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elle s'accrût fort vite et, de bonne heure, attira les marchands, les ouvriers et les étudiants. Cependant, comparée à Kairouan, elle demeurait ville provinciale. Les Benî Hammând semblent d'ailleurs avoir conservé la rudesse des mœurs de leurs ancêtres bien plus longtemps que les Benî Zîrî.

La rupture du Zîrîde El-Mo'izz avec son maître le Khalife Fatimide, assura la fortune des princes de la Qal'a. Ils avaient, bien avant leurs cousins, rompu avec le Caire; ils s'empres

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Fig. 54.

La Qal'a des Beni Hammåd Le donjon du Fanal, dominant la vallée de l'oued Frej.

sèrent de renouer les relations; ils devinrent à leur tour les représentants officiels du Khalifat fâtimite en Berbérie, et en tirèrent quelque prestige et quelques profits; mais surtout la ruine de l'Ifriqya qui s'ensuivit fit refluer vers leur citadelle montagnarde toute l'activité économique, qui enrichissait Kairouan ou Mançoùriya. A la fin du x1° siècle, ElBekrî disait : « C'est maintenant un centre de commerce qui attire les caravanes de l'Iraq, du Hidjâz, de l'Egypte, de la Syrie

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et de toutes les parties du Maghreb '. » Et certes, ses jours sont comptés, mais ses maîtres disposent de grosses ressources et les palais s'y élèvent comme par enchantement. D'après une information médiocrement admissible d'Ibn Khaldoûn 2, il faudrait attribuer au seul El-Mançoûr, fils d'En-Nâcir, la construction du palais du Gouvernement, du palais du Fanal, du palais de l'Etoile et du palais du Salut, et localiser ces travaux entre 1088, date de l'avènement d'El-Mançoûr, et 1090, date de son exode vers Bougie. Comme il nous dit plus loin que Bâdîs, fils d'El-Mançoûr, se transporta à son tour à Bougie, et que nous voyons El-Mançoûr lui-même, revenant de Tlemcen en 1102, rentrer à la Qal'a « sa capitale », nous sommes conduits à penser que sous El-Mançoûr comme sous En-Nâcir, son prédécesseur, et peut-être même durant le court règne de Bâdîs, son successeur, soit environ pendant 37 ans, les Hammâdides eurent deux capitales: la Qal'a et Bougie. Une route royale les unissait, dont le géographe Edrîsî' énumère les multiples étapes.

Cependant les Arabes pillards avaient rendu la Qal'a de moins en moins habitable. Bougie devint la résidence permanente des princes et, comme dit Edrisi, « l'œil des Etats hammâdites ».

On l'appelait aussi En-Nâciriya, du nom du prince qui l'avait sinon fondée, du moins élevée de son modeste état de village de pêcheurs à la dignité de capitale d'empire. Il y avait construit une demeure admirable, le palais de la Perle. Il pourvut également la ville d'une Grande Mosquée. « Doué d'un esprit créateur et ordonnateur, dit de lui Ibn Khaldoûn, il se plaisait à fonder des édifices d'utilité publique, à bâtir des palais, à distribuer les eaux dans des parcs et des jardins ».

Grâce à lui, grâce à ses successeurs, Bougie, héritière de la Qal'a qu'on avait, à son profit, méthodiquement vidée de tout ce qui était transportable, demeura, jusqu'au milieu du x siècle, la représentante de la civilisation çanhâjo-fâtimite.

Quelques fragments conservés au musée de la ville l'attestent. D'autre part nous ne connaissons presque rien de la Mahdîya des derniers Zîrîdes. Un petit nombre de stèles funéraires con

1 Bekrî, 49, tr. 104.

2 Ibn Khaldoûn, Hist. des Berbères, I, 227, tr. II, 52. Voir aussi Tijânî, Voyage, tr. Rousseau, ap. Journal asiatique, 1852, II, p. 164.

a Edrisi, éd. Dozy et de Goeje, pp. 90, 92-93, tr. pp. 104-105, 107-108.

4 I. Khaldoûn, Hist. des Berbères, I, 227, tr. II, 52.

servées à Monastir, la ville des saints Marabouts, où les gens de Mahdiya se faisaient enterrer, une collection de même nature recueillie dans les cimetières de Tunis datant des Benî Khorassân, nous révèlent, faute de mieux, le décor de cette fin de période. J'essaierai d'en tirer parti.

C'est bien une période de l'art musulman qui se clôt vers 1150, la période où la Berbérie a subi l'autorité politique et, on le présume, l'influence artistique des Fâtimides. J'ai dit que les différentes phases nous en étaient très inégalement connues. La dernière nous a laissé peu de documents; la première est également pauvre. Celle-ci l'époque du séjour des Fâtimides présenterait cependant pour nous un intérêt tout particulier. Un problème se pose ici, qui déborde même le domaine de l'art musulman occidental. On peut le formuler de la manière suivante :

en Ifrîqya

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On connaît assez bien les œuvres créées en Egypte par les Fâtimides au temps de leur splendeur. Dans quelle mesure leurs fondations de Berbérie faisaient-elles prévoir ces œuvres égyptiennes Et d'autre part, quand ils vivaient à Mahdîya, les yeux tournés vers l'Orient, leur art était-il déjà oriental? Tels sont, entre bien d'autres, les problèmes pour lesquels l'examen des monuments doit nous suggérer une réponse au moins provisoire.

II.

L'ART FATIMIte en Berbérie

ET L'ART DES ÇANHAJA ZIRIDES ET HAMMADIDES

A. L'Architecture religieuse.

La Grande Mosquée de Mahdîya.

La Grande Mosquée de Monastir.
La

La Mosquée de la Saïyda à Monastir. La Mosquée d'Achîr. Grande Mosquée de Sfax. La Mosquée de la Qal'a des Benî Hammâd. Bougie.

La Grande Mosquée de

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La Grande Mosquée de Mahdiya. Kairouan, dont la Grande. Mosquée nous a permis de connaître l'architecture religieuse des Aghlabides, ne nous apprend rien sur leurs successeurs immédiats. Les Fâtimides n'y sont nulle part; leur époque est un hiatus dans les traditions de la vieille ville; alors que les tombes du 1x et du x1° siècle y peuplent encore les cimetières,

on en trouve fort peu qui soient contemporaines de la grandeur des Chi'ites. C'est à Mahdiya, dans cette étroite presqu'île du cap Africa, qu'il faut aller chercher les traces de leur activité architecturale. Nous n'y trouverons pas d'édifice aussi important, aussi bien conservé et aussi accessible que la Mosquée de Sîdi 'Oqba.

La Mosquée de Mahdiya fut sans doute construite par le Mahdî 'Obaïd Allah. Elle s'éleva, ainsi que la Cour des Comptes et plusieurs autres monuments publics, sur un terrain remblayé par le Mahdî et gagné sur la mer au Sud de la presqu'île. La salle de prières, dont le mur d'enceinte est battu par les vagues, compte neuf nefs1. D'après H. Saladin, la nef médiane est plus large que les autres et de même la nef transversale longeant le mur de la qibla. Une coupole s'élève à chaque extrémité de la nef médiane, dispositions conformes au type aghlabite 2. Les arcs reposent sur des colonnes et des chapiteaux antiques ou chrétiens par l'intermédiaire de sommiers et d'impostes. En avant de la salle de prières s'étend la cour plus large que profonde; deux cours plus petites règnent le long des faces latérales de la salle de prières. La cour principale est entourée de portiques dont les arcs outrepassés et brisés reposent sur des piles de maçonnerie cantonnées de colonnettes. On reconnaît là une influence mésopotamienne directe ou venue par l'intermédiaire de l'Egypte (Mosquée d'Ibn Toûloûn). Ces galeries sont couvertes en voûtes d'arête. Le minaret, qui, dans son état actuel, ne dépasse guère le haut des murs, est situé à l'angle Sud-Ouest de l'enceinte. Une cour extérieure longe cette enceinte sur sa face opposée à la qibla. Une entrée s'ouvre au milieu de cette face et donne accès dans la cour à portiques. Elle est couverte par un porche qui fait saillie à l'extérieur. C'est là un motif dont nous ne connaissons pas l'analogue dans les mosquées d'Occident, et qui mérite qu'on s'y arrête (fig. 55).

Malgré ses proportions réduites, ce porche a grande allure. Deux piles massives soutiennent une voûte en berceau. L'arc de tête est un fer à cheval plein cintre. Les trois faces sont couronnées d'une sorte d'entablement. Celui-ci se compose d'une

1 Bekri, texte 30, tr. 67. Il faut corriger sab'a par tis'a, sept par neuf. 2 Saladin, Manuel, p. 215.

frise nue régnant entre deux corniches très simples et surmontée d'une plate-bande formant attique.

Le grand arc est flanqué de deux étages de défoncements, deux

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niches creuses, au-dessus de la retombée du grand arc, deux niches à fond plat au-dessous. Ces niches ont des arcs en fer à cheval. Une superposition semblable meuble les faces latérales du porche. A l'intérieur, sous la voûte, se creuse aussi, de chaque

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