouplées de part et d'autre de la porte.

On ne sait pas d'une manière certaine quelle forme affectaient les berceaux des niches à fond plat de la salle centrale. Ils étaient en plein cintre ou en fer à cheval très faiblement outrepassé.

Pour en finir avec la description du Manâr, j'ajouterai qu'à un niveau intermédiaire entre la salle et les terrasses, la rampe accède à un réduit qui occupe en partie l'avant-corps donnant sur le ravin. C'était une chambre de tir ayant vue sur l'extérieur par deux meurtrières.

Bien que ce donjon ne représente qu'une portion du palais du Manâr, c'est assez pour que nous puissions y trouver quelques traits essentiels de l'architecture civile. J'essaierai de les dégager après avoir étudié le palais principal de la Qal'a, où certains de ces traits se précisent.

Le Dâr el-Bahr. Ce second palais, dont les bâtiments encore désignés sous le nom de Dâr el-Bahr (le palais de la mer ou du lac) forment la base, se présente comme un vaste ensemble de ruines un peu chaotiques mesurant 159 mètres de long sur 67 mètres de large et s'échelonnant sur une pente de plus de 35 mètres 2. Outre le Dâr el-Bahr, il comprend ce qu'une tradition assez vraisemblable désigne comme le Palais particulier de l'émir, puis des communs, des magasins, des citernes, sans parler d'assez vastes espaces que devaient occuper des jardins.

Le Dâr el-Bahr est mentionné par l'auteur anonyme de l'Istibçâr comme un des plus notables palais de la Qal'a.

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1 Blanchet, ap. Recueil... de la Société archéologique de Constantine, 1898, pp. 111-112; de Beylié, La Kalaa des Beni Hammâd, p. 52. Je donne en appendice la traduction complète des trois poèmes cités par Et-Tijânî sur les palais de la Qal'a.

2 Cf. De Beylié, La Kalaa des Beni Hammad, pp. 53, ss.; G. Marçais, ap. Recueil de la Societé archéologique de Constantine, 1908, pp. 178, ss. Istibçar, tr. Fagnan, ap. Rec. de notices et mémoires de Constantine, 1899, p. 101.

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